Lieux sacrés du Japon

Les sanctuaires Okamoto et Ôtaki, lieu de vénération de la divinité du papier « washi »

Tourisme Architecture

La ville d’Echizen est le berceau du meilleur papier japonais “washi”. Après une visite dans ses ateliers, pourquoi ne pas se rendre sur le lieu de vénération de la divinité Kawakami Gozen, protectrice de ce trésor culturel ? Le pavillon combiné des deux sanctuaires Okamoto et Ôtaki est par ailleurs considéré comme ayant le toit à l’architecture la plus complexe du Japon.

Une région fière de son papier

Depuis mars 2024, la préfecture de Fukui (côte centre-ouest) a vu sa fréquentation croître de plus de 20 % grâce au prolongement de la ligne du train à grande vitesse Shinkansen Hokuriku depuis la gare de Kanazawa jusqu’à celle de Tsuruga. (Voir la carte ici)

Parmi les lieux à visiter dans la région, les sanctuaires Okamoto et Ôtaki peuvent attirer les curieux pour son histoire et son architecture qui sortent plutôt de l’ordinaire. Ils sont situés à 15 minutes en voiture de la gare d’Echizen-Takefu, dans la ville d’Echizen.

Fait plutôt rare, les deux sanctuaires sont inscrits ensemble sur le portique (torii) marquant l’entrée.
Fait plutôt rare, les deux sanctuaires sont inscrits ensemble sur le portique (torii) marquant l’entrée.

La préfecture de Fukui était divisée en deux jusqu’à l’époque Edo (1603-1868). Au nord-est se trouvait la province d’Echizen, et au sud-ouest la province de Wakasa. La ville actuelle d’Echizen se trouve au centre de la préfecture de Fukui, et elle est réputée pour la qualité, la variété et la quantité de production du papier traditionnel washi, qui est appelé Echizen-washi. Le papier hôsho-gami et le papier torinoko-gami sont tous deux inscrits en tant que Bien culturel immatériel du pays

À environ 10 mn à pied du village Washi-no-sato, où sont concentrés les ateliers de fabrication du papier, apparaissent dans un écrin de verdure les sanctuaires Okamoto et Ôtaki, dédiés à la divinité du papier washi, Kawakami Gozen. Ils sont situés au pied du mont Daitoku.

Cet édifice au pied de la montagne est un pavillon « combiné ». Il fait à la fois office de pavillon principal (honden), où se trouve la divinité, et de pavillon de prière (haiden), où les fidèles se recueillent et procèdent aux offrandes.  Au sommet du mont se trouvent également deux sanctuaires.
Cet édifice au pied de la montagne est un pavillon « combiné ». Il fait à la fois office de pavillon principal (honden), où se trouve la divinité, et de pavillon de prière (haiden), où les fidèles se recueillent et procèdent aux offrandes. Au sommet du mont se trouvent également deux sanctuaires.

À proximité des sanctuaires se trouve l’avenue « Washi no sato-dôri », qui s'allonge sur environ un kilomètre.
À proximité des sanctuaires se trouve l’avenue « Washi no sato-dôri », qui s’allonge sur environ un kilomètre.

Un lieu sacré de syncrétisme shintô-bouddhique

Selon la légende, il y a plus de 1 500 ans, une femme à la beauté sans pareil fit son apparition au-dessus de la rivière Okamoto et s’adressa aux habitants : « En cette terre vallonnée, il n’y a pas de place pour les rizières. Cependant, l’eau y est limpide, et la nature abondante. Faites de la fabrication de papier votre métier, et votre entreprise sera florissante. »

Sans donner son nom, cette mystérieuse femme se contenta de dire qu’elle vivait au-dessus de la rivière avant de disparaître sans laisser de trace. Les artisans commencèrent alors à vénérer cette beauté mystérieuse sous le nom de « Kawakami Gozen » (kawakami siginifie littéralement « en amont de la rivière », et gozen est un terme honorifique), et l’ont révérée depuis en tant que divinité du papier au sanctuaire Okamoto.

Panneau explicatif contant la légende de Kawakami Gozen
Panneau explicatif contant la légende de Kawakami Gozen

La rivière longeant le village Washi-no-sato
La rivière longeant le village Washi-no-sato

Quant au sanctuaire Ôtaki, il est dit qu’il a été construit lors du règne de l’impératrice Suiko (592-638).

Une figure importante du shugendô (ascèse en montagne), Taichô Daishi, visita ensuite le lieu et fonda à côté le temple bouddhique Ôtaki Chigo Gongen en 719. Kawakami Gozen, ainsi que les divinités Kunitokotachi et Izanagi, toutes issues de la croyance shintoïste, y ont été révérées. Enfin, le temple Ôtaki y a également été construit pour veiller sur le sanctuaire.

Cette combinaison entre temples, sanctuaires et divinités a ainsi témoigné de la forte présence du syncrétisme shintô-bouddhique au Japon.

Une statue de Kannon en bois,  vestige de l’époque Heian (794-1185) et témoin de l'existence du syncrétisme shintô-bouddhique sur l'Archipel.
Une statue de Kannon en bois, vestige de l’époque Heian (794-1185) et témoin de l’existence du syncrétisme shintô-bouddhique sur l’Archipel.

Une atmosphère mystique entoure le lieu.
Une atmosphère mystique entoure le lieu.

Kawakami Gozen, divinité tutélaire de l’industrie du papier

Taichô Daishi est un personnage célèbre pour avoir été le premier à effectuer le pèlerinage du mont sacré Haku, s’étendant sur les anciennes provinces d’Echizen, et de Kaga (actuelle Ishikawa) et de Mino (actuelle Gifu)

Durant l’époque de Heian, lorsque le culte du mont Haku se développa, le temple Ôtaki devint un haut lieu de pratique spirituelle. On y comptait alors 48 salles et pagodes, et plus de 700 moines y vivaient. Il fut détruit lors de la répression orchestrée par Oda Nobunaga, puis reconstruit. Pendant l’époque Edo, il bénéficia de la protection de différents seigneurs locaux en tant que demeure de la divinité liée au papier Echizen-washi.

Le blason de la dynastie de Tokugawa, les trois feuilles de rose trémière, que l’on retrouve dans l’enceinte des sanctuaires et sur les statues témoigne de la dévotion des seigneurs du clan Matsudaira, qui régnait sur la région d'Echizen durant l’époque d'Edo.
Le blason de la dynastie de Tokugawa, les trois feuilles de rose trémière, que l’on retrouve dans l’enceinte des sanctuaires et sur les statues témoigne de la dévotion des seigneurs du clan Matsudaira, qui régnait sur la région d’Echizen durant l’époque d’Edo.

Le décret de séparation du shintô et du bouddhisme de 1868 a entraîné la fermeture du temple Ôtaki. Seul le sanctuaire Ôtaki, édifice shintoïste, resta en place. La même année, la première monnaie nationale émise par le tout nouveau gouvernement de Meiji (1868-1912) fut fabriquée avec du papier Echizen-washi. Mais ce n’est qu’à partir de 1923 que Kawakami Gozen fut vénérée en tant que divinité tutélaire de l’industrie du papier, sous l’influence du département de fabrication de papier du ministère des Finances.

De nos jours, les deux pavillons principaux des sanctuaires d’Okamoto et d’Ôtaki se trouvent côte à côte au sommet du mont Daitoku. Mais pour faciliter le culte de la divinité Kawakami Gozen, un pavillon « combiné » a été construit au pied de la montagne.

Le pavillon « combiné », situé au pied du mont Daitoku (voir aussi la première photo de l'article)
Le pavillon « combiné », situé au pied du mont Daitoku (voir aussi la première photo de l’article)

Le toit le plus complexe du Japon

Le pavillon « combiné » au pied de la montagne fut achevé en 1843. Il est l’œuvre d’un charpentier très célèbre, Ôkubo Kanzaemon, notamment connu pour avoir érigé la porte du messager impérial chokushi-mon de l’Eihei-ji, le temple principal de l’école Sôtô du bouddhisme zen, situé également dans la préfecture de Fukui.

Bien qu’il ne soit pas rare que le pavillon principal (honden) et le pavillon de prière (haiden) soient liés, le toit, composé de nombreuses courbes superposées, est saisissant d’ingéniosité. Il est d’ailleurs considéré comme le plus complexe du Japon. Les délicates sculptures sous les avant-toits quant à elles, évoquent l’architecture des mausolées reibyô de l’époque d’Edo, où le syncrétisme shintô-bouddhique était omniprésent. Celles qui ornent le côté du honden, inspirées de récits chinois, sont particulièrement remarquables. Le bâtiment en lui-même est un chef-d'œuvre, témoin raffiné d’une époque marquée par la fusion entre deux religions.

Une toiture d'une fascinante beauté
Une toiture d’une fascinante beauté

Si on regarde plus en détails, on aperçoit que le haut de la toiture est légèrement décalé sur la gauche. Loin d’être une erreur, cela vient d’une croyance qui voudrait qu’une structure commence à se dégrader dès qu’il est achevé. Les charpentiers l’ont donc construite de façon à ce qu’elle demeure pour toujours « imparfaite ».
Si on regarde plus en détails, on aperçoit que le haut de la toiture est légèrement décalé sur la gauche. Loin d’être une erreur, cela vient d’une croyance qui voudrait qu’une structure commence à se dégrader dès qu’il est achevé. Les charpentiers l’ont donc construite de façon à ce qu’elle demeure pour toujours « imparfaite ».

La délicatesse qui se cache derrière les détails des avant-toits invitent à les admirer pour un temps infini...
La délicatesse qui se cache derrière les détails des avant-toits invitent à les admirer pour un temps infini...

Les sanctuaires Okamoto et Ôtaki

  • Adresse : 13-1 Ôtaki-machi, Echizen-shi, Fukui-ken
  • Heures d’ouverture : visite libre
  • Accès : depuis la gare d’Echizen-Takefu de la ligne Shinkansen Hokuriku, prendre la navette de la ville d’Echizen pour rejoindre la gare de Takefu en 13 minutes, puis prendre le bus Fukutetsu et descendre à l’arrêt « Washi-no-sato » et marcher environ 10 minutes.
  • Site officiel (en japonais) : https://bunka.nii.ac.jp/heritages/detail/188673

(Reportage, texte et photos de Nippon.com)

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