Sous les décombres du grand séisme du Kantô, la renaissance du quartier des plaisirs de Yoshiwara

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Kichiya [Profil]

Yoshiwara a été pendant près de 350 ans le grand quartier des plaisirs de la capitale du Japon. Mais il a été pratiquement détruit par le Grand tremblement de terre du Kantô, qui s’est produit le 1er septembre 1923 et qui a fait plus de 100 000 morts. Accompagné de précieuses cartes postales de l’époque, notre article replonge dans l’histoire de ce haut lieu de la culture d’Edo et présente également les efforts fournis un siècle plus tard pour redorer son image.

Il y a un siècle, Tokyo sous les flammes

Le Grand tremblement de terre du Kantô a frappé le 1er septembre 1923 à 11 h 58. Ce séisme a dévasté Tokyo et Yokohama et laisse dans son sillage pas moins de 105 000 morts ou disparus. C’était il y a tout juste cent ans.

L’épicentre se trouvait au bord de la plaque terrestre située sous la baie de Sagami, le long de la ligne connue sous le nom de « fosse de Sagami ». Les secousses s’étaient produites pendant l’heure du déjeuner, les cuisines étaient en pleine activité et de nombreuses personnes n’avaient pu contrôler les feux, menant à des incendies massifs qui s’étaient rapidement propagés de bâtisse en bâtisse et avaient duré presque deux jours et deux nuits. Au total, 370 000 maisons avaient été détruites ou incendiées.

À l’époque, des photos montrant un Tokyo ravagé ont été diffusées dans tout le pays. Certains sites ont même fait l’objet de cartes postales, citons le Grand Bouddha du parc d’Ueno décapité par la force de la secousse, ou la tour appelée « Asakusa Ryôunkaku » (plus connue sous le nom des « Douze étages d’Asakusa »). Ces stigmates de la catastrophe ont frappé les esprits tant Ueno et Asakusa étaient des sites touristiques emblématiques de la capitale.

Cartes postales émises après le tremblement de terre. À gauche, une photo du Grand Bouddha décapité du parc d’Ueno et à droite, la tour aux Douze étages d’Asakusa (Collections de la Bibliothèque centrale de la métropole de Tokyo).
Cartes postales émises après le tremblement de terre. À gauche, une photo du Grand Bouddha décapité du parc d’Ueno et à droite, la tour aux Douze étages d’Asakusa. (Collections de la Bibliothèque centrale de la métropole de Tokyo)

Le quartier des plaisirs de Yoshiwara est un autre de ces témoins incontournables des ravages causés par le tremblement de terre. (Le lieu correspond aujourd’hui au quartier Senzoku 4-chôme, de l’arrondissement tokyoïte de Taitô.)

Le quartier des plaisirs était constitué de nombreuses maisons closes situées dans une enceinte, elle-même entourée d’une douve. La configuration des lieux ne pouvait que déboucher sur un désastre, les dégâts ont été considérables. Les bâtiments effondrés ont vite été la proie des flammes et l’incendie a rapidement gagné le reste du quartier. Ceux qui avaient pu réchapper à la mort ont voulu fuir la fournaise. Ils se sont précipités et ont plongé dans l’étang Benten situé dans le parc Hanazono (l’actuel parc Shin-Yoshiwara). Les flammes étaient si fortes et la fumée si dense, ils ont sauté dans l’eau les uns après les autres, plus de 500 personnes vont s’entasser dans l’étang et y trouver la mort.

Photo du désastre de l’étang Benten, affichée au sanctuaire Yoshiwara Benzaiten.
Photo du désastre de l’étang Benten, affichée au sanctuaire Yoshiwara Benzaiten.

Donner un aperçu de l’âge d’or de Yoshiwara

L’étang Benten existe encore de nos jours, mais il est beaucoup moins grand que jadis. On peut le trouver sur le terrain du sanctuaire Yoshiwara Benzaiten. En 2023 pour le centenaire du séisme, le point d’eau a été réaménagé, et on y a donné un service religieux bouddhique pour le repos des âmes.

L'aizome, le cerisier sacré du sanctuaire Yoshiwara Benzaiten, est en fleur. Kichiya, l’auteur de cet article, a réalisé le graphisme du sceau vermillon du sanctuaire Yoshiwara Benzaiten.
L’aizome, le cerisier sacré du sanctuaire Yoshiwara Benzaiten, est en fleur. Kichiya, l’auteur de cet article, a réalisé le graphisme du sceau vermillon du sanctuaire Yoshiwara Benzaiten.

Le comité général du sanctuaire de Yoshiwara Beinzaiten ainsi que la fédération du conseil municipal de Yoshiwara est présidé par — le hasard fait bien les choses — monsieur Yoshiwara Tatsuo, qui nous explique :

« Nous voulions créer un nouveau site touristique à Yoshiwara, nous avons donc installé une petite cascade dans l’étang Benten. D’autres événements et projets avaient déjà été lancés à Yoshiwara pour préserver la mémoire des victimes du tremblement de terre, de la guerre et évoquer le sort des prostituées. Mais pour le centenaire du grand séisme, nous voulions proposer une image moins sombre de cet illustre quartier et donner à voir un aperçu de son âge d’or, pendant l’époque d’Edo (1603-1868). »

Comme le site a servi de décor à l’anime à succès Demon Slayer, on a constaté ces dernières années une recrudescence du nombre de jeunes touristes, tant japonais qu’étrangers. Le conseil municipal et les conseils de quartier voudraient également ressusciter l’effervescence passée en relançant au mois d’avril la procession des oiran (courtisanes de haut rang) ou le Yoshiwara Niwaka (théâtre d’improvisation) en septembre. Notre intention est de faire mieux connaître l’histoire de Yoshiwara, de l’étang Benten et de témoigner de l’étendue du désastre causé par le Grand tremblement de terre du Kantô.

Yoshiwara Tatsuo
Yoshiwara Tatsuo

L’étang Benten avant rénovation. Sa structure vieillissante était sujette aux fuites.
L’étang Benten avant rénovation. Sa structure vieillissante était sujette aux fuites.

Le quartier des plaisirs de Yoshiwara était le cœur battant de la culture d’Edo

Fondé en 1617, Yoshiwara était le seul quartier des plaisirs à Edo bénéficiant de l’autorisation officielle du shogunat. Initialement situé près de l’actuel Ningyô-chô (arrondissement de Chûô), il a dû déménager à Asakusa-tanbo (l’actuel Senzoku 4-chôme, de l’arrondissement de Taitô) en 1657, quand un réaménagement urbanistique de la capitale est devenu nécessaire après la poussée démographique et à l’expansion de la ville. Excentré et donc plus difficile d’accès, le nouveau Yoshiwara est malgré tout devenu le quartier le plus animé de la capitale. Le Japon était alors en paix, les théâtres et les spectacles faisaient florès.

Nous aurions plutôt tendance à imaginer que l’on se rendait seul en cachette au quartier de plaisir, mais Yoshiwara était également un lieu de sociabilisation pour les hommes, jouant le rôle de salon où se réunissaient les artistes et les intellectuels. On y prenait du bon temps dans des banquets animés par les geishas des deux sexes qui étaient à la fois des courtisanes de haut vol, très éduquées et des artistes accomplis. Les pièces de théâtre, la musique, les livres et la mode nés à Yoshiwara se répandaient ensuite dans les rues d’Edo.

« Le Nouvel An à Yoshiwara, les plus grand sites de la capitale de l’Est » (Tôto Meisho Yoshiwara Nenrei-no-zu) d’Utagawa Hiroshige (Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète). Cette estampe représente le quartier de Shin-Yoshiwara fourmillant de visiteurs à l’occasion du Nouvel An.
« Le Nouvel An à Yoshiwara, les plus grand sites de la capitale de l’Est » (Tôto Meisho Yoshiwara Nenrei-no-zu) d’Utagawa Hiroshige (Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète). Cette estampe représente le quartier de Shin-Yoshiwara fourmillant de visiteurs à l’occasion du Nouvel An.

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KichiyaArticles de l'auteur

Photographe d’ukiyo-photo, ou « photographies du monde flottant ». Né en 1961, il grandit au centre de Tokyo. Diplômé de la faculté de droit de l’Université Keiô. C’est en 2013 qu’il commence à photographier des ukiyo-photo, comme il appelle lui-même le fait de photographier de nos jours les lieux qui sont peints sur certaines des estampes ukiyo-e (« peintures du monde flottant ») de l’époque d’Edo. Sa première exposition personnelle a lieu en décembre 2017 à The Gallery 2, au Nikon Plaza Shinjuku. Il donne également des conférences sur les endroits liés aux estampes.

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