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Le musée d’art Seishû Netsuke de Kyoto : un royaume de l’art miniature
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De petits univers tenant dans la paume de la main
Les netsuke japonais sont des figurines soigneusement élaborées jusque dans les plus petits détails. Ils mesurent de trois à cinq centimètres en moyenne et leur complexité leur a valu le qualificatif de « petits univers tenant dans la paume de la main ».
À l’origine, les netsuke n’étaient que de simples cordons destinés à attacher des objets personnels tels que les inrô (boîtes contenant un sceau ou un médicament), les bourses ou les blagues à tabac à la ceinture d’un kimono. À partir du XVIIIe siècle, les netsuke sculptés et peints sont devenus populaires dans toutes les couches de la société. Puis, à l’ère Meiji (1868-1912), on a commencé à les exporter en tant qu'œuvres d’art, et ils ont conquis de fervents amateurs à l’étranger.
Les netsuke en forme de boîtes comme ceux-ci sont souvent ornés de décorations en laque ou en nacre.
Il existe aujourd’hui de nombreuses et riches collections de netsuke en dehors du Japon, dont certaines contiennent des pièces vendues à des dizaines de millions de yens aux enchères à l’étranger. Au Japon, il reste plus de cent artisans spécialisés dans la création de netsuke, mais leurs œuvres ne sont toujours pas appréciées à leur juste valeur dans leur pays d’origine.
En 2007, le musée d’art Seishû Netsuke de Kyoto a été ouvert en vue de préserver et d’exposer l’art traditionnel japonais du netsuke. Hébergé dans une résidence reconvertie de samuraï à Mibu, Kyoto, le musée est le seul établissement de ce genre dédié à ces miniatures. Doté d’une collection de plus de 6 000 œuvres, il en expose 400 en permanence.
Le musée est une ancienne résidence de samuraï. Devant l’entrée, un monument commémore une visite effectuée par la princesse Hisako, veuve d’un cousin de l’empereur émérite Akihito et collectionneuse avérée de netsuke.
L’intérieur traditionnel du musée donne l’impression de faire un voyage en arrière dans le temps.
Selon Date Atsushi, le conservateur en chef du musée, on rencontre des fans et des collectionneurs de netsuke dans le monde entier et, ajoute-t-il, « il arrive même que des visiteurs japonais déclarent qu’ils les ont découverts grâce à des amis étrangers ». Aujourd’hui, les netsuke sont principalement appréciés pour leur beauté, mais, dit Date, ils restent commodes pour porter sur soi des objets tels que les portefeuilles ou les smartphones, qui, observe-t-il, peuvent s’avérer génants lorsqu’on s’assoit. Il utilise lui-même un netsuke pour son portefeuille, mais remarque en riant que la perte d’une œuvre d’art aussi précieuse peut être plus traumatisante que celle de l’objet auquel elle est attachée.
Date Atsushi porte son portefeuille à l’aide d’un netsuke en forme de chat pelotonné. Les miniatures sont toujours pourvues de trous percés à l’arrière pour le passage d’un cordon.
Un accessoire de samuraï
Les premiers netsuke, dit Date, étaient des attaches en forme d’anneaux ou de boucles, et on pense qu’ils proviennent de Kyoto.
Ces attaches figurent sur des représentations de scènes de rue dans la capitale datant de la fin du XVIe siècle, quand les daimyô (seigneurs féodaux) des régions se battaient pour la suprématie sur un état divisé.
À cette époque, le kosode, un prédécesseur du kimono doté d’ouvertures de manches étroites et noué par une mince ceinture obi, est devenu à la mode. Plutôt que de garder leurs objets personnels dans leurs manches, comme avec le vêtement utilisé avant le kosode, les gens ont commencé à suspendre les objets dont ils avaient besoin à la fente de leur habit. Parmi les pionniers de cette mode, figuraient de fringants samouraïs de rang inférieur appelés kabukimono et des nouveaux riches exerçant la profession de marchand dilettante.
Boîte inrô suspendue à l’obi d’un kimono et attachée à un netsuke manjû rond. (Avec l’aimable autorisation du musée d’art Seishû Netsuke de Kyoto)
Au début de l’époque d’Edo (1603-1868), les attaches sont devenues des accessoires standard des samouraïs. Du fait de leur commodité et de leurs qualités décoratives, on les utilisait pour accrocher toutes sortes d’objets. Aux environs de l’ère Genroku (1688-1704), les gens du commun les ont adoptées avec enthousiasme et les ont intégré dans leur tenue de tous les jours. C’est à cette époque qu’elles ont commencé à être connues sous le nom de netsuke.
À l’origine, bien des netuske étaient d’usage pratique et de conception rudimentaire, mais l’essor de la demande a conduit un plus grands nombre d’artisans spécialisés à se lancer dans leur production, par exemple les sculpteurs d’art bouddhique, les fabricants de masques et les graveurs de métaux. Les matériaux utilisés, qui allaient du buis et de l’ébène à la corne de cerf et à l’ivoire, étaient travaillés de façon à inclure des éléments décoratifs tels que couleurs, laquage makie, marqueterie ou nacre.
L’engouement pour les netsuke s’est envolé au XIXe siècle. Le nombre de collectionneurs résolus a augmenté, et certains riches marchands ont été jusqu’à recruter leurs propres artisans. « Tout comme les samouraïs faisaient étalage de leurs épées lorsqu’ils buvaient », explique Date, « les citadins entraient en rivalité pour l’élégance de leurs netsuke. »
Un grand nombre de netsuke classiques sont exposés, tels que la représentation de Hotei (à gauche), l’une des sept divinités du bonheur. À droite, on voit une œuvre contemporaine, elle aussi en bois, représentant des lutteurs de sumô.
Un héritage culturel
À l’ère Meiji (1868-1912), l’adoption très répandue de l’habillement occidental a mis un coup d’arrêt à la vogue des netsuke. Dans le même temps, ils ont gagné la faveur du public occidental en tant qu'œuvres d’art, et les fabricants de netsuke se sont mis à en produire pour l’exportation. Cela a contribué à renforcer la liberté créative et le raffinement artistique, mais eu pour autre conséquence que bien des chefs-d'œuvre ont quitté le Japon, y compris des pièces datant de l’époque d’Edo.
Les salles d’exposition du musée sont aménagées de manière attrayante.
Date déclare qu’il est content de constater que les artisanats traditionnels de son pays sont désormais reconnus dans le monde entier, mais il regrette amèrement que cela ait réduit les opportunités de voir des œuvres d’art de premier plan sur le sol japonais. « Cela pose un problème en termes de transmission de l’héritage culturel et de formation de nouveaux artisans », explique-t-il. Les netsuke sont avant tout achetés par des collectionneurs individuels, et ils sont rarement exposés dans les galeries d’art ou les musées. Lorsque les œuvres d’art sont exportées, il est fréquent que leurs créateurs eux-mêmes ne les revoient jamais.
Cela fait du musée une ressource inappréciable pour la préservation de la maîtrise du métier. Les artistes producteurs de netsuke le visitent régulièrement pour contempler les œuvres de grande qualité, y puiser leur inspiration et peaufiner leurs techniques. Ceux qui ont des œuvres exposées peuvent porter un regard en arrière sur leurs créations et souvent proposer à l’établissement de nouveaux chefs-d'œuvre qu’ils souhaitent ajouter à la collection existante.
À gauche on voit un cordonnier de waraji, ou sandales de paille, tandis que le netsuke de droite représente un épisode de la jeunesse du moine et peintre Sesshû (1420-1506). Les expositions mettent souvent à la disposition des visiteurs des loupes permettant d’agrandir les petits détails ou des miroirs pour voir le dos des œuvres d’art.