Les carpes « nishiki-goï » : comment ce poisson ornemental peut-il regagner l’intérêt des Japonais ?
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L’ancien Premier ministre Tanaka Kakuei a joué un rôle important dans la promotion du nishiki-goï, la carpe de brocart, tant au Japon que dans le reste du monde. C’est un fait connu que la mare du domaine Mejiro de Tanaka contenait 200 poissons de cette espèce, apparue dans les montagnes de Niigata, la préfecture où il est né. De plus, alors qu’il était à la tête du gouvernement, Tanaka a également introduit des nishiki-goï dans une mare créée sur le terrain du palais d’Akasaka, la maison des hôtes d’État.
Désireux de mettre en valeur le statut du nishiki-goï en tant que poisson national du Japon, il a en outre offert des carpes colorées à divers dignitaires et aristocrates étrangers qui lui ont rendu visite. Toutes ces initiatives ont contribué au renforcement des exportations de ces carpes qu’on enregistre aujourd’hui.
Les carpes attirent les acheteurs étrangers
En novembre 2020, deux jours après l’exposition annuelle des carpes nishiki-goï de Niigata, le plus grand événement de ce genre dans le monde, nous nous sommes rendus dans une autre exposition, organisée par d’anciens employés de l’élevage de carpes Dainichi, récompensé par un prix, qui ont créé leur propre entreprise d’aquaculture. Ce modeste événement, qui s’adressait aux professionnels, n’avait attiré qu’un petit nombre de participants étrangers venus d’Europe et d’Asie. On aurait pu penser que ces gens avaient effectué le voyage jusqu’au Japon en dépit de la pandémie de Covid-19, mais il s’agissait en réalité d’acheteurs établis sur place. Aucun doute, la popularité de ces poissons à l’étranger est toujours aussi importante.
Nogami Hisato, président de l’organisme hôte et riche d’une expérience de 40 années d’activité dans le secteur, admet avoir sous-estimé l’intérêt des étrangers pour les nishiki-goï, pensant uniquement à un simple phénomène de mode. « Jadis, je n’ai jamais envisagé que des acheteurs étrangers allaient venir au Japon juste pour se procurer des carpes, ou que je voyagerais à l’étranger pour en vendre. J’étais certain que l’engouement international pour le nishiki-goï n’était qu’un feu de paille, et pourtant, vingt ans plus tard, l’élan est toujours fort. »
Un secteur attractif pour les jeunes, qui rapporte
La jeunesse des acheteurs favorise cette tendance. Au Japon, les fans de nishiki-goï sont en règle générale plus âgés, mais leur assise à l’étranger se compose d’une part non négligeable de jeunes, ce qui suggère que l’intérêt pour le poisson va rester fort dans un avenir prévisible. Malgré le vieillissement incontestable des éleveurs japonais, Nogami soutient que le secteur jouit d’une base solide pour l’avenir, soulignant avec fierté la puissance de la relève que représentent les jeunes générations d’éleveurs.
L’élevage de la carpe est un travail exigeant, qui demande des soins quotidiens, beaucoup de tâtonnements lors du processus de reproduction, et même une sensibilité artistique. Les efforts requis constituent une gageure pour les nouveaux venus dans la profession, mais le marché mondial des nishiki-goï offre aux éleveurs la possibilité de gagner beaucoup d’argent pour peu qu’ils réussissent, ce qui en fait une carrière attractive pour les jeunes.
Les préjugés des Japonais constituent le plus gros obstacle
Isa Mitsunori, chef de la section de Niigata de l’Association panjaponaise de promotion du nishiki-goï, dit que l’afflux de nouveaux éleveurs le réjouit, mais qu’il l’inquiète aussi. Les exportations de ce secteur sont en plein essor et les étrangers achètent au prix fort, mais cet enthousiasme n’est pas partagé par le public japonais, qui, à en croire Isa, commence à oublier à quel point cette espèce de poisson est spéciale. Il attribue ce phénomène à l’incapacité du secteur d’activité concerné à remettre en cause l’image qui assimile le poisson ornemental à un passe-temps pour les riches. Les spécimens haut de gamme atteignent certes des prix élevés, mais Isa souhaite que davantage de gens comprennent qu’ils peuvent se procurer un jeune nishiki-goï pour quelques centaines de yens et le garder dans un aquarium.
La croissance des carpes est proportionnelle à la taille de leur environnement, ce qui explique pourquoi les éleveurs placent leurs poissons dans de grandes mares pendant les mois chauds qui vont du printemps à l’automne. Pour la même raison, un poisson élevé dans un aquarium familial restera relativement petit. En Europe, la carpe juvénile, qui est bon marché, est un animal de compagnie populaire, et ce sont souvent les enfants qui sont chargés de la nourrir.
Isa remarque aussi que les éleveurs de carpes expérimentés sont de plus en plus nombreux en Europe et ailleurs, un phénomène directement imputable aux exportations japonaises de nishiki-goï de premier choix. « Les éleveurs étrangers ont encore des progrès à faire pour atteindre le niveau de leurs homologues japonais », explique-t-il. « Mais nombre d’entre eux, notamment en Chine, obtiennent de bons résultats et seront un jour des concurrents sérieux. » Préoccupé par l’éventualité que le jour vienne où les habitants des pays étrangers ne sauront même pas que le nishiki-goï est originaire du Japon, il affirme que des mesures décisives doivent être prises pour parer à ce danger. « Je pense que nous devons en faire notre poisson national, clamer haut et fort que ce trésor vient du Japon, et renforcer sa popularité auprès de la population locale. »
Un lieu phare pour se familiariser avec les nishiki-goï
« Nishiki-goï no Sato », un lieu touristique situé à Ojiya, dans la préfecture de Niigata, offre aux visiteurs l’opportunité de s’informer sur diverses facettes de la carpe ornementale, notamment son histoire, les variétés existantes et les techniques d’élevage. Juste à côté de la zone d’exposition se trouve un jardin japonais doté d’un grand bassin où nagent plus de 300 poissons.
Le « Nishiki-goï no Sato » a ceci d’unique qu’environ 250 des carpes exposées appartiennent à des particuliers. Les acheteurs de nishiki-goï élevées sur place ont la possibilité de laisser leurs poissons pour au moins un an aux bons soins de l’établissement. À l’issue de ce délai, les propriétaires qui jugent que leurs poissons ont atteint une taille adéquate peuvent les ramener chez eux. Cette formule a le double mérite de garantir que l’effectif des carpes d’élevage augmente et de donner au public l’occasion de voir les poissons. Les visiteurs sont autorisés à nourrir les poissons exposés dans la mare, et les jeunes enfants apprécient particulièrement cette activité.
Les carpes au secours des rizières en terrasse
L’essor de l’élevage de carpes a en outre permis de préserver certains environnements naturels de Niigata, qui constituent par eux-mêmes une attraction touristique. Prenons par exemple la riziculture en terrasses. À mesure du vieillissement des riziculteurs, la méthode agricole traditionnelle tombe en désuétude, en raison des lourdes contraintes qu’elle impose. Mais la conversion des rizières en mares à carpes a permis de préserver le paysage idyllique.
En 2017, des fermes de riziculture en terrasses de la région de Niigata ont été inscrites sur la liste du patrimoine agricole japonais en reconnaissance de l’adoption de dispositifs utilisant la neige pour permettre à la fois la riziculture et l’élevage des carpes. En 2020, le village de Yamakoshi a synchronisé son spectacle d’inauguration montrant des rizières en terrasses sous éclairage électrique avec le célèbre Festival des feux d’artifice de Nagaoka.
Le nishiki-goï bientôt poisson national du Japon ?
Les efforts en vue d’obtenir la reconnaissance du nishiki-goï en tant que poisson officiel du Japon gagnent du terrain. En 2019, le Parti libéral-démocrate (PLD, au pouvoir) a constitué une ligue de parlementaires dédiée à la promotion de la culture liée au nishiki-goï et de l’ensemble de ce secteur d’activité. La même année, un dessin à l’encre de Tanaka Kakuei représentant une carpe illustrée du mot kokugyo (poisson national) figurait sur l’affiche de l’Association panjaponaise de promotion du nishiki-goï.
Les acteurs de ce secteur d’activité espèrent fermement que l’accroissement de la demande étrangère de nishiki-goï va réveiller l’intérêt des Japonais pour ce poisson et favoriser son accession au statut de trésor national.
(Voir également notre article : Les carpes « nishiki-goï », bijoux aquatiques de Niigata et trésors de la clientèle étrangère)
(Reportage, texte et photos de Nippon.com, sauf mentions contraires. Photo de titre : des carpes nageant dans le bassin de « Nishiki-goï no Sato »)