La modernité de l’esthétique traditionnelle
« Hariko » : les traditionnelles figurines en papier mâché font la fierté d’un artisan de Fukushima
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De l’argile au bois, puis au papier japonais
Hashimoto Shôichi est artisan. Il représente la 21e génération de l’entreprise Honke Daikokuya, dans la ville de Kôriyama, dans la préfecture de Fukushima. Ses créations ? Des figurines traditionnelles japonaises en papier maché appelées hariko, fabriquées avec un matériau de qualité, le papier washi.
« Le washi est très malléable. Il ouvre une infinité de possibilités pour mes réalisations ! », s’enthousiasme-t-il.
L’entreprise de Hashimoto appartient au groupe artisanal « Takashiba Deko Yashiki » (la demeure des figurines de Takashiba), et quatre ateliers sont présents dans la ville depuis plus de 300 ans. Le mot deko, correspondant à « figurine », a des origines bien lointaines : les premières figurines jamais fabriquées au Japon remontent à la préhistoire. Elles étaient élaborées avec de l’argile et portaient le nom de dogû. Puis c’est le bois qui a pris la place, et les figurines ont changé de nom ; on les appelait alors deku ou mokugû. Au fil des siècles deku est devenu deko, et le bois est devenu du papier. Aujourd’hui, Takashiba Deko Yashiki, où l’on peut se procurer ces figurines traditionnelles en papier mâché, attire de nombreux visiteurs.
« Pendant l’époque d’Edo (1603-1868), les hariko ont rencontré un grand succès en tant que jouets ou même porte-bonheur » explique Hashimoto. « Ces figurines étaient vendues par des colporteurs dans la région du nord-est, et sont même descendus jusqu’à la capitale Edo, aujourd’hui Tokyo. »
Comment créer un hariko
Pour donner vie aux figurines hariko, les artisans utilisent du papier washi mouillé qu’ils tapotent sur des formes en bois. Ensuite, il suffit d’un peu de colle, et le tour est joué. La future création n’a plus qu’à être laissée à sécher.
Une fois que le papier est sec, une incision est faite pour en extraire la forme à partir du bois. Pour la décorer, on la recouvre alors de nikawa, un adhésif obtenu après avoir porté à ébullition des peaux ou des ossements d’animaux, des arrêtes de poissons ou autres. L’artisan applique une couche de gofun, une préparation à bases de coquillages concassés, laquelle lui donnera sa blancheur immaculée. La touche finale : un motif coloré peint manuellement par l’artisan. Pour rendre la figurine plus solide, de multiples couches de papier washi sont superposées les unes sur les autres.
Les pièces de bois qui sont utilisées comme moule pour donner leurs formes à toutes ces créations, que ce soient les figurines classique d’animaux, les daruma aux formes généreuses ou encore les masques, sont transmises de génération en génération dans chaque atelier du groupe Takashiba Deko Yashiki.
Les animaux du zodiaque sont les plus populaires
Si les figurines hariko sont si malléables, c’est grâce aux multiples couches de papier washi utilisées. Les artisans peuvent ainsi les façonner pour donner des formes élégantes. Les plus typiques sont les douze animaux du zodiaque japonais (eto) ou encore des offrandes votives.
Les hariko, ce sont aussi des objets de bonne augure, dont le plus connu est à l’effigie du tigre. Encore aujourd’hui, pour de nombreux parents, l’animal symbolise un enfant robuste et en bonne santé. En temps de guerre, ces figurines étaient souvent disposées à l’extérieur des maisons des familles dont les fils avaient été envoyés au front. À la manière du tigre qui revient toujours dans sa tanière après la chasse, ils porteraient bonheur à ces jeunes hommes qui retrouveraient les leurs sains et saufs.
Parmi les célèbres créations hariko de l’atelier de Hashimoto Shôichi, citons les Miharu-goma, des pièces de bois de couleur noire ou blanche en forme de cheval. Le cheval noir symbolise le désir d’avoir des enfants et/ou de prier pour leur bonne santé, tandis que le cheval blanc symbolise la longévité.
Comme nous l’avons vu, le travail de fabrication des figurines hariko passe par le collage de morceaux de papier washi sur des pièces de bois et la peinture du motif sur la forme obtenue. La dernière étape, c’est la commercialisation du produit final. Hashimoto vend lui-même ses créations, et accueille également les clients à son atelier. Son lieu de travail comprend donc un espace réservé à la vente. Ainsi, la réputation du quartier de Takashiba en tant que lieu touristique n’est plus à faire et la boutique de Hashimoto attire de nombreux visiteurs les week-ends et pendant les vacances de fin d’année et du Nouvel An. C’est effectivement à ce moment que les hariko à l’effigie des douze animaux du zodiaque japonais sont particulièrement prisés.
Un créateur à plein temps
Jusqu’à la génération des parents de Hashimoto, la fabrication de figurines hariko était une activité secondaire pour les agriculteurs. « Mes parents travaillaient vraiment beaucoup. Lorsqu’ils n’étaient pas dans les champs, ils étaient toujours attelés à la création de hariko. Ce travail leur prenait une grande partie de leur temps, si bien qu’ils n’en avaient plus pour s’occuper de moi. Je n’avais vraiment pas envie de devenir comme eux. »
Hashimoto s’est inscrit à l’université, où il a étudié les beaux-arts. Il est ensuite devenu professeur d’arts plastiques dans un collège. Si son métier le passionnait, il a dû démissionner après six ans pour reprendre le commerce familial, lorsque son père est tombé malade. Après une période d’apprentissage où il s’est familiarisé avec sa nouvelle profession, en 2010, il a pris officiellement les rênes de l’atelier Honke Daikokuya.
La catastrophe de Fukushima : « tomber sept fois, se relever huit »
Si son style de travail est plutôt traditionnel, Hashimoto a toujours été convaincu de la multitude de possibilités de créations des figurines hariko. Le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011 ont agi comme un déclic, l’occasion pour lui d’explorer de nouvelles idées de créations.
Situé à une cinquantaine de kilomètres de la côte, l’atelier de Hashimoto n’a pas été touché par le raz-de-marée. Le sol y est particulièrement dur, si bien que les secousses ou même les dégâts n’y ont été que légers. Mais la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi, dont le réacteur est entré en fusion à plusieurs reprises durant la catastrophe, est également située à une cinquantaine de kilomètres du littoral. Dans les premiers jours qui ont suivi le séisme, Hashimoto craignait de devoir évacuer.
S’il n’a pas eu à le faire, et que la vie n’y a été que peu perturbée, sans panne d’électricité ou d’eau, le désastre a tout de même considérablement bouleversé la vie quotidienne de la population. Hashimoto a dû cesser son activité, tout du moins pendant un temps. Mais loin de se laisser abattre, l’artisan a su rebondir, motivé plus que jamais pour venir en aide aux habitants de la région du Tôhoku (le nord-est du pays). Et son inspiration, il l’a trouvée dans la poupée daruma. Communément associée à l’expression shichiten hakki (七転八起), « tomber sept fois, se relever huit », elle est le symbole de la résilience, synonyme pour lui des efforts de reconstruction de la région.
Après avoir repéré dans son atelier une pièce de bois adaptée, Hashimoto a fabriqué son premier daruma qu’il a nommé « Prière pour la reconstruction ». Contrairement aux formes rondes des traditionnels daruma, les Miharu-daruma ont des lignes plus allongées. ils ont un visage rouge et des yeux au regard perçant. Selon la légende, ils seraient un moyen de prévenir les catastrophes naturelles.
Ainsi, Hashimoto Shôichi a promené son daruma aux quatre coins du Japon, arborant fièrement les caractères 復興 (fukkô) qui signifient « reconstruction », un moyen pour lui de faire la promotion des produits de sa région. Ceux qui le souhaitaient pouvaient laisser un message de soutien sur le daruma, une idée qui a même attiré l’attention des médias.
Collaborations avec une star de foot, un designer de renom ou un grand architecte
Grâce à ses activités de soutien pour la région du Tôhoku, Hashimoto Shôichi a pu rencontrer des personnes qui ne faisaient pas partie du secteur artisanal traditionnel. Et l’une d’entre elles n’était autre que Nakata Hidetoshi, ancien membre de l’équipe de football du Japon. Loin du terrain, il est surtout celui qui a porté à bout de bras le Revalue Nippon Project, pour la promotion et le développement de l’artisanat traditionnel. (Voir notre article : L’étonnante reconversion de Nakata Hidetoshi, ex-star du foootball japonais)
En autres notables collaborations, en juin 2011, Hashimoto Shôichi rejoint l’équipe dirigée par Nigo, qui n’est autre que le fondateur de la marque de vêtements A Bathing Ape et aujourd’hui directeur artistique de la maison Kenzo. Il travaille de même avec le célèbre architecte d’intérieur Katayama Masamichi, pour lequel il crée un ours polaire hariko géant de 2,4 mètres de long. Hashimoto n’avait jamais fabriqué de figurine aussi imposante. Pour lui, le plus difficile a été la reproduction d’une fourrure qui ait une apparence réaliste. Et il y est arrivé ; en effilant les fibres du papier washi pour les faire ressembler à de la vraie fourrure. Cet ours polaire est devenu la création phare du projet.
Dans le cadre du East Japan Project, Hashimoto Shôichi a également collaboré avec Kuma Kengo, architecte du Stade Olympique de Tokyo. Pour ce projet, Hashimoto devait créer un stylo qui représente les deux jouets traditionnels de la préfecture de Fukushima : le okiagari koboshi à tête pointue, qui se relève quoiqu’il arrive, et la vache akabeko rouge, célèbre emblème de la préfecture.
Encore aujourd’hui, le savoir-faire des créations hariko se transmet d’un bout à l’autre du Japon. Seulement, les artisans capables de fabriquer des pièces de bois pour ces figurines se font de plus en plus rares. Hashimoto Shôichi, enfant de la balle qui a grandi en regardant ses parents eux-mêmes créer des hariko, et qui a étudié les beaux-arts, était la personne idéale non seulement pour participer à des projets de soutien pour la région du Tôhoku mais également pour pousser ses activités à un niveau supérieur.
La figurine du tigre et le daruma créés en 2016 par Hashimoto Shôichi sont encore proposés à la vente dans son atelier. Mais l’artisan ne se contente pas de sa propre activité, il apporte également son aide aux entreprises locales. Un exemple parmi d’autres : la création d’emballages hariko pour les sandwiches Cream Box sur lesquels est dessiné à l’extérieur — avec un réalisme surprenant — ce qu’elles contiennent à l’intérieur.
Pour redorer l’image de Fukushima
Depuis la catastrophe du 11 mars, le nombre de visiteurs dans les quatre ateliers du groupe Takashiba Deko Yashiki a chuté de plus de la moitié. Lorsqu’il était professeur, Hashimoto Shôichi aimait beaucoup interagir avec ses élèves, pendant les cours de peintures et ateliers de création de hariko. Ces dernières années, aucune école ne s’est intéressée à son atelier ou n’a intégré une visite des lieux dans le cadre d’un voyage scolaire, au grand dam de l’artisan.
Hashimoto déplore la situation : « À cause de la catastrophe, encore aujourd’hui, les agriculteurs et les pêcheurs de Fukushima paient toujours le prix de la mauvaise image de leurs produits. Même si on pourrait croire le contraire, je pense que c’est aux artisans comme moi de redorer l’image de la région et de la rendre plus positive. La question de l’innocuité des produits suscite des inquiétudes dans le monde entier. »
Pour Hashimoto, voyager à l’étranger est essentiel : c’est l’occasion d’exposer ses œuvres lors d’événements promotionnels pour le Japon. Il a rencontré des artisans des quatre coins de la planète avec lesquels il a échangé son point de vue et se dit sincèrement surpris que tant de personnes connaissent maintenant Fukushima. Et il ne ménage pas ses efforts pour redorer l’image de sa région natale, car le temps et l’argent consacrés aux activités menées par la préfecture et les associations touristiques locales elles-mêmes n’ont que très peu changé la situation...
Importer une fête espagnole à Fukushima
Hashimoto Shôichi rêve d’organiser un jour à Fukushima les Fallas de Valence, une fête traditionnelle espagnole. Pendant cinq jours, des figurines de papier mâché hautes de plus de 10 mètres de haut défilent dans les rues de la ville, dans une atmosphère de fête où tout le monde chante, danse et où l’alcool coule à flot. Pour le clou de l’événement, une figurine est choisie et est désignée comme grande gagnante des Fallas. Toutes les autres sont brûlées dans un immense feu de joie. Hashimoto a déjà pris ses renseignements auprès d’artisans espagnols ; il entend bien faire venir les Fallas dans sa région.
« Fukushima, c’est là où prennent vie certaines des créations hariko les plus connues au Japon, comme la vache akabeko d’Aizu ou encore le daruma de Shirakawa. J’aimerais organiser un grand festival où les artisans locaux créeraient d’énormes figurines en papier mâché et les feraient défiler dans toute la préfecture. Et le festival se terminerait par un gigantesque feu de joie. Je pense qu’un événement comme celui-ci dynamiserait le tourisme à Fukushima. Il permettrait également d’attirer l’attention sur l’artisanat traditionnel hariko et d’encourager les artisans à se perfectionner. »
Atelier Honke Daikokuya
- Adresse : 163 Takashiba aza-Tateno, Nishita-machi, Kôriyama-shi, Fukushima-ken
- Ouvert toute l’année
- Horaires : 9 h à 17 h
(Reportage, texte et photos de Nippon.com, sauf mentions contraires)