La modernité de l’esthétique traditionnelle
Voyage au pays des « kokeshi », les intriguantes poupées traditionnelles japonaises
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Des poupées aux multiples visages
Les kokeshi ont fait leur apparition dans les villes thermales du nord-est du Japon, une vaste région appelée Tôhoku, au cours de la seconde partie de l’époque d’Edo (1603-1868). À un moment donné, les artisans qui fabriquaient des bols (wan) et des plateaux (bon) en bois à l’aide de tours à bois horizontaux se sont mis à utiliser des chutes pour faire des jouets. Si bien qu’à l’origine, les kokeshi étaient suffisamment petites pour tenir dans la main d’un enfant. Elles ont ensuite été vendues en tant que souvenirs aux visiteurs des sources thermales avec un tel succès que leur production s’est diversifiée en termes de taille, de forme et de décor.
La première revue spécialisée consacrée aux kokeshi a été publiée au début de l’ère Shôwa (1926-1989). Elle a tellement vanté les mérites des poupées du Tôhoku en tant qu’artisanat traditionnel et même qu’œuvres d’art qu’elle a suscité un véritable engouement à leur égard. Au cours de la deuxième partie des années 1960, on a assisté à second « boom » des kokeshi qui a coïncidé avec la période de croissance rapide de l’économie japonaise. Les stations thermales du Tôhoku ont alors connu une grande affluence et les kokeshi se sont vendues comme des petits pains en tant que souvenirs.
Des kokeshi particulièrement inventives
Depuis le début des années 2010, le succès des kokeshi est reparti de plus belle, en particulier parmi des jeunes femmes qui se qualifient elles-mêmes de kokeshi joshi, littéralement « femme kokeshi ». Celles-ci collectionnent non seulement des poupées traditionnelles du Tôhoku mais aussi une nouvelle forme de « kokeshi originales » (sôsaku kokeshi) fabriquées dans tout le Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les sôsaku kokeshi les plus connues sont les « kokeshi à tête de kappa » facilement reconnaissables à leur coupe de cheveux au carré caractéristique (le kappa est une créature folkorique japonaise très populaire). Mais elles peuvent aussi prendre toutes sortes d’autres formes, notamment d’animaux ou de personnages de dessins animés.
Une de ces kokeshi, créée en 2015, s’est fait particulièrement remarquer, y compris à l’étranger. Elle a en effet l’apparence d’un avion constitué d’une poupée dotée d’ailes et reposant sur un socle. L’Office du tourisme de la préfecture de Miyagi a choisi cet objet on ne peut plus « mignon mais un peu bizarre » (kimokawaii) comme mascotte officielle. Et l’ « avion-kokeshi » a également figuré sur les affiches de cinq compagnies aériennes locales, dans le cadre d’une campagne publicitaire de grande envergure.
En raison du développement considérable du tourisme en provenance de l’étranger, les kokeshi sont également devenues célèbres en dehors de l’Archipel, notamment en Europe où elles sont de plus en plus appréciées par les collectionneurs à cause de la sobriété de leurs lignes caractéristique de l’esthétique japonaise.
Les douze styles de kokeshi
Pendant la seconde moitié de l’époque d’Edo (1603-1868), les sources thermales (onsen) du Tôhoku étaient surtout fréquentées par des paysans venus s’y détendre après la période épuisante des travaux des champs. Les artisans spécialisés dans la fabrication d’objets en bois et de kokeshi ont été sollicités par ces visiteurs en quête de souvenirs à ramener chez eux et dès lors, ils se sont mis à peindre leurs créations, jusque-là en simple bois blanc. S’ils ont utilisé aussi souvent le rouge, c’est parce que cette couleur traditionnellement de bon augure avait la réputation de tenir à l’écart les esprits malfaisants et les maladies telles que la variole qui sévissaient à l’époque. Revigorés par les eaux bienfaisantes des sources chaudes, les paysans retournaient dans leur village avec une poupée kokeshi censée leur assurer de bonnes récoltes. Et s’ils en rapportaient une comme jouet à leurs enfants, c’était avec l’espoir qu’elle leur permettrait de grandir en bonne santé.
L’origine du terme kokeshi est mal connue et elle a donné lieu à toutes sortes de spéculations. Qui plus est, ce n’est pas le seul mot utilisé pour désigner les poupées japonaises. Celles-ci portent en effet traditionnellement d’autres noms en fonction de leur lieu de production. Par exemple kogesu, kiboko ou deko. Toutefois à l’occasion d’une réunion d’artisans et de collectionneurs organisée en 1940, il a été décidé que le mot kokeshi écrit en hiragana leur servirait désormais de nom standard. Et c’est ce qui s’est passé depuis.
Les kokeshi sont fabriqués dans toute la région du Tôhoku, mais les trois principaux centres de production sont ceux de Naruko, situé à Ôsaki, dans la préfecture Miyagi, de Tôgatta, situé à Zaô, dans la préfecture de Miyagi, et de Tsuchiyu, dans la préfecture de Fukushima. Les poupées traditionnelles japonaises sont en général classées en douze grands types en fonction entre autres de leur forme, de leur décor, des techniques mises en œuvre pour leur réalisation et de leur provenance.
1/ Style Tsugaru (préfecture d’Aomori)
Les kokeshi de style Tsugaru proviennent essentiellement des villes thermales de Nuruyu et d’Ôwani qui se trouvent dans le district de Tsugaru de la préfecture d’Aomori. La plupart d’entre elles ont une coupe de cheveux au carré caractéristique. La tête et le corps sont sculptés dans un morceau de bois d’un seul tenant. La taille est marquée et la partie inférieure du corps fait penser à une jupe descendant jusqu’au sol. Les poupées japonaises de style Tsugaru sont souvent ornées de motifs représentant Bodhidharma (daruma), le fondateur du zen, ou des pivoines, emblème du clan Tsugaru.
2/ Style Nanbu (préfecture d’Iwate)
Les poupées de style Nanbu ont une tête légèrement mobile qui émet un petit claquement (kina kina) lorsqu’on la fait tourner. À l’origine, elles étaient dépourvues de décor, ce qui avait l’avantage de mettre en valeur la beauté du bois. Mais avec le temps, les artisans se sont laissés influencer par les kokeshi de style Naruko et Tôgatta et ils ont fini par les peindre. Elles sont pour l’essentiel fabriquées dans les villes de Hanamaki et de Morioka de la préfecture d’Iwate.
3/ Style Kijiyama (préfecture d’Akita)
Les poupées de style Kijiyama sont faites d’une seule pièce de bois. Elles se caractérisent par une tête de petite taille, souvent de forme allongée, dont les cheveux sont dans bien des cas coupés au carré et surmontés par une sorte de ruban rouge. Les kokeshi de Kawatsura, qui font partie de ce style, ont quant à elles la particularité d’être revêtues d’un kimono orné de rayures rouges et vertes ou de motifs représentant une fleur de prunier ou de chrysanthème.
4/ Style Naruko (préfecture de Miyagi)
La tête des kokeshi de style Naruko est reliée à leur corps par une simple cheville et lorsqu’on la fait tourner, elle émet une sorte de petit grincement (kii kii). Le corps légèrement incurvé de ce type de poupées est décoré avec de superbes motifs représentant des fleurs de chrysanthème ou des feuilles d’érable qui rehaussent la beauté de l’expression de leur visage.
5/ Style Sakunami (préfecture de Miyagi)
Le corps des poupées de style Sakunami est suffisamment étroit pour tenir dans la main d’un enfant, ce qui rappelle la fonction d’origine de jouet des kokeshi. Les épaules et le socle sont façonnés au tour à bois et le milieu du corps, souvent orné de chrysanthèmes dont la forme rappelle celle d’un crabe (kani kiku). À l’heure actuelle, un seul atelier du Tôhoku fabrique encore des kokeshi de style Sakunami. Il s’agit du Hiraga kokeshi-ten, situé à Sendai, dans la préfecture de Miyagi.
6/ Style Tôgatta (préfecture de Miyagi)
Les poupées de style Tôgatta ont une tête relativement volumineuse dont le sommet est doté d’une parure de cheveux de couleur rouge. Leur corps est décoré de motifs de fleurs de chrysanthème, de prunier ou de cerisier aux brillantes couleurs. Et leurs yeux en forme d’amande ou de croissant de lune donnent l’impression qu’elles sont en train d’esquisser un sourire timide.
7/ Style Yajirô (préfecture de Miyagi)
La tête des poupées de style Yajirô est nettement plus développée que leur corps et son sommet est couronné par un ensemble de lignes faites au tour à bois qui forment une sorte de béret.Ce type de kokeshi est remarquable à la fois par son corps sinueux avec une taille bien marquée et par son décor élaboré qui dessine l’encolure et l’ourlet d’un kimono aux couleurs éclatantes.
8/ Style Hijiori (préfecture de Yamagata)
Les poupées de style Hijiori ont indéniablement été influencées par celles de type Naruko et Tôgatta. Mais elles s’en distinguent aussi par leurs yeux en forme de croissant de lune auxquels elles doivent leur expression bienveillante et leur charme singulier. Le corps aux épaules bien marquées est de couleur jaune et il est en général orné de motifs de fleurs de chrysanthème. Quand ces kokeshi sont de grande taille, leur tête est parfois remplie de haricots rouges azuki qui font une sorte de cliquetis quand on les agite.
9/ Style Yamagata (préfecture de Yamagata)
Les kokeshi de style Yamagata ont la particularité d’être fabriquées non pas dans une station thermale mais en plein cœur de la ville de Yamagata, capitale de la préfecture du même nom. Elles auraient été créées par des artisans qui auraient appris leur métier à Sakunami, dans la préfecture de Miyagi. Elles se caractérisent par une tête de petite taille et un corps longiligne décoré avec des fleurs de prunier, de cerisier ou de chrysanthème et parfois même de carthame (beni no hana), l’emblème de la préfecture de Yamagata.
10/ Style Zaô Takayu
Ce style de kokeshi, fortement influencé par celui de Tôgatta, s’est développé d’abord dans la station thermale de Zaô, puis dans les villes de Yamagata, Yonezawa et Tendô de la préfecture de Yamagata. Il se caractérise par un corps massif et volumineux, légèrement resserré vers le bas, et décoré entre autres de fleurs de chrysanthème, de cerisier ou de pivoines. La tête de la poupée est dotée d’un bandeau rouge (tegara) caractéristique de la coiffure traditionnelle des femmes mariées de l’Archipel.
11/ Style Tsuchiyu (préfecture de Fukushima)
Le style Tsuchiyu se caractérise par une tête de petite taille posée sur un corps étriqué. Le sommet de la tête est décoré par un motif en forme de cible et le front, par une sorte de frange aux allures de dévidoir (kase). Tout le charme de ces poupées réside dans leur nez allongé et leur toute petite bouche de couleur rouge. Le corps est marqué par des fines lignes circulaires réalisées au tour à bois et rehaussées par des traits de couleur et des motifs de vagues qui constituent la marque de fabrique de ces kokeshi.
12/ Style Nakanosawa (préfecture de Fukushima)
Les kokeshi de style Nakanosawa sont fabriquées dans la station thermale de Nakanosawa, au pied du mont Aizu Bandai. Elles sont dotées de grands yeux inquiétants enfoncés dans d’immenses orbites rouges, d’un nez épaté et d’un corps cylindrique orné de pivoines ou de fleurs de cerisier. Bien que qualifiées familièrement de tako-bôzu, littéralement « moine-pieuvre », ces étranges poupées sont censées représenter une entité féminine. Il existe toutefois un modèle masculin de kokeshi de Nakanosawa appelé ao-bôzu, littéralement « moine bleu ». Une rareté dans le monde essentiellement féminin des kokeshi.
(Reportage, texte et photos : Shoepress. Photo de titre : kokeshi de style Yamagata exposées au Musée Genkyô no kokeshigun Nishida kinenkan de la ville de Fukushima. Photo avec l’aimable autorisation du Comité pour la promotion de la reconstruction et du tourisme de la préfecture de Fukushima)