Les milles et une merveilles de Kyoto
Les « machiya » de Kyoto : des maisons ingénieuses qui font appel aux cinq sens
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« À l’époque où Kyoto est devenue la capitale du Japon au VIIIe siècle, les machiya désignaient des stands de petite taille sur le marché ou pour le commerce des marchandises », explique Matsui Kaoru qui, à la fois en tant qu’architecte et en tant que chef d’entreprise, aide à restaurer ces bâtisses et à leur trouver de nouveaux locataires. « Plus tard se sont formés des quartiers d’habitations, et les machiya que nous connaissons aujourd’hui ont vu le jour. »
Les villes et les modes de vie se sont développés au fil des siècles, tout comme les machiya. Le dernier millénaire a vu l’introduction de nombreuses innovations et de normes communes à chacune de ces maisons traditionnelles. En mai 2017, la ville de Kyoto comptait encore plus de 40 000 de ces résidences en bois construites avant 1950.
Un mode de logement écologique
Les machiya que nous rencontrons aujourd’hui à Kyoto, dont le style a vu le jour vers le milieu de l’époque d’Edo (1603 -1868), ont été construites avec des matériaux 100 % naturels. Et dans le respect de ces matériaux, certaines parties de ces maisons ont été rénovées en prenant en compte leur cycle naturel de croissance.
« La paille, par exemple, est produite chaque année. Dans un souci de respect de son cycle de production, elle a donc été remplacée annuellement », explique Matsui Kaoru. « Pour le kôzo (mûrier à papier), le mitsumata (buisson papier) – dont les fibres d’écorce sont utilisées pour fabriquer du papier japonais washi – et le bambou, il faut compter au moins trois ans pour pouvoir les utiliser comme matériaux de construction. C’est pourquoi, les papiers et les meubles en bambou, suivant ces cycles naturels, ont connu des améliorations au même rythme. Il faut plusieurs dizaines d’années aux arbres pour arriver à maturité, si bien que des mesures ont été prises pour prolonger la durée de vie du bois, que ce soit par le biais de réarrangements ou de renforcements. »
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Ainsi, tous les matériaux remplacés pouvaient être brûlés comme combustibles directement dans le poêle de chauffage de la cuisine et les cendres, naturelles elles aussi, pouvaient être utilisées par les agriculteurs voisins comme engrais. Ce cycle naturel permettait ainsi un mode de vie écologiquement durable.
Un autre élément avait déjà été pris en compte à cette époque : l’humidité. Et certaines caractéristiques des machiya ont été pensées pour remédier à ce problème. « L’humidité peut être maintenue à environ 50 % ou 60 % 365 jours par an », explique Matsui Kaoru. « Même par des temps très humides à l’extérieur, disons environ 80 %, les machiya, des bâtisses véritablement écologiques, sont conçues pour faire baisser ce niveau. Comment était-ce possible à cette époque ? Le secret, c’est leur méthode de construction : le shinkabe-zukuri. Les piliers restent exposés sur les côtés d’un mur en plâtre, offrant de nombreux avantages. Le shinkabe-zukuri est particulièrement utilisé pour faire baisser un niveau d’humidité en temps normal élevé. »
Au Japon, l’humidité est un élément indissociable de la saison estivale. Pendant la saison des pluies, par exemple, le revêtement en papier des portes coulissantes shôji se gorge d’humidité, devenant lourd. Chaque pilier exposé absorberait ainsi jusqu’à environ un demi-litre d’humidité. La maison dans son ensemble respire, distillant l’air extérieur pour apporter du confort aux occupants à l’intérieur.
Une ingénieuse utilisation de la lumière et de l’air
Qui a dit que les machiya étaient sombres et froides ? Elles font appel à mille et une astuces pour laisser entrer la bonne quantité de soleil et d’air. Les larges corniches : elle gardent le soleil à l’extérieur pendant l’été étouffant, mais lui permettent d’atteindre l’arrière de la pièce lorsque le soleil est bas en hiver. Une engawa, semblable à une véranda, adjacente à la cour offre une poche d’air, qui fonctionne comme une isolation naturelle, de la chaleur comme du froid, tout au long de l’année.
Les lucarnes (tenmado) ont une double fonction : elles laissent pénétrer la lumière par le toit, mais elles peuvent également refroidir les pièces en libérant de la chaleur. Les cours intérieures permettent également une bonne ventilation ; le fait d’asperger le sol avec de l’eau dans la rue en plein été, appelé uchimizu, crée un petite poche d’air et attirera l’air dans la maison par l’intermédiaire de la cour ouverte. En versant de l’eau à l’extérieur dans la chaleur étouffante, les habitants des machiya, eux, peuvent se réjouir d’une fraîche brise.
Dissiper l’énergie sismique
Comme dans les maisons ordinaires, les machiya sont construites avec des poutres et des colonnes. Mais on y trouve également des rangées de joints nuki, similaires aux glissières horizontales perçant les piliers des portiques torii des sanctuaires shintô.
Dans les machiya de Kyoto, on retrouve également une multitude de morceaux de bois croisés verticalement et horizontalement, à partir de claire-voie, de portes coulissantes shôji et de lattes takekomai utilisées pour les murs en terre au niveau des colonnes et poutres qui forment la charpente de base de la maison. Il n’y a presque pas de matériaux de contrefort en diagonale. Le bâtiment lui-même repose simplement sur une fondation en pierre, toutefois avec un espace entre les deux.
Ces caractéristiques peuvent apparaître comme des faiblesses par rapport aux normes architecturales modernes. Mais les machiya offrant justement peu de résistance, elle tiennent étonnamment bien le choc face aux tremblements de terre. Les piliers resteront en place pendant des secousses d’une intensité pouvant aller jusqu’à 4 sur l’échelle d’intensité sismique japonaise (appelé shindo).
« Les murs en terre sont rigides mais ils peuvent absorber des séismes d’intensité moyenne », explique Matsui Kaoru. « Dans le cas de secousses plus importantes, il y a suffisamment de facilité de mouvements dans la charpente en bois et de joints pour disperser l’énergie sismique. Conséquence : la maison reste intacte. »
Comme la bâtisse ne fait que reposer sur les fondations, elle peut être dissociée de la sous-structure en cas de séisme majeur, ce qui lui permet d’isoler la plupart de la force sismique. Ainsi, la machiya est conçue pour résister aux tremblements de terre : solide en cas de séismes de taille moyenne, suffisamment souple pour résister à des secousses de grande ampleur et enfin, sa structure d’isolation de la base lui permet d’éviter un impact sismique dévastateur. Cette triple caractéristique suscite un vif intérêt dans le monde de l’architecture contemporaine.
Un lieu de « retraite » en pleine ville
Leur façade étroite et leurs intérieurs eux aussi étroits et tout en profondeur valent souvent aux machiya de Kyoto le surnom de unagi no nedoko (littéralement, « nid d’anguille »). Ce style a évolué pendant l’époque d’Edo, les taxes foncières étaient alors prélevées en fonction de la largeur de la façade du bâtiment.
Le côté de la façade donnant sur la rue était le point d’entrée en contact avec la société ; l’arrière du bâtiment, avec sa cour intérieure, permettait une communion avec la nature. « Le temps s’écoule différemment selon que l’on se trouve côté rue ou à l’arrière de la maison », explique Matsui Kaoru. Dans la boutique, il y a des règles et des délais à respecter, mais tout autour de la cour, rien de tout cela ; vous devenez maître du temps. « Allez et venez entre les deux zones et vous verrez à quel point l’environnement naturel est fondamental pour le fonctionnement de la société humaine ».
L’utilisation de matériaux naturels a la particularité de rendre notre oreille plus attentive au moindre bruit et aux différents jeux d’ombre et de lumière, nous aidant à nous acclimater à la lumière douce, qui n’agresse pas l’œil, et qui filtre à travers le shôji, à la chaleur qui émane des murs de terre et les piliers apparents, au sol en bois rutilant et à la sensation de fraîcheur procurée par le tatami en plein été.
« Dans une machiya, il est quelque chose d’intemporel, capable d’éveiller nos cinq sens à la fois », nous confie Matsui Kaoru. « Cette simple bâtisse a le pouvoir de nous aider, nous simples humains, à garder les pieds sur terre en dépit des changements sociaux toujours plus rapides. Vu sous cet angle, je pense qu’une machiya est au final ce que la société moderne recherche ».
S’asseoir tranquillement seul près de la cour ; c’est peut-être cela l’expérience la plus aboutie pour apprécier les mille et un bienfaits d’une machiya. À l’extérieur, la rue animée, oppressante, qui grouille ; à quelque pas un monde où tout n’est plus que paix et quiétude – pour ainsi dire une « retraite en montagne » en pleine ville. Prendre son temps et explorer les multiples expressions de la cour sous différents angles, de différentes positions et sous la lumière changeante du soleil : à n’en pas douter, qui visitera une machiya verra ses sens en émoi.
Voir également notre article précédent sur les machiya : L’architecture des maisons traditionnelles de Kyoto, les « machiya »
(Reportage et texte de Sugimoto Kyôko. Photos : Hamada Tomonori)