Les règles de savoir-vivre au Japon
L’art de se déchausser : « genkan », l’entrée des maisons traditionnelles japonaises
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Quand le climat façonne la forme architecturale
Tout le monde sait qu’au Japon, il est coutume de se déchausser à l’entrée des maisons. Il en va de même pour les auberges (ryôkan), les temples et même les restaurants au sol recouvert de tatamis. Traditionnellement les Japonais étendent leur futon à même les tatamis et s’assoient sur le sol pour manger ; garder un sol propre est donc crucial, pas de chaussures à l’intérieur.
Se déchausser est une coutume qui existe dans d’autres pays, mais au Japon les entrées, souvent carrelées, sont un espace à part. On y entrepose les chaussures et des marches servent à marquer une frontière symbolique entre l’intérieur et la rue.
L’agencement d’une entrée (genkan)
Une entrée (genkan) typique compte quatre parties. (1) Il y a tout d’abord la partie en terre battue ou carrelée appelée tataki. (2) Puis une marche appelée agari kamachi, ce seuil délimite et marque la frontière entre l’intérieur et l’extérieur. On peut le cas échéant s’y asseoir pour se déchausser ; cette dénivellation permet notamment que la poussière de la rue n’entre dans la maison. (3) Une marche intermédiaire dite shikidai vient parfois doubler la première pour faciliter l’accès si la hauteur est trop importante. (4) Le sol du hall d’entrée est en bois, on y dépose les pantoufles.
Au Japon, les étés sont chauds et humides et les hivers secs. Les maisons traditionnelles, adaptées au climat de l’Archipel, sont généralement en bois pour éviter l’humidité. Surélever les bâtiments permet de préserver les fondations et éviter qu’elles moisissent. Une certaine dénivellation étant nécessaire, des marches se sont imposées dans les entrées, ce agari kamachi, est souvent en bois de parement.
Les immeubles modernes en béton ne devraient pas avoir besoin de ces marches mais la coutume est restée : ce seuil surélevé indique de manière claire l’espace dédié, le lieu fait pour se déchausser. Peu importe le type d’habitation, la culture japonaise et son goût pour la propreté aime à signaler que tout ce qui est impur doit être tenu hors de la maison. À l’instar des portiques (torii) des sanctuaires shintô, le genkan des maisons marque la frontière entre l’« intérieur » et l’« extérieur ».
En cas de visites brèves ou informelles, il arrive souvent que les maîtres de maison traitent leurs petites affaires dans le genkan. Cet espace d’accueil informel est parfois décoré d’un tableau ou d’un bouquet de fleurs posé sur le meuble à chaussures.
Comment se déchausser
À l’intérieur, il est préférable de ne pas se promener pieds nus afin de ne pas salir les sols. En été, quand il fait chaud et que l’on porte des sandales, mieux vaut préparer une paire de petites chaussettes qu’on prendra soin de mettre avant d’enfiler les pantoufles. Autrefois, quand les Japonais portaient des sandales de paille (zôri) ou en bois (geta), on avait coutume de se laver les pieds à l’entrée ou de mettre des chaussettes (tabi) propres avant d’entrer.
Il est également de bon ton d’enlever son manteau dans l’entrée afin d’éviter que la saleté du dehors ne pénètre les lieux. De même, tout cadeau doit être sorti de son sac ou baluchon en tissu (furoshiki) dans l’entrée avant d’être offert ensuite à l’ intérieur après les salutations formelles. Si le cadeau est une plante en pot ou de la nourriture fraîche, il doit au contraire être remis à l’hôte dans le genkan, afin d’éviter des salissures ou des odeurs dans la maison.
Il convient d’enlever ses chaussures puis de les positionner soi-même à la main pour qu’elles soient bien rangées, en prenant soin de ne jamais tourner le dos à l’hôte.
Comment se déchausser étape par étape
- Avant d’entrer, enlevez vos chaussures en commençant par le pied le plus éloigné de l’hôte (ainsi vous ne le bousculeriez pas si par mégarde vous perdiez l’équilibre).
- Veillez à ne pas utiliser la marche pour retirer vos chaussures. Si nécessaire, accroupissez-vous pour être sûr de vous déchausser sans tomber, et surtout, ne tournez pas le dos à votre hôte.
- S’il vous est difficile de vous accroupir, asseyez-vous sur la marche après vous être excusé. Positionnez-vous latéralement de manière à ne pas tourner le dos à votre hôte.
- Une fois les deux pieds sur la marche, agenouillez-vous (toujours sans tourner le dos à votre hôte) et d’une main repositionnez vos chaussures de sorte que le le bout des chaussures soient tournés vers la porte. Placez-les au plus loin de l’hôte ou du côté du meuble à chaussures.
- Si des pantoufles vous sont proposées, mettez-les.
Se rechausser en partant
Retirez vos pantoufles en faisant face à la porte puis remettez vos chaussures. Ensuite, repositionnez les pantoufles (le bout vers l’intérieur de la demeure) et rangez-les au plus loin de votre hôte.
Au Japon, les portes d’entrée s’ouvrent vers l’extérieur
Pour des raisons de sécurité, la plupart des portes d’entrée ouvrent vers l’intérieur car il est plus facile d’empêcher un intrus d’entrer en bloquant la porte de tout son poids ou en usant d’un objet lourd. Sauf qu’au Japon, elles s’ouvrent vers l’extérieur afin que les chaussures ne bloquent pas le passage. En contrepartie, les intrus peuvent plus facilement faire irruption, d’autant que les gonds se retrouvent de facto sur l’huis extérieur et sont effectivement plus faciles à briser. Le Japon étant un pays assez sûr, les effractions et autres sont sans doute moins à craindre.
De ce point de vue, les portes coulissantes qui équipent la plupart des maisons traditionnelles sont encore moins sûres, mais jusqu’à récemment on connaissait son voisinage et on lui faisait confiance, il n’était pas rare qu’on parte sans fermer la porte après avoir prévenu un voisin. Et pour aérer la demeure, il était également courant de laisser ouvertes les fenêtres, voire l’entrée.
Pour résumer, disons que la sociabilité japonaise repose à la fois sur le genkan qui est donc cet espace-seuil marquant la séparation entre l’intérieur et l’extérieur et sur le voisinage immédiat constitué des trois maisons les plus proches (en face et de chaque côté) qui sont comme une extension du foyer familial.
(Article supervisé par Shibazaki Naoto, professeur associé à l’Université de Gifu, spécialiste des études sur la psychologie des bonnes manières et conseiller pour les enseignants dans ce domaine. Toutes les photos : Pixta, sauf mentions contraires)