Le restaurant Kôdaiji Wakuden à Kyoto, le summum de l’hospitalité japonaise issue de la culture « ryôtei »

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Kiyono Yumi [Profil]

À Kyoto, ville renommée dans le monde entier pour ses restaurants japonais hauts de gamme (ryôtei), il est un établissement qui se distingue particulièrement : Kôdaiji Wakuden. Grâce à son propre mélange novateur d’élégance urbaine et rurale, il a su se faire une place dans ce monde d’excellence. La propriétaire du lieu, Kuwamura Yûko, nous explique les fondements historiques, esthétiques et surtout éthiques de cette entreprise familiale qui ne cesse de se développer et d’évoluer sous sa direction.

Kuwamura Yûko Kuwamura Yūko

Née en 1964 dans la préfecture de Kyoto. En 1982, après une formation dans un monastère zen, elle rejoint officiellement l’entreprise familiale du restaurant Kôdaiji Wakuden, dont elle en devient la gérante en 2007.

L’hospitalité et le dévouement : deux manières de voir la beauté

Après deux ans de formation zen au temple Daitoku-ji, Kuwamura Yûko reprit ses fonctions officielles à Kôdaiji Wakuden. À son retour, elle participera notamment à l’ouverture d’un deuxième restaurant, le Muromachi Wakuden, et sera par ailleurs nommée responsable des ventes directes du nouveau magasin de spécialités, Murasakino Wakuden. Ce fut l’occasion pour elle de s’interroger longuement sur l’origine de la valeur de la marque Wakuden.

K.Y. Cette question me hantait jour et nuit. La culture du site ryôtei n’existerait pas sans le soutien d’une grande équipe de professionnels. Que ce soit la nourriture, les plats en céramique, le bâtiment en lui-même, le jardin, les rouleaux suspendus, tout, absolument tout, est le fruit du travail d’artisans qualifiés. Et puis il y a notre personnel de service. Tous les petits détails, qui font du ryôtei ce qu’il est, sont rendus possibles grâce aux compétences que ces personnes ont acquises et maîtrisées au terme de nombreuses années de dur labeur.

À quel l’idéal devons-nous donc aspirer ? J’ai compris qu’il s’agissait de créer de la beauté. Je ne parle pas d’une beauté à fleur de peau, de type ornemental. Pour moi, la beauté, c’est un jeune serveur descendant en toute hâte un court passage juste pour apporter une tasse de thé fraîchement infusé à un invité, sachant qu’il doit partir tôt. Donc, je suppose qu’une autre façon de le dire, ce serait que la clé est le réel dévouement de chacun pour l’hospitalité.

Bien sûr, des concepts abstraits tels que la beauté ou le dévouement ne sauraient être les seuls garants d’une prestation irréprochable, apanage d’un ryôtei de haute gamme.

K.Y. Les nombreuses leçons que j’ai apprises lors de ma formation zen me servent beaucoup dans la gestion quotidienne de Kôdaiji Wakuden. Encore aujourd’hui, je me souviens des trois phrases clé « Oui (madame ou monsieur) », « Merci » et « Je vous demande pardon » et je demande à chacun des membres du personnel, que ce soit dans notre magasin ou dans notre restaurant, de faire le meilleur usage de ces phrases. J’insiste également sur l’importance avant toute chose d’une propreté irréprochable. Il est vraiment très agréable de travailler avec une équipe qui met tout son cœur à préserver la propreté de l’espace. Et, comme au temple zen, une fois le nettoyage terminé, nous nous asseyons ensemble autour d’une tasse de thé. La cérémonie du thé est représentative de la norme de beauté qui guide tous nos efforts.

Sans oublier l’intégrité...

L’intégrité est un autre concept cher à Kuwamura Yûko, auquel elle a beaucoup réfléchi au fil du temps.

K.Y. En tant que professionnels de l’industrie alimentaire, voir le visage d’un client s’illuminer parce qu’un mets est particulièrement délicieux, suscite chez nous un sentiment de satisfaction. Mais notre mission n’est en aucun cas à prendre à la légère ; nous ne devons jamais oublier que leur santé est entre nos mains. C’est pourquoi, des professionnels comme nous ont besoin d’une solide boussole éthique. C’est ce que j’appelle l’intégrité.

À Kôdaiji Wakuden, donner l’occasion à notre cuisine l’occasion de s’exprimer librement est pour nous un principe culinaire essentiel. Ce plat joue sur la texture gélatineuse du junsai, une plante aquatique comestible (© Kôdaiji Wakuden).
À Kôdaiji Wakuden, donner à la cuisine l’occasion de s’exprimer librement est un principe culinaire essentiel. Ce plat joue sur la texture gélatineuse du junsai, une plante aquatique comestible (© Kôdaiji Wakuden).

L’intégrité est également présente dans l’interaction entre l’entreprise et, à la fois, sa communauté et son approvisionnement en produits.

K.Y. En 2008, nous avons fait l’acquisition d’une nouvelle usine à Kyôtango, où est située la propriété ancestrale de notre famille. Nous avons commencé à y transformer et à y emballer nos spécialités. La région se dépeuplait depuis un certain temps et le site que nous venions d’acquérir – un parc industriel abandonné – faisait peine à voir. Je voulais insuffler de la beauté dans ces lieux. Nous avons donc planté des arbres indigènes et, avec le temps, le site est devenu un parc : le Wakuden no Mori ou forêt de Wakuden.

Lorsque ma mère a décidé de fermer Wakuden à Tango, les riverains nous ont imploré de rester, mais malheureusement nous n’avons rien pu faire pour eux. Depuis lors, nous nous sommes promis que, dès que les affaires de notre établissement à Kyoto commenceraient à se développer, nous trouverions un moyen d’exprimer notre gratitude à la communauté où nous avions nos racines.

En juin 2017, à Wakuden no Mori, nous avons ouvert Mori no Naka no Ie, un musée dédié à l’illustrateur Anno Mitsumasa. Nous y avons également ouvert un restaurant, Wakuden MORI, grâce auquel nous pouvons accueillir une plus grande variété de clients.

Nous avons converti une partie du site en terres agricoles, où nous cultivons nous-mêmes des légumes biologiques, que nous utilisons pour notre cuisine à Kôdaiji Wakuden. Nous avons également planté des épices telles que du sanshô (poivre japonais), indispensable à notre cuisine, et des arbres fruitiers qui nous permettent de récolter des kakis, des prunes, des yuzu et des mûres. Enfin, nous avons une rizière à proximité, où nous plantons chaque année du riz biologique de la péninsule de Tango. C’est le seul riz que nous utilisons pour nos plats.

Wakuden no Mori, à Kyôtango, dans l’arrondissement de Kumihama
Wakuden no Mori, à Kyôtango, dans l’arrondissement de Kumihama

Mori no Naka no Ie, un musée consacré aux œuvres du peintre-illustrateur Anno Mitsumasa, conçu par l’architecte Andô Tadao.
« Mori no Naka no Ie », un musée consacré aux œuvres du peintre-illustrateur Anno Mitsumasa, conçu par l’architecte Andô Tadao.

Quand le ryôtei devient un ambassadeur culinaire

La cuisine japonaise est maintenant connue dans le monde entier ; elle est même inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Pour Kuwamura Yûko, Kôdaiji Wakuden constitue un point de contact clé entre la culture culinaire japonaise et le reste du monde.

K.Y. Je pense que le ryôtei véhicule l’image d’un lieu exclusivement japonais, fermé aux étrangers. Mais des chefs des États-Unis et de France sont venus se former dans nos cuisines. Nous espérons que de jeunes chefs de pays asiatiques rejoindront prochainement nos équipes.

Au début, je me sentais un peu nerveuse à l’idée de mener une interview dans un cadre aussi formel et respectueux que celui d’un ryôtei. Mais cette tension s’est rapidement dissipée. Je me suis sentie comme réconfortée par la chaleur de la tasse de thé qui se trouvait devant moi, remplacée à plusieurs reprises au cours de notre entretien. Cette tasse de thé semble porter en elle toute l’hospitalité de Kôdaiji Wakuden.

K.Y. Cela peut paraître dérisoire mais j’insiste toujours auprès de mes équipes sur la nécessité d’être attentif lors du service du thé : chaque tasse doit être remplacée avant que le thé ne soit froid et le thé fraîchement infusé doit être à la bonne température. Je leur demande également de changer de tasse à chaque fois, certains de nos clients appréciant particulièrement la céramique et les services à thé.

Un beau jour, un client m’a enseigné un proverbe : La chaleur est le remède souverain. Ces mots sont restés gravés en moi. Bien sûr, il est essentiel que notre cuisine et notre propriété dans son ensemble demeurent irréprochables. Mais, plus important encore : ce sentiment de chaleur que nous transmettons dans la façon dont nous travaillons. C’est une chose que j’essaie de toujours garder à l’esprit, quoi qu’il arrive.

Kuwamura Yûko, okami (propriétaire) de Wakuden
Kuwamura Yûko, propriétaire de Wakuden

Kôdaiji Wakuden

Wakuden no Mori

(Photos de Kusumoto Ryô, sauf mention contraire)

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Kiyono YumiArticles de l'auteur

Née en 1960 à Tokyo, diplômée de la faculté de sciences humaines de la Tokyo Woman’s Christian University (TWCU). Journaliste indépendante depuis 1992, après un séjour en Grande-Bretagne et un poste dans une maison d’édition. Ses domaines de prédilection sont l’urbanisme et les communautés locales, l’évolution des modes de vie et les portraits de personnages pionniers, au Japon comme à l’étranger. Ecrit pour Aera, Asahi Shimbun et la version électronique du Nikkei Business, entre autres. Auteure de Choisir où l’on vit pour changer de vie (Kôdansha). Prépare actuellement un troisième cycle en conception et gestion de systèmes à l’Université Keiô.

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