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Quitter la vie à Tokyo pour ouvrir une auberge sur une île : le bonheur d’une jeune famille japonaise à Sado
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Quitter Tokyo
Nakatsuka Yûki et son épouse Shûko venaient de commencer leur nouvelle vie de jeunes mariés à Tokyo, où ils s’étaient rencontrés alors qu’ils étudiaient à l’Université Hôsei, lorsque les événements du Grand tremblement de terre de l’Est du Japon de mars 2011 modifient en profondeur leur vision de la vie urbaine. Les trains arrêtés – il leur a fallu cinq heures pour marcher de leurs bureaux à leur domicile dans le quartier de Shinjuku – et les pannes de courant ont exposé la vulnérabilité de la capitale aux catastrophes, ce qui a amené le couple à réfléchir à un mode de vie plus autonome.
Ils ont finalement choisi de quitter la métropole et de s’installer sur la côte ouest, sur une île de la mer du Japon appelée Sado, dans la préfecture de Niigata. Ils vivent maintenant entourés par les forêts et les champs dans une maison vieille de 200 ans qu’ils ont transformée en un café et une auberge minshuku (chambre d’hôtes japonaise).
Le couple déclare que la catastrophe a été une véritable révélation. « Nous avons été choqués par la rapidité avec laquelle la ville s’est arrêtée brutalement », explique Yûki. Leurs inquiétudes concernant les pénuries d’articles de base dues à l’effondrement des réseaux de transport ont été exacerbées par l’effondrement de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. « Nous étions particulièrement inquiets pour la sécurité de nos aliments », déclare Shûko, qui dit avoir pris la précaution d’utiliser de l’eau en bouteille pour cuisiner.
À la même époque, des discussions sur les plans de démolition de la maison des grands-parents de Shûko à Sado ont affecté le jeune couple. Shûko, originaire de Niigata, avait souvent visité la résidence, une kominka (maison traditionnelle japonaise) construite au début des années 1800, dans son enfance. Mais l’ancien bâtiment était resté vide depuis 2001, devenant délabré par négligence. Souhaitant empêcher la démolition de cette structure historique, le couple a décidé de superviser sa rénovation.
Un expert allemand à la rescousse
La découverte des travaux de rénovation de Karl Bengs a été un des facteurs importants ayant amené le couple à cette décision. Lors de ses recherches sur les kominka dans une bibliothèque, Yûki est tombé sur un livre présentant ce designer architectural d’origine allemande, résident de longue date du Japon et expert en rénovation de maisons traditionnelles japonaises. Sur un coup de tête, il décide de rendre visite à Bengs dans son bureau de Tôkamachi à Niigata. Bien que les Nakatsuka n’aient pu offrir qu’un petit budget pour mener à bien leur projet, leur sincérité a poussé Bengs à accepter de restaurer la maison. Fidèle à son credo de préserver et d’utiliser les matériaux de construction d’origine, il a utilisé les bois anciens de la structure comme des éléments décoratifs dans un espace en forme d’atrium qui s’étend du premier étage jusqu’au toit incliné de la maison. (Voir notre article : Karl Bengs, l’architecte allemand qui redonne vie à l’habitat traditionnel japonais)
« Au cours de la rénovation, nous avons appris que les poutres du plafond sont fabriquées à partir de châtaignier, de pin et de cèdre sugi cultivés localement, ainsi que d’un arbre originaire de Sado appelé atebi », explique Shûko avec un soupçon de fierté. La découverte de l’histoire du bâtiment a encore renforcé le désir du couple de s’installer sur l’île.
Un endroit idéal pour vivre en famille
La naissance de la fille du couple, Koharu, en 2014, a fait pencher la balance en faveur du déménagement à Sado. En tant que parents employés, les Nakatsuka ont été confrontés à la dure réalité de la pénurie de crèches à Tokyo. « C’est une lutte immense pour obtenir une place dans un établissement », se lamente Shûko, ajoutant qu’il leur était indispensable de trouver une crèche pour pouvoir maintenir leur train de vie. Par rapport à la concurrence intense dans la ville, les crèches de Sado avaient quant à elles de nombreuses places.
Peu de temps après l’arrivée de Koharu, Yûki a laissé sa femme et sa petite fille à Tokyo et s’est rendu à Sado pour aider aux travaux de rénovation de la maison. Alors qu’il était occupé à plâtrer et à peindre les murs, un habitant du quartier l’a approché pour lui proposer un emploi avec la compagnie de transport locale Niigata Kôtsû Sado. Yûki a sauté sur l’offre sans même attendre que la maison soit entièrement rénovée.
La tournure soudaine des événements a suscité des inquiétudes parmi ses collègues, sa famille et ses amis, qui ont remis en question le bien-fondé de la décision de la jeune famille de quitter la ville. Les parents de Yûki, habitant à Saitama près de Tokyo, ont exigé de savoir pourquoi ce dernier se lançait dans une entreprise aussi risquée, mais leurs points de vue étaient différents. Yûki avait déjà commencé à réfléchir à un déménagement à la campagne alors qu’il travaillait dans une agence de recrutement, en voyant les retombées de la crise financière de 2008. À son avis, Sado était une option plus sûre pour son avenir et celui des siens.
Bien que l’île compte moins de 60 000 habitants, elle fait 1,4 fois la taille des 23 municipalités centrales densément peuplées de Tokyo, et offre un ratio par personne plus élevé de crèches, d’écoles, et d’hôpitaux. Ses terres agricoles abondantes et sa proximité avec la mer fournissent également aux insulaires une richesse d’aliments frais et sains.
Les Nakatsuka font partie du groupe en plein essor des résidents urbains qui partent s’installer à la campagne. Selon le gouvernement de la ville de Sado, l’afflux de nouveaux résidents sur l’île après le séisme de 2011 a doublé pour atteindre 22 personnes l’année suivante. Il a depuis continué de grimper chaque année, atteignant un record de 86 en 2016. Le gouvernement a même mis en place un centre de soutien dédié aux personnes envisageant de déménager à Sado.
Un lieu de rassemblement communautaire
Yûki et Shûko ont ouvert l’auberge minshuku Yosabei en mai 2016. Le couple a une place particulière parmi les nouveaux résidents de Sado, puisque le grand-père de Shûko possédait la propriété et était un ancien chef de village. Cette situation les place dans une position unique pour rassembler les résidents et les personnes extérieures à l’île. En plus de gérer le minshuku, le couple a fait de la maison le centre d’une communauté en pleine croissance. Le bâtiment est ouvert en tant que café les mardis et mercredis et est régulièrement loué pour des événements comme des cérémonies du thé, des performances musicales et des expositions d’art. Ces activités se sont avérées populaires parmi les touristes ainsi que les locaux, qui partagent librement les attractions de leur île natale avec les visiteurs. Les Nakatsuka donnent même des conseils aux personnes qui envisagent de déménager à Sado.
Il n’existe pas d’endroit dans lequel le rythme de vie est plus tranquille qu’à Yosabei. Les clients sont nourris par des repas faits maison avec des ingrédients cultivés localement, souvent choisis dans le jardin du minshuku. Dans la matinée, ils peuvent également apercevoir le couple jouant avec leur fille avant que Yûki ne parte au travail, emmenant Koharu à la garderie sur son chemin. Yûki admet hésiter à rénover un autre kominka, tant la tâche est considérable, mais il déclare que sauver la maison était une entreprise qui en valait bien la peine.
« Déménager à Sado était la meilleure chose à faire pour notre famille », s’exclame-t-il. Shûko est tout à fait d’accord avec son mari, ajoutant avoir hâte que Yosabei rapproche les insulaires et les visiteurs. Souriante, elle déclare : « Je souhaite sincèrement partager ce que nous avons à Sado avec le reste du monde. »
(Texte et reportage de Kawakatsu Miki. Photos : Nakagawa Kôsuke. Photo de titre : la famille Nakatsuka accueille des invités devant leur auberge Yosabei)