L’île de Peleliu, théâtre d’une bataille meurtrière entre le Japon et les États-Unis
Société Tourisme- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Un attrait pour l’île de plus en plus prononcé
En regardant l’océan bleu pur et cristallin des Palaos, je me pose encore la même question : les Japonais ont-ils vraiment combattu jusqu’à la mort sur un tel endroit paradisiaque ?
Me voilà sur l’île de Peleliu, après avoir traversé en bateau des magnifiques récifs coralliens classés au patrimoine mondial. Difficile d’imaginer que cette petite île tranquille, située à près d’une heure et demie en bateau rapide de Koror, la plus grande ville de l’archipel des Palaos, a été l’un des champs de bataille les plus meurtriers de la guerre du Pacifique.
Au cours de la bataille de Peleliu, l’armée japonaise, bien qu’inférieure en nombre et en moyens, a résisté avec opiniâtreté aux assauts des soldats américains. Les deux camps se sont affrontés sans relâche, faisant au total plus de 10 000 morts.
Depuis quelque temps, Peleliu connaît une forte affluence de touristes venus du Japon. Il n’y a pas de chiffres officiels, mais des voyageurs japonais y viennent en visite presque tous les jours. Jusqu’à présent, les seuls qui s’y rendaient étaient des personnes âgées venus honorer la mémoire de membres de familles ou d’amis morts au combat. Aujourd’hui toutefois, de nombreux jeunes Japonais férus d’histoire foulent volontiers du pied le site de la bataille de Peleliu.
Un tel engouement trouve son origine dans le voyage commémoratif que l’empereur et l’impératrice ont effectué aux Palaos le 9 avril 2015. L’île de Peleliu est probablement l’un des lieux les plus difficiles d’accès sur lequel le couple impérial s’est rendu : six heures de vol direct du Japon au seul aéroport international des îles, situé en banlieue de Koror, suivi d’un vol en hélicoptère de Koror à Peleliu, puis enfin un trajet en minibus pour arriver au cénotaphe.
La « grotte aux mille hommes »
J’ai quitté à l’aube le port de Koror pour Peleliu. Nous n’étions que quatre personnes à participer à cette visite, probablement parce que c’était un jour de semaine en basse saison. Nous avons effectué la traversée en bateau à moteur, éclaboussés par les embruns. Arrivés sur l’île, nous nous sommes tout d’abord rendus à la « grotte aux mille hommes », un dédale de grottes ayant servi d’hôpital de campagne pour les troupes japonaises, et dans lequel elles s’y sont cachées quand l’armée américaine est arrivée.
Le sol volcanique de l’île est traversé par de nombreuses grottes connectées entre elles par des tunnels, formant un vaste labyrinthe souterrain. Lors de la bataille de Peleliu, la stratégie adoptée par l’armée japonaise a été de fortifier ces grottes pour faire face aux bombardements américains et organiser des embuscades. Cette stratégie a été établie par le colonel Nakagawa Kunio, originaire de la préfecture de Kumamoto, qui était chargé de la défense de l’île.
Convaincu qu’il fallait « se battre jusqu’au dernier soldat », Nakagawa n’a pas eu recours aux attaques dites « banzaï » (attaques suicides massives) souvent utilisées par l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.
La « grotte aux mille hommes » est ainsi appelée car elle était suffisamment vaste pour accueillir les troupes japonaises présentes sur l’île. En m’y aventurant à l’intérieur, je constate des bouteilles de bière jetées çà et là. Il semble que les soldats buvaient de la bière à la place de l’eau et se servaient des bouteilles vides pour en faire des cocktails Molotov. Il y a aussi des douilles et des bandages sur le sol. Le champ de bataille est intact : rien n’a été touché après toutes ces décennies. Sans oublier les entrées des grottes, qui ont été complètement noircies par les lance-flammes de l’armée américaine.
Ce que les soldats japonais redoutaient le plus n’étaient pas les lance-flammes, mais les bulldozers. Si ces derniers parvenaient à bloquer les entrées des grottes avec de la terre et des pierres, les troupes japonaises se retrouvaient enterrées vivantes. Au total, la bataille de Peleliu a fait 12 000 morts, dont 10 000 victimes japonaises. Il y a près de 2 500 corps de soldats japonais qui n’ont pas encore été trouvés. La plupart gisent sans doute quelque part dans les dédales souterrains de l’île.
Le cénotaphe de Peleliu
Nous nous sommes ensuite dirigés vers l’aérodrome de Peleliu. Composé de deux pistes qui se croisent, c’était à l’époque l’un des plus grands d’Asie. Prendre le contrôle de cet aérodrome était l’objectif principal de l’armée américaine avant la reconquête des Philippines. En effet, après avoir battu les forces japonaises sur l’île de Guam, les États-Unis s’approchaient des Philippines et l’île de Peleliu représentait un point stratégique de grande importance sur leur chemin.
J’ai entendu dire que des avions légers atterrissent et décollent de temps à autre dans l’aérodrome, mais à voir les mauvaises herbes qui poussent partout et le très mauvais état des pistes, cela semble peu vraisemblable. Lors de la visite du couple impérial japonais, venu en hélicoptère depuis Koror, un héliport avait temporairement été mis en place pour leur accueil.
Sur la côte ouest, près de l’aérodrome, se trouve la très belle plage Orange Beach. C’est ici que l’armée américaine a commencé son débarquement sur l’île, le 15 septembre 1944, après avoir violemment bombardé Peleliu depuis des navires de guerre afin d’affaiblir les forces japonaises.
Les Américains étaient convaincus que les bombardements avaient pratiquement anéanti l’armée japonaise. Cependant, le colonel Nakagawa et ses hommes s’étaient retranchés dans les grottes, minimisant ainsi les dommages. Ils avaient aussi construit des casemates sur des points stratégiques afin de pouvoir faire feu sur les troupes américaines qui tentaient de débarquer. La 1ère division de Marines a subi des pertes très élevées au cours de cette première opération : 6 300 blessés et 1 700 morts. Incapable de poursuivre les combats, elle a dû attendre l’arrivée de renforts depuis les États-Unis.
Je regardais la plage de sable blanc et l’océan d’azur et essayais d’imaginer ce paysage recouvert de sang...
Près d’Orange Beach, un cénotaphe a été érigé en 1985 à la mémoire des hommes morts au cours de la guerre du Pacifique. Il a été conçu par le célèbre architecte Kikutake Kiyonori (1928-2011). Des coquillages de grande taille sont incrustés dans le monument, permettant à l’eau de s’y accumuler. C’est un hommage aux soldats japonais retranchés dans les grottes, pour qui le plus dur était de trouver de l’eau potable.
Autour du cénotaphe, le vent souffle très fort toute l’année. J’étais venu sur l’île un jour relativement calme, mais je sentais quand même les embruns transportés par le vent. Je me suis recueilli au même endroit où l’empereur et l’impératrice ont offert une prière.
Par ailleurs, de nombreux autres sites peuvent être visités sur l’île : un ancien dépôt de munitions transformé en musée de la bataille de Peleliu, les ruines du quartier général de la Marine impériale japonaise, l’épave d’un chasseur-bombardier Mitsubishi A6M (plus connu sous le nom « Zéro ») tombé dans la jungle ou encore un char léger japonais mis hors de combat par une frappe aérienne américaine. Cinq à six heures sont nécessaires pour faire le tour de ces sites.
De nombreuses munitions non explosées
Nous nous sommes ensuite dirigés vers la colline « Ôyama ». C’est là que les soldats japonais sont tombés, préférant mourir que de se rendre à l’ennemi. Des pieux noirs et blancs sont plantés sur la colline.
Notre guide nous prévient : « N’allez surtout pas au-delà du chemin délimité par les pieux blancs. » Je sentais que l’atmosphère s’était légèrement tendue dans notre groupe.
Il y a encore beaucoup de munitions non explosées sur l’île et les zones sûres sont délimitées par les pieux blancs. L’enlèvement des munitions non explosées se poursuit grâce aux efforts de volontaires japonais et australiens. Mais leur travail est loin d’être terminé, alors que 70 ans se sont déjà écoulés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
À la fin de la bataille de Peleliu, les dernières forces japonaises ont été encerclées par l’armée américaine dans Ôyama. Voyant qu’il ne restait que très peu de soldats vivants, le colonel Nakagawa a envoyé, avant de mettre fin à sa vie, un ultime télégramme au quartier général au Japon : « Sakura, sakura ». Son message signifiait qu’il était prêt à mourir, tels les pétales de cerisier qui s’envolent emportés par le vent. On dit qu’il s’est donné la mort par seppuku, mais d’après le rapport d’autopsie de l’armée américaine, il se serait tiré une balle avec son pistolet. Les soldats américains l’ont ensuite enterré quelque part sur l’île, mais le lieu exact reste inconnu.
Devant le cénotaphe du colonel Nakagawa et de ses hommes sont déposés des gamelles et des casques.
Ressentir l’intensité des combats
Bien que l’armée américaine ait pris le contrôle de l’aérodrome et de la vaste majorité de l’île, les troupes japonaises continuaient à se cacher dans les grottes. La nuit tombée, ils menaient sans relâche de nombreuses attaques guérillas. Alors que l’Armée impériale japonaise essuyait défaite après défaite pendant la guerre du Pacifique, les soldats sur Peleliu ont brillé par leur acharnement, à tel point que l’empereur a récompensé à 11 reprises leurs efforts. L’île de Peleliu, située à 3 000 kilomètres du Japon, a ainsi été surnommée « l’île de l’empereur ».
Même après la capitulation du Japon, une partie des soldats japonais toujours vivants sur Peleliu, une poignée de 34 hommes, ont continué de se cacher dans les grottes. Ils se sont battus plusieurs mois en survivant grâce à des conserves volées aux soldats américains. Ces derniers ont tenté de les convaincre que la guerre était finie, mais ils ne les écoutaient pas.
Lorsqu’on évoque la bataille de Peleliu, on dit souvent que les Japonais ont livré un beau combat face aux Américains, et leur ont fait souffrir de lourdes pertes. Cependant, il ne sert à rien de faire les louanges d’une bataille qui a eu lieu dans le contexte d’une guerre insensée contre le monde. Mais j’ai tout de même ressenti un profond respect envers ces ancêtres qui se sont battus jusqu’au dernier moment pour protéger leur patrie et leurs familles, en risquant leur vie dans un environnement extrêmement difficile.
D’innombrables champs de bataille intacts subsistent sur Peleliu et l’île voisine d’Angaur. Le gouvernement des Palaos accorde une grande importance à l’écotourisme, mais ne met pas en avant la visite d’anciens champs de bataille. C’est une bonne chose car cela permet de conserver ces sites intacts. Ils représentent une opportunité précieuse de transmettre aux générations futures les cicatrices de la guerre.
Si vous visitez les Palaos, je vous recommande vivement de vous rendre à Peleliu : ses grottes, ses champs de bataille et ses épaves d’avion ou de char font partie de ces choses que l’on ne peut observer dans les musées, et qui nous font ressentir l’horreur de la guerre.
(Photos : Nojima Tsuyoshi. Photo de titre : le couple impérial déposant une gerbe sur le cénotaphe de la guerre du Pacifique le 9 avril 2015.)