Histoire de l’environnement japonais à l’époque moderne

Précieux visiteurs ou ravageurs ? Apprendre à vivre avec les oies sauvages du Japon

Société

Ishi Hiroyuki [Profil]

L’effectif des oies rieuses est aujourd’hui 33 fois supérieur à ce qu’il était il y a un demi-siècle, mais les agriculteurs les considèrent comme une nuisance. Leur plus grand site d’hivernage, à Izunuma, dans la préfecture de Miyagi, est le théâtre d’une initiative novatrice qui aide les gens et les oies à vivre ensemble.

Les 50 zones humides du Japon enregistrées sur la liste de Ramsar

1 Lac Kutcharo 26 Lagune Sakata
2 Plaine de Sarobetsu 27 Plateaux Midagahara et Dainichi-daira du mont Tateyama
3 Lac Tôfutsu 28 Katanokamo-ike
4 Uryû-numa 29 Marécage de Nakaikemi
5 Péninsule et baie de Notsuke 30 Les cinq lacs de Mikata
6 Lac Akan 31 Collines et zones humides de la région du Tôkai
7 Miyajima-numa 32 Lagune de Fujimae
8 Lac Fûren et zone de Shunkunitai 33 Lac Biwa
9 Marécage de Kushiro 34 Aval de la rivière Maruyama et ses rizières environnantes
10 Marécage de Kiritappu 35 Côte de Kushimoto
11 Lac Akkeshi et zone de Bekanbeushi 36 Nakaumi
12 Lac Utonai 37 Lac Shinji
13 Ônuma 38 Miyajima
14 Hotoke-numa 39 Eaux souterraines de la grotte d’Akayoshidai
15 Izunuma et Uchinuma 40 Lagune de Higashiyoka
16 Kabukuri-numa et ses rizières environnantes 41 Lagune de Hizen Kashima
17 Kejo-numa 42 Lagune d’Arao
18 Ôyama-kami-ike et Ôyama-shimo-ike 43 Marécage de Kujû Bôgatsuru et Tadewara
19 Hinuma 44 Imuta-ike
20 Oze 45 Plage Nagatahama de l’île Yakushima
21 Marécage d’Oku-Nikkô 46 Courants et marécage de l’île Kumejima
22 Bassin de retardement de Watarase 47 Récifs coraliens des iles Kerama
23 Marécages de Yoshigadaira 48 Lac Man
24 Lagune de Yatsu 49 Baie de Yonaha
25 Lac Hyô 50 Nagura Amparu

Les cases en rouge correspondent aux sites de Ramsar cités dans le présent article.

Les défis de demain

Le retour remarquable de l’oie rieuse dans le Japon tout entier pose aujourd’hui un dilemme. L’accroissement de l’effectif des oies est tel que les aires d’hivernage sont désormais surpeuplées. On peut même craindre que les oiseaux se trouvent confrontés à des pénuries alimentaires. Les dommages infligés à l’agriculture et le fardeau qui pèse sur l’environnement sont devenus excessifs, si bien que la cohabitation avec l’homme semble de plus en plus problématique.
Les oies rieuses sont bien adaptées à la vie dans les rizières, ou peut-être serait-il plus exact de dire que, maintenant que le plus gros des terres marécageuses qu’elles recherchaient jadis est converti en rizières, les oies n’ont guère d’autre choix en termes de terrain où s’alimenter. Il a été calculé que, pendant les cinq mois où elles hivernent au Japon, 10 000 oies rieuses se nourrissant exclusivement de grains de riz tombés auraient besoin de cinq à six mille hectares de rizières pour se nourrir. Outre les grains tombés, les oies mangent aussi des herbes et d’autres matières végétales, mais même en prenant cela en compte, il n’en reste pas moins qu’elles ont besoin de vastes étendues de terre.

Dans le même temps, les rizières traversent des changements considérables. Avec la pénurie de main-d’œuvre, la riziculture recourt de plus en plus aux pesticides et à la mécanisation. Outre cela, les rizières abandonnées se multiplient à mesure du vieillissement de la population agricole, de la raréfaction des candidats à la reprise des exploitations et de l’absorption des communautés agricoles par l’urbanisation. On enregistre un déclin régulier du nombre des petits réservoirs, jadis pris en charge collectivement par les populations locales. Or, avec le déclin de l’agriculture, les oies et autres oiseaux aquatiques n’ont plus d’endroit où élire domicile.

Lorsque les rizières sont laissées à l’abandon, elles ne tardent pas à être envahies par l’herbe de la pampa, les roseaux et autres herbes endémiques, avec les changements spectaculaires qui en résultent pour l’écosystème. Du point de vue de la préservation des oiseaux aquatiques, il est essentiel que les rizières abandonnées soient correctement entretenues. Mais les oiseaux qui vivent dans un habitat surpeuplé sont confrontés à un problème supplémentaire : le risque permanent d’une épidémie de grippe aviaire. Entre novembre 2016 et janvier 2017, le ministère de l’Environnement déclare que des cas d’infection d’oiseaux sauvages par des formes extrêmement pathogènes de grippe aviaire ont été détectés sur tout le territoire japonais. Le 6 janvier 2017, 164 cas ont été recensés dans 16 préfectures, ce qui constitue la pire épidémie enregistrée jusqu’ici. Dans tous les cas recensés, le constat s’appuyait sur des collectes de cadavres ou d’excréments d’oiseaux.

Des cadavres d’oies rieuses contaminées par la grippe aviaire ont été trouvés dans la préfecture de Miyagi. La présence du virus a été constatée chez plus de 30 espèces d’oiseaux, dont des cygnes chanteurs et des faucons pèlerins de Hokkaidô, des grues à capuchon et à cou blanc de la préfecture de Kagoshima, des cygnes siffleurs et des canards pilet de la préfecture de Tottori.

Particulièrement inquiétante était la découverte de 23 cas de grippe aviaire chez des grues à capuchon, une espèce menacée. La plaine d’Izumi, dans la préfecture de Kagoshima, abrite 13 000 grues à capuchon, ce qui représente 90 % du total de la population mondiale. Ces oiseaux migrent à partir d’habitats situés en Chine et en Russie pour venir hiverner dans la plaine d’Izumi, mais les aires d’hivernage sont surpeuplées et les risques d’épidémie sont réels.

« Les troupeaux qui ont atteint une taille excessive doivent être dispersés », observe M. Kurechi. « Mais ils ont besoin d’espace. Les oies rieuses nichent sur les marais et les lacs, et cherchent leur nourriture dans les rizières avoisinantes, si bien que, faute de leur garantir quelque 20 hectares pour nicher et se nourrir, il est très difficile pour les troupeaux de se disperser. »

Pour certains agriculteurs toutefois, assez, c’est assez. Avec un tel nombre d’oie, marmonnent-ils, il est temps de mettre un coup d’arrêt à la préservation.

Les oies ont certes réussi leur retour, mais voilà qu’un nouvel obstacle menace de stopper leur progression…

(Photo de titre : un vol d’oies rieuses au-dessus d’Izunuma, préfecture de Miyagi. The Yomiuri Shimbun/Aflo)

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écologie nature agriculture animal oiseau

Ishi HiroyukiArticles de l'auteur

Journaliste et scientifique spécialisé dans l’environnement. Après un bref passage au comité de rédaction du Asahi Shimbun, il a été consultant principal pour le Programme des Nations unies pour l’environnement à Nairobi et à Bangkok. Il a également occupé des chaires d’enseignement supérieur dans les instituts de hautes études des Universités de Tokyo et de Hokkaido, été ambassadeur du Japon en Zambie et conseiller auprès de l’Agence japonaise de coopération internationale et des conseils d’administration du Centre régional de l’environnement pour l’Europe centrale et orientale (CRE) à Budapest, ainsi que de la Société ornithologique du Japon. Auteur de divers ouvrages, dont Chikyû kankyô hôkoku (Rapport sur l’environnement mondial), Kilimandjaro no yuki ga kiete iku (La disparition des neiges du Kilimandjaro) et Watashi no chikyû henreki – Kankyô hakai no genba o motomete (Mes voyages à travers le monde pour étudier la destruction de l’environnement).

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