Histoire de l’environnement japonais à l’époque moderne

Précieux visiteurs ou ravageurs ? Apprendre à vivre avec les oies sauvages du Japon

Société

L’effectif des oies rieuses est aujourd’hui 33 fois supérieur à ce qu’il était il y a un demi-siècle, mais les agriculteurs les considèrent comme une nuisance. Leur plus grand site d’hivernage, à Izunuma, dans la préfecture de Miyagi, est le théâtre d’une initiative novatrice qui aide les gens et les oies à vivre ensemble.

Des rizières inondées l’hiver

Une nouvelle initiative visant à faciliter la cohabitation de l’homme et des oiseaux a vu le jour. Elle est connue sous le nom fuyu mizu tanbo ou « rizières inondées l’hiver », une expression peu courante devenue banale dans les endroits où les oies rieuses migrent en hiver. Comme le suggère les termes de cette appellation, celle-ci désigne une méthode consistant à laisser les rizières inondées pendant tout l’hiver. Après la récolte d’automne, la coutume est de drainer les rizières et de laisser sécher le sol jusqu’à la prochaine plantation le printemps suivant. Mais les oies aiment se reposer la nuit dans les marais peu profonds et, durant la journée, fouiller le sol des rizières dans un rayon de 10 kilomètres pour se procurer de la nourriture. Il est fréquent qu’elles nichent aussi dans les rizières. Ainsi, si celles-ci sont drainées, les oies perdent à la fois les terrains qui les nourrissent et leurs lieux de nidification.

À quelque 10 kilomètres d’Izunuma se trouve la zone marécageuse de Kabukuri-numa. C’est là que le projet fuyu mizu tanbo a été lancé en 1998, avec l’aide d’agriculteurs locaux. De concert avec Izunuma, le marais de 150 hectares compte parmi les principales zones d’hivernage des oies et des cygnes. Le projet est mené par le NPO Tambo, présidé par Iwabuchi Shigeki.

En 1993, les rizières des alentours de Kabukuri-numa ont terriblement souffert du temps froid. Pour reconstruire l’économie locale, les communautés agricoles se sont tournées vers les méthodes employées en agriculture biologique, qui sont propices à la cohabitation avec les oies. La suppression des rigoles de drainage a entraîné une augmentation considérable de la surface du marais et les rizières ont été laissées inondées pendant les mois d’hiver.

Fuyu mizu tanbo, ou « rizières inondées l’hiver » (photo de Kurechi Masayuki)

Un projet visant à creuser plus profondément le marais et à l’utiliser comme bassin de rétention a été ajourné en faveur de la préservation des oies. Prompts à tirer parti du tourisme vert, les agriculteurs se sont mis à ouvrir des centres d’accueil, des restaurants et des installations d’hébergement, tandis que des volontaires mettaient sur pieds des sessions d’études et d’observation, ainsi que des ateliers d’expérimentation et d’apprentissage.

Ces efforts ont été très fructueux. Au début des années 1980, il n’y avait pas plus de deux à trois mille oies migrantes, mais elles sont désormais 80 000 à voler chaque année jusqu’à Kabukuri-numa. À la date d’aujourd’hui, on a recensé quelque 1 500 espèces végétales et animales dans la région, dont quelque 200 espèces d’oiseaux.

En reconnaissance de son travail, le NPO Tambo s’est vu décerner en 2007 le Prix du ministère de l’Environnement à l’occasion du 9e Prix aquatique japonais, pour son « projet de régénération à l’aide des fuyu mizu tanbo, où les gens vivent en harmonie avec l’environnement ».

Une agriculture respectueuse de la nature

Le maintien de l’inondation des rizières a entraîné une prolifération massive des micro-organismes et animaux de plus grande taille tels les vers de vase, ce qui a enrichi l’écosystème. Outre cela, les oiseaux laissent leurs déjections, qui servent d’engrais. L’apport de l’eau du marais aux rizières a eu un effet d’épuration et la qualité de l’eau s’en est trouvée améliorée.

La diminution des quantités de pesticides et d’engrais artificiels utilisés par la riziculture a entraîné une baisse de 20 % de la production, mais les consommateurs ont apprécié d’avoir accès à un riz sain, exempt de produits chimiques. Le riz Fuyu mizu tanbo est devenu un nom de marque générant des prix plus élevés, et donc une augmentation des revenus qui a réjoui les agriculteurs. Les touristes en quête d’oiseaux à observer et photographier ont afflué vers la région. Cette zone, jadis exclusivement agricole avec la riziculture comme principale source de revenus, déborde désormais de vie grâce à l’afflux des oiseaux et des touristes.

À mesure qu’augmentait le nombre des agriculteurs impliqués dans le projet, il est devenu clair que le maintien de l’inondation des rizières pendant l’hiver offrait un moyen efficace pour faire revenir les troupeaux d’oies. Des initiatives similaires en vue de protéger les oiseaux ont vu le jour sur tout le territoire du Japon, notamment en empêchant l’exondation des bassins de rétention situés sur les zones d’hivernage et en s’opposant à la construction de routes passant à proximité.

Le fuyu mizu tanbo a aussi été introduit dans les rizières situées aux alentours de Miyajima-numa, à Hokkaidô. Le riz produit dans cette région est commercialisé sous le nom de marque Ezo no gan, ou « Riz de l’oie d’Ezo » (Ezo étant l’ancien nom de l’île principale du nord du Japon).

La coexistence de la préservation des oiseaux et de la riziculture s’est propagée outre-mer. Lors de la 9e COP (pour Conference of the Contracting Parties, ou Conférence des parties prenantes) de Ramsar, qui s’est tenue en 2005 en Ouganda, Kabukuri-numa et les rizières des alentours ont été classés site Ramsar. En 2008, la 10e COP de Ramsar, réunie à Changwon, en Corée, et la 10e COP de la Convention sur la diversité biologique, qui s’est tenue à Nagoya, ont toutes deux adopté une « résolution sur les rizières » qui soulignait l’importance de la préservation de la biodiversité des rizières.

Suite > Les 50 zones humides du Japon enregistrées sur la liste de Ramsar

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