Histoire de l’environnement japonais à l’époque moderne

Quand les oies sauvages atteignent le Japon…

Société

Les oies sauvages au Japon faisaient autrefois partie de l’environnement ordinaire des habitants de l’Archipel, mais une chasse inconsidérée à la fin du XIXe siècle et l’industrialisation croissante fit drastiquement baisser leurs effectifs. Penchons-nous sur l’évolution de ces oiseaux migrateurs à travers différentes périodes de l’histoire japonaise.

Temps de crise pour les oiseaux

À partir du début de l’ère Meiji (1868-1912), les oies ont commencé à souffrir. On les chassait jusque-là avec des filets et des pièges, mais l’interdiction de les chasser au fusil a été levée et les chasseurs se sont déchaînés contre elles. D’après les statistiques de l’Agence des forêts, jusqu’en 1962 la chasse à l’oie était pratiquée dans tous les préfectures à l’exception de celles de Hiroshima, Kôchi et Miyazaki. À partir de 1967, le nombre des prises d’oie a commencé à décliner rapidement, principalement dans l’ouest du pays. D’après un inventaire des habitats de l’oie au Japon compilé par Miyabayashi Yoshihiko et publié par l’Association japonaise pour la protection de l’oie sauvage, on comptait approximativement 60 000 oies migratrices par an au Japon dans les années 1940, mais ce nombre est tombé à environ 5 000 en 1970. Outre cela, le nombre des zones d’hivernage, estimé auparavant à 150, s’est réduit à 25.

La disparition des oies rieuses en divers endroits du Japon a progressé de concert avec la croissance économique rapide enregistrée entre la deuxième moitié des années 1950 et les années 1960. Les zones humides et les marécages étaient asséchés pour faire place aux zones industrielles, tandis que les zones d’hivernage disparaissaient à mesure qu’on construisait des digues de protection et qu’on aménageait les terres pour y installer des zones résidentielles ou des terrains de golf. On estime que quelque 60 % des marécages japonais ont disparu au cours des cent dernières années. Les oies sont allées vers les ceintures de rizières de la région de Tôhoku et du littoral de la mer du Japon, où le manque d’espace les contraignait à vivre dans des conditions de surpopulation.

La lettre de l’espoir

Cette situation est à l’origine d’un incident survenu en 1973. Le docteur Yamashina Yoshimaro, chef de l’Institut d’ornithologie Yamashina, m’a montré une lettre, en provenance de l’Académie soviétique des sciences, qui disait que les effectifs des oiseaux migrant à partir de la Sibérie vers l’Amérique du Nord, l’Europe ou le Moyen-Orient, étaient à peu près les mêmes à leur retour en Sibérie. Lorsque les oiseaux migraient vers le Japon, en revanche, ou passaient par le Japon pour se rendre plus au sud, ils étaient très peu nombreux à revenir. Comment cela s’expliquait-il ? demandaient les auteurs de la lettre.

La situation critique des oiseaux migrateurs affligeait grandement le docteur Yamashina. Il disait qu’il y a un très grand nombre d’oiseaux migrateurs dans l’Archipel, et que beaucoup d’entre eux volent entre le Japon et l’Asie, la Russie, l’Amérique du Nord, l’Australie et d’autres régions. Personne au Japon ne semblait admettre que les oiseaux migrateurs n’étaient pas la propriété exclusive de leur pays, mais que l’ensemble de la communauté internationale se préoccupait de leur sort.

La plainte du docteur Yamashina a tout de même été entendue par une parlementaire : Katô Shizue. Elle a donné lecture de la lettre en avril 1974, lors d’une réunion de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre basse, et pressé de questions le représentant de l’Agence de l’Environnement (aujourd’hui ministère de l’Environnement) à propos des oiseaux migrateurs. Si l’on se fie au compte rendu sténographique de la réunion, le fonctionnaire de l’agence, quelque peu perturbé, a reconnu que, si le Japon avait fait d’énormes progrès dans le domaine économique au cours des années précédentes, il était peut-être vrai qu’on n’avait pas accordé suffisamment de considération à ce genre de questions. Par la suite, l’Agence de l’Environnement s’est dédiée à la préservation des oiseaux migrateurs. Ce fut une réunion mémorable : la Diète prenait enfin au sérieux le problème de la préservation de ces espèces.

(Photo de titre : des oies rieuses survolant Miyajima-numa. Avec l’aimable autorisation du Centre des oiseaux aquatiques et des marécages de Miyajima-numa.)

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