Histoire de l’environnement japonais à l’époque moderne

Le mont Fuji et le fleuve Sumida : la renaissance de l’environnement japonais

Vie quotidienne

Ishi Hiroyuki [Profil]

L’auteur s’est lancé dans la carrière de journaliste scientifique au moment même où le Japon entrait dans une ère de lourde pollution industrielle. Ses premières investigations ont porté sur la pollution industrielle au Japon, mais le champ de sa recherche environnementale s’est rapidement élargi, jusqu’à couvrir 130 pays. Après avoir consacré de nombreuses années à dresser le bilan de la dégradation de l’environnement mondial, l’auteur tourne de nouveau son attention vers le Japon pour nous.

La montagne réapparaît

À l’époque de mon enfance, depuis la maison où je vivais au centre de Tokyo, on pouvait voir le sommet du mont Fuji. Jusqu’à la fin de mes études secondaires, le chemin que j’empruntais pour aller au lycée et en revenir longeait la Fujimizaka – « Pente de la vue du Fuji » – située dans le quartier Gokokuji de l’arrondissement de Bunkyô. Comme le nom l’indique, on pouvait voir le mont Fuji entre les bâtiments de haute taille. Lors des claires journées d’hiver, la vue de la cime du mont Fuji scintillant sous la neige me remplissait d’un sentiment d’exaltation. Mais un linceul de brume a commencé à envelopper la montagne à l’époque où j’allais au lycée.

Le nombre de jours où le mont Fuji est visible depuis Tokyo constitue un baromètre de la pollution de l’air. Les élèves de la Seikei Gakuen, une école privée située à Musashino, banlieue ouest de la métropole tokyoïte, procèdent, dans le cadre de leurs études, à une collecte régulière de données météorologiques. Une des tâches qui leur incombent consiste à vérifier si le mont Fuji, distant de 83 kilomètres, peut être vu à l’œil nu depuis le toit de leur école. À partir de l’année 1963, ils se sont livrés à cette vérification tous les jours pendant un demi-siècle.

En 1965, au point culminant de l’ère de croissance rapide du Japon, le mont Fuji n’a été visible que 22 jours au cours de l’année. Après la crise pétrolière de 1973 et la baisse soudaine de la consommation de pétrole qui en a résulté, ce chiffre a franchi la barre des 80 jours. L’air de Tokyo a continué de s’éclaircir à mesure que le contrôle des émissions des voitures et des usines se renforçait. En 2014, grâce à ces contrôles et au fait que le climat de Tokyo est devenu de plus en plus sec, le nombre annuel des jours où le mont Fuji était clairement visible a atteint le niveau record de 138 jours.

À mesure que l’atmosphère de Tokyo s’est éclaircie, le mont Fuji est devenu plus fréquemment visible depuis le centre-ville. (Photo : Jiji Press/Aero Asahi Corporation)

Avant d’en arriver là, le chemin n’a pas été sans accroc. Le 18 juillet 1970, pendant un cours d’éducation physique donné sur le terrain de sport du lycée Risshô de Tokyo situé à proximité de la Route métropolitaine 318, « Kan-nana » (boulevard périphérique n°7), 43 élèves ont été victimes d’un malaise provoqué par le brouillard photochimique et caractérisé par une forte irritation de la gorge et des yeux. Cette affaire a déclenché une explosion de colère dans la population tokyoïte. Il se trouve qu’à peu près au même moment je participais à la toute première manifestation en faveur de la protection de l’environnement. Notre défilé s’est fait sous le slogan « Rendez-nous notre belle nature ! »

À l’époque où le mont Fuji disparaissait sous un linceul de brume, les États-Unis et l’Europe étaient eux aussi touchés par la pollution de l’air. À Londres, le smog était si dense que de nombreuses personnes en sont mortes. En Suède et en Norvège, les pluies acides rayaient de la carte des forêts entières, vidaient de leurs poissons réservoirs et lacs et provoquaient l’effondrement de bâtiments anciens. Les alertes aux brouillards photochimiques étaient si fréquentes à Los Angeles que les parents refusaient d’envoyer leurs enfants à l’école.

Pour revenir au Japon, dans la ville de Yahata, sur l’île de Kyûshû, au sud-ouest de l’Archipel, un instrument de mesure de la qualité de l’air a détecté le pire niveau enregistré depuis le début des mesures de la pollution. Yahata – qui a fusionné avec quatre autres municipalités en 1963 pour former la ville de Kita-Kyûshû – était une florissante ville-entreprise liée aux aciéries Yahata, dont les cheminées crachaient des panaches multicolores de « fumée arc-en-ciel ». Cette dense fumée, qui passait pour un signe de prospérité, a même été incorporée dans la chanson officielle de la ville, dont le second couplet disait :

Des panaches ondulants de flammes incandescentes
Envoient des tourbillons de fumée dans le ciel
Glorieux paysage de nos aciéries
Yahata, Yahata, notre ville de Yahata
Faire régner la prospérité sur notre ville, tel est notre devoir

Aux yeux des travailleurs et autres habitants de la ville qui chantaient cette chanson, les émissions de fumées étaient un symbole d’opulence et ils étaient très fiers de leurs aciéries. Les cartes postales qui se vendaient à l’époque représentaient des paysages urbains noyés dans la fumée.

Les mères de familles vivant à Yahata, inquiètes pour la santé de leurs enfants, ont été les premières à se dresser contre la pollution. L’association féminine locale, qui avait pris pour slogan « nous voulons un ciel bleu », a invité des spécialistes à prendre la parole lors de réunions des habitants, et certaines femmes sont même allées à l’université pour apprendre à mesurer la pollution de l’air. Elles ont parlé avec des cadres des aciéries Yahata et elles ont fini par convaincre le conseil municipal d’adopter des réglementations plus strictes. La collaboration entre la population locale, l’entreprise et la municipalité a rapidement produit une amélioration décisive de l’environnement de la ville. Dès les années 1980, Kita-Kyûshû était labellisée « ville miracle », au Japon et à l’étranger, pour son succès dans la lutte contre la pollution. En 1990, les individus et les groupes qui avaient œuvré à cette belle réussite se sont vu décerner le prix du Palmarès mondial des 500 par le Programme des Nations unies pour l’environnement.

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Ishi HiroyukiArticles de l'auteur

Journaliste et scientifique spécialisé dans l’environnement. Après un bref passage au comité de rédaction du Asahi Shimbun, il a été consultant principal pour le Programme des Nations unies pour l’environnement à Nairobi et à Bangkok. Il a également occupé des chaires d’enseignement supérieur dans les instituts de hautes études des Universités de Tokyo et de Hokkaido, été ambassadeur du Japon en Zambie et conseiller auprès de l’Agence japonaise de coopération internationale et des conseils d’administration du Centre régional de l’environnement pour l’Europe centrale et orientale (CRE) à Budapest, ainsi que de la Société ornithologique du Japon. Auteur de divers ouvrages, dont Chikyû kankyô hôkoku (Rapport sur l’environnement mondial), Kilimandjaro no yuki ga kiete iku (La disparition des neiges du Kilimandjaro) et Watashi no chikyû henreki – Kankyô hakai no genba o motomete (Mes voyages à travers le monde pour étudier la destruction de l’environnement).

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