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Araki Nobuyoshi : le regard insatiable d’un photographe fasciné par la vie et la mort

Culture

Iizawa Kotaro [Profil]

Araki Nobuyoshi est l’une des figures majeures de la photographie contemporaine, mais aussi l’un des artistes les plus sulfureux et les plus bouleversants de notre temps. Son ami de longue date, le critique de photographie Iizawa Kôtarô, revient sur le parcours hors du commun de ce créateur aux mille visages.

Une soif de création toujours aussi insatiable

Les années qui ont suivi n’ont pas été de tout repos pour Araki Nobuyoshi. En 2008, il a été hospitalisé et opéré d’un cancer de la prostate. En 2010, Chiro, son chat bien aimé (voir photo ci-dessous), est mort à l’âge de 22 ans. En 2011, le nord-est du Japon a été dévasté par un terrible séisme suivi d’un tsunami. L’année suivante, le photographe a été victime d’une thrombose artérielle qui lui a fait perdre la quasi totalité de la vue du côté droit. Les épreuves n’ont pas cessé de se multiplier. On pourrait penser que l’équilibre subtil entre Eros et Thanatos qui prévalait jusque-là est en train de disparaitre et que la mort a pris le dessus. Mais les photographies les plus récentes de l’artiste ne donnent pas une impression aussi négative. Notamment Tokyo zenritsusen gan (« Cancer de la prostate à Tokyo », 2009) consacré aux jours ayant précédé et suivi son opération ; ou Chiro, l’amour et la mort (2010) qui relate de façon poignante le combat de son chat avec la maladie ; ou encore les photos de la série Sagan no koi (« L’amour de l’œil gauche », 2014) dont la partie droite a été masquée au feutre noir. Toutes ces œuvres prouvent au contraire que le photographe est toujours habité par la même volonté farouche de créer.

En 2014, le Musée d’art municipal de Toyota, le Musée d’art de la ville de Niigata et la galerie Shiseido de Tokyo ont abrité une exposition intitulée « Photographies de la fin de vie » qui comprenait plusieurs œuvres très puissantes d’Araki. En particulier Dôro (« Route », 2014), publié la même année sous le titre Michi (« Le chemin ») par les éditions Kawade shobô shinsha ; et Higashi no sora (« Le ciel de l’Est »), une série constituée de photographies en continu du ciel en direction de Fukushima, prises après la catastrophe du 11 mars 2011. Du 13 avril au 5 septembre 2016, le Musée national des arts asiatiques Guimet a présenté une rétrospective majeure intitulée tout simplement Araki incluant aussi 98 œuvres nouvelles(*1). À cette occasion, le public européen a été une fois de plus complètement subjugué par la puissance créatrice de cet artiste.

Tombeau Tokyo regroupe une partie des œuvres présentées au public lors de la grande rétrospective consacrée à Araki Nobuyoshi par le Musée national des arts asiatiques Guimet, du 13 avril au 5 septembre 2016 (Switch Publishing, 2016).

Il fut un temps où Araki Nobuyoshi n’était connu que par un cercle d’initiés. Mais à présent, c’est un créateur majeur de notoriété mondiale qui fait toujours partie de l’avant-garde de l’expression photographique. Sa manière de travailler n’a pratiquement pas changé. On a certes quelques raisons de s’inquiéter pour sa santé, mais la dernière fois que je l’ai rencontré, il y a peu de temps, il était en pleine forme. « Cette année, j’ai l’intention de montrer de nouvelles œuvres dans au moins cinq endroits différents », m’a-t-il affirmé. À mon avis, Araki Nobuyoshi va continuer à jouer subtilement avec de multiples images, parfois empreintes d’humour, et à nous attirer dans le monde à nul autre pareil qui est le sien par la puissance magique de ses photographies.

Chiro, le chat bien aimé du photographe. Photographie argentique. Tombeau Tokyo, 2016 (© Nobuyoshi Araki, avec l’aimable autorisation de la galerie Taka Ishii)

(D’après un original en japonais. Avec la collaboration de la galerie Taka Ishii et du resto-photo Megutama. Photo de titre : autoportait d’Araki Nobuyoshi © Nobuyoshi Araki)

(*1) ^ Cette exposition a donné lieu à un catalogue très complet intitulé Araki, publié en 2016 par les éditions Gallimard en partenariat avec le Musée des arts asiatiques Guimet.

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Iizawa KotaroArticles de l'auteur

Critique photographique. Lauréat du Prix Suntory des Arts et des Lettres pour Bienvenue au musée de la photographie (Kodansha Gendai Shinsho) et du Prix annuel de la Société japonaise de photographie pour La photographie d’art et son époque (Chikuma Shobô). Membre du jury pour divers concours photographiques et organisateur d’expositions.

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