Réfléchir à la guerre

Former des successeurs pour raconter Hiroshima

Société

À mesure que se réduit la population des victimes de la bombe atomique, appelées les hibakusha, les récits de leurs souffrances disparaissent avec elle, jusqu’au jour où il ne restera plus personne pour raconter. Afin de garder ces témoignages vivants, la ville d’Hiroshima a lancé un projet visant à former des successeurs aptes à transmettre les expériences des survivants de la bombe A.

Une idée soutenue par les victimes

Le projet « Successeur des victimes de la bombe A » a été bien accueilli par de nombreux hibakusha, dont Kasaoka Sadae, qui n’a commencé que tout récemment à partager son expérience. Elle a donné un témoignage vidéo pour le musée, mais elle considère que parler directement aux gens a un impact beaucoup plus fort.

Kasaoka Sadae était déjà octogénaire quand elle a commencé à parler de son expérience.

Kasaoka Sadae, devant à gauche, avec sa famille en 1940

« Il n’y a pas de comparaison entre les deux formules », s’exclame Kasaoka Sadae. « Depuis le début, je dis aux enfants d’écouter avec leur cœur. Je peux même admettre qu’ils s’endorment, pourvu que mes mots résonnent dans leur poitrine. On ne peut pas créer un lien d’une telle intensité avec une vidéo. »

Jusqu’ici, Kasaoka Sadae a formé six successeurs. Elle dit qu’elle s’est livrée à un examen attentif des scénarios qu’ils ont produits et a demandé des corrections pour faire en sorte que les récits reflètent fidèlement son expérience. Malgré l’ampleur de la tâche, la conscience que le temps qui lui reste pour partager ce dont elle se souvient est limité lui donne du cœur à l’ouvrage. Savoir que les successeurs vont perpétuer son témoignage et ceux d’autres rescapés pour les générations à venir la remplit d’espoir.

« Leurs histoires coulent naturellement en moi »

Hosomitsu Norie fait partie de la première vague des participants qui ont rejoint le projet. Avant cela, elle avait travaillé pour une ONG qui faisait campagne pour l’abolition des armes nucléaires, et l’indifférence affichée par beaucoup de jeunes à l’égard des récits des rescapés de la bombe A la préoccupait. Au début, la longueur des périodes de formation et la lourdeur des responsabilités la rebutaient, mais elle a fini par surmonter ses appréhensions, en se disant que, même si elle n’allait pas jusqu’au bout de sa formation, le plus important était de contribuer dans la mesure de ses moyens à soutenir le programme.

Hosomitsu Norie raconte le parcours pour devenir successeur des victimes de la bombe A.

Animée par le sens du devoir, elle acheva sa formation en trois ans, le délai minimal, tout en occupant un emploi régulier. Pendant tout ce temps, elle assista, jusqu’à quatre fois par mois, à des témoignages donnés par Kasaoka Sadae et d’autres hibakusha, et interrogea assidûment ses mentors. Ses efforts ont porté leurs fruits, et elle fut désignée comme successeur des victimes de la bombe A en avril 2015.

Désormais, Hosomitsu Norie donne des conférences au musée tous les mois et demi. Elle se dit confiante dans son aptitude à la présentation et ne manifeste guère d’intérêt pour les formations complémentaires. « Les expériences des hibakusha sont enracinées dans mon corps et mon âme », dit-elle. « Leurs histoires coulent naturellement en moi. »

Aussi fidèlement qu’elle s’efforce de relater les expériences de son mentor hibakusha, elle est bien consciente des limites qui s’attachent à sa position de suppléante. « Je continue d’être nerveuse », dit-elle. « Seuls les rescapés connaissent vraiment l’ampleur des souffrances engendrées par la bombe atomique. Le mieux que je puisse faire, c’est de transmettre honnêtement leurs histoires. »

Pour Hosomitsu Norie, le lien avec les mentors hibakusha est de nature spirituelle. « S’il s’agissait juste d’expliquer l’expérience vécue par un survivant, on pourrait se contenter de réciter un scénario ou de montrer des témoignages en vidéo », observe-t-elle. « Mais en tant que successeurs des victimes de la bombe A, nous transmettons jusqu’aux sentiments et aux émotions. Nous passons des heures à observer et écouter nos mentors jusqu’à ce que leurs expériences s’imprègnent au plus profond de notre être. »

Avec un sourire à l’intention de Kasaoka Sadae, elle ajoute : « À travers mon engagement dans le programme, j’ai développé une profonde affection pour elle, pas seulement en tant que hibakusha, mais aussi comme amie. »

(Photos : Dôune Hiroko, sauf mention contraire. Photo de titre : l’extérieur du Dôme de la bombe atomique, dans le parc du Mémorial pour la paix de Hiroshima)

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