Réfléchir à la guerre

Former des successeurs pour raconter Hiroshima

Société

À mesure que se réduit la population des victimes de la bombe atomique, appelées les hibakusha, les récits de leurs souffrances disparaissent avec elle, jusqu’au jour où il ne restera plus personne pour raconter. Afin de garder ces témoignages vivants, la ville d’Hiroshima a lancé un projet visant à former des successeurs aptes à transmettre les expériences des survivants de la bombe A.

Comment se forment les successeurs

Plus de sept décennies après le bombardement de Hiroshima, les hibakusha ont désormais atteint l’automne de leur vie. D’après le ministère du Travail, de la Santé et des Affaires sociales, l’âge moyen des rescapés de la bombe atomique était de 81,41 ans en mars 2017. Et, à mesure que leurs effectifs diminuent, le moment approche peu à peu où il n’y aura plus aucun témoin vivant pour donner un récit de première main de l’horreur des armes nucléaires.

Nakagawa Haruaki, un employé de la ville de Hiroshima, explique l’arrière-plan du programme « Successeur de l’héritage de la bombe A ».

Nakagawa Haruaki, directeur du Département pour la promotion de la paix internationale de Hiroshima, dit que c’est à l’occasion des conférences publiques données par les hibakusha qui viennent régulièrement parler de leurs expériences que le sentiment de perte est ressenti de la façon la plus aiguë. « Il ressort d’une étude que nous avons effectuée au début de l’année que ce groupe est constitué de 150 personnes », explique-t-il. « Ces gens ont entre 71 et 95 ans, et certains d’entre eux étaient encore dans le ventre de leur mère quand la bombe est tombée. Nous nous attendions à un chiffre d’environ 200, et cela nous a ouvert les yeux quand nous nous sommes rendu compte que tant d’éminents hibakusha avaient disparu. »

Confrontée à l’urgence de la situation, Hiroshima a lancé en 2012 le programme « Successeur de l’héritage de la bombe A », dans le but de préserver les récits des victimes du drame toujours en vie, dont le nombre ne cesse de diminuer. Dans le cadre de cette initiative, des gens, appelés « successeurs des victimes de la bombe A », passent un minimum de trois années à s’imprégner des histoires des survivants. En octobre 2017, il y avait 243 participants de tous âges en cours de formation, 89 successeurs confirmés et 15 mentors hibakusha chargés de transmettre leurs récits.

Nakagawa Haruaki nous informe que le programme est ouvert à tous, même aux gens qui ne sont pas de Hiroshima. À l’issue de leur formation, les participants, reconnus officiellement comme successeurs de la bombe A par la Fondation pour la culture de la paix de Hiroshima, peuvent commencer à donner des conférences, principalement au musée, qui met en place trois séances de présentation par jours, et dans les écoles locales. Les présentations se font en général en japonais, mais plusieurs participants ont été formés pour donner des conférences en anglais.

En 2016, les successeurs des victimes de la bombe A ont donné plus de 1 000 présentations et se sont exprimés devant plus de 16 000 personnes. Mais le programme en est encore a ses débuts et Nakagawa Haruaki admet volontiers qu’il reste des choses à améliorer. « La réaction du public a été merveilleuse jusqu’ici, mais bien des gens pensent que les présentations méritent d’être peaufinées », nous dit-il. « Cela prendra du temps, et nous nous efforçons de gommer les imperfections à long terme. »

L’une des salles servant à la formation des successeurs.

L’accès au statut de successeur des victimes de la bombe A exige un haut niveau d’engagement. Pendant la première année de leur formation, les participants assistent à des conférences données par des hibakusha et s’entraînent à parler en public. La deuxième année, ils sont chargés d’apprendre les histoires racontées par leurs mentors survivants de la bombe A, notamment à travers une présence assidue à leurs côtés lors des causeries et en travaillant avec eux à la création de scénarios fondés sur leurs expériences. La troisième et dernière année est consacrée à l’acquisition de l’expérience pratique, au peaufinage des présentations et à l’affûtage des capacités narratives. À l’issue de la période de formation, les participants doivent, pour être officiellement reconnus comme successeurs des victimes de la bombe A, obtenir l’approbation des hibakusha sous la tutelle desquels ils ont étudié.

Un panneau donne les dates des conférences des successeurs des victimes de la bombe A.

L’obstacle le plus difficile à franchir au cours des trois années que dure la formation réside dans la création d’un scénario relatant l’expérience vécue. Pour une personne extérieure à la catastrophe, la restitution des expériences uniques et chargées d’émotions vécues par les rescapés de la bombe A peut s’avérer incroyablement difficile, et bien des participants sont submergés par l’ampleur de la tâche.

Ceux qui accèdent au statut de successeur des victimes de la bombe A héritent quant à eux de l’importante mission que constitue la transmission des témoignages des rescapés de la bombe. Il se trouve toutefois, et cela est tout à fait compréhensible, que bien des gens préfèrent entendre directement les récits de la bouche des hibakusha. Ainsi, pour le moment, les successeurs doivent essentiellement se contenter de jouer un rôle secondaire.

« Il y a des gens qui pensent qu’il est encore trop tôt pour demander à des successeurs de partager les récits des hibakusha », dit Nakagawa Haruaki. « Mais on ne peut pas attendre que le dernier survivant de la bombe atomique ait disparu. Il est capital de mettre en route le processus de formation des successeurs alors qu’il reste des hibakusha physiquement et mentalement aptes à transmettre directement les expériences qu’ils ont vécues. »

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