Entreprises made in Nippon

Une dynastie de marchands de thé et de papier japonais installée à Odawara depuis 350 ans

Kikuchi Masanori [Profil]

La famille Ejima tient un commerce de thé et de papier japonais depuis plus de trois siècles, dans la ville située au pied du château d’Odawara, à une soixantaine de kilomètres de Tokyo. Au cours de sa longue histoire, elle a été confrontée plusieurs fois à de terribles épreuves qu’elle a réussi à surmonter en se diversifiant sans perdre pour autant l’essence de ses traditions.

Les conséquences catastrophiques du grand tremblement de terre du Kantô

En 1923, la maison Ejima a été confrontée à la pire crise de son histoire. Cette année-là en effet, la région du Kantô a été ravagée par un terrible tremblement de terre qui a fait plus de cent mille morts et de disparus à Tokyo et dans la préfecture de Kanagawa. Le point de départ du séisme se trouvant à Odawara, la ville a été très sévèrement touchée, à commencer par le magasin de la famille Ejima qui a été entièrement détruit.

« D’après ce qu’on raconte, c’est l’incendie consécutif au tremblement de terre qui a en partie anéanti l’édifice », explique Ejima Ken. « La resserre en terre (kura) et de nombreux documents datant de l’époque d’Edo ont eux aussi disparu. Nos activités ont dû être transférées pendant un certain temps dans un bâtiment provisoire. »

Ejima Ken, descendant à la dix-septième génération du fondateur d’Ejima, en train de donner des explications sur les objets relatant la longue histoire de sa famille, qui sont exposés dans son magasin.

Mais Ejima Taisuke, le successeur à la 15e génération du fondateur, ne s’est pas pour autant laissé abattre et il s’est aussitôt mis en devoir de remettre la maison de commerce sur pied. Cinq ans après la catastrophe, un nouvel édifice en bois d’un étage s’élevait à l’emplacement du précédent. Il avait été construit avec des matériaux de diverses provenances capables de résister aux secousses sismiques. Ce bâtiment d’une surface de 195 m2 avait, entre autres caractéristiques, un imposant auvent (hisashi) au niveau du rez-de-chaussée. À l’époque, la construction d’une maison en bois coûtait environ 3 000 yens mais la famille Ejima a déboursé 21 000 yens pour son nouveau magasin.

L’édifice a eu la chance de sortir intact des bombardements aériens qui ont touché Odawara pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a aussi survécu à la bulle économique des années 1980 où beaucoup de bâtiments anciens ont été démolis. La vieille enseigne au nom d’« Ejima » qui orne le premier étage du magasin est toujours en place. En 2003, Odawara a intégré ce vénérable bâtiment dans le « musée du coin de la rue » (machikado hakubutsukan) qui regroupe des échoppes et des fabriques de produits qui ont joué et jouent encore un rôle important dans l’histoire culturelle et industrielle de la ville.

Le magasin Ejima expose par ailleurs des documents qui permettent de se faire en partie une idée de son histoire. Certains des objets présentés dans des vitrines datent du XIXe et du XXe siècles, entre autres des livres de comptes, des pièces de monnaie anciennes, des ustensiles pour la cérémonie du thé, des photographies du bâtiment à diverses époques et des vêtements portés par sept artisans – plâtriers, charpentiers et autres paysagistes – impliqués dans sa construction.

Exemples des livres de comptes et autres documents historiques en parfait état exposés dans le magasin Ejima.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la maison Ejima a traversé un moment crucial de son histoire. Ejima Taisuke a été invité par des membres de sa famille à se lancer dans le commerce du gaz propane.

« À l’époque, le combustible le plus courant de l’Archipel était encore le charbon de bois mais aussitôt après la guerre, les Japonais ont commencé à utiliser le gaz propane. Mon grand-père a été le premier à en vendre à Odawara », précise Ejima Ken.

Les ventes de propane ont fait de rapide progrès durant cette période où l’on manquait cruellement de combustibles. La famille Ejima a appliqué une fois de plus la tactique dynamique de diversification des ventes à laquelle elle avait déjà eu recours à l’époque d’Edo, en commercialisant du papier japonais après avoir commencé par le sel, puis plus tard, en se mettant à vendre du thé. À l’heure actuelle, c’est la société Marue – une filiale familiale installée elle aussi à Odawara – qui est chargée de la vente du propane, le magasin Ejima constituant une de ses branches d’activité. Ejima Ken, qui a pris la tête de l’entreprise familiale il y a 25 ans, à la mort de son père Ejima Yasushi, est à la fois directeur de Marue et directeur commercial d’Ejima.

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Kikuchi MasanoriArticles de l'auteur

Né en 1965 à Hokkaidô. A été journaliste au quotidien Hokkaidô Shimbun, puis journaliste indépendant. Écrit des reportages basés sur des interviews et des chroniques à caractère social pour des revues comme Aera, Chûô Kôron, Shinchô 45 et President.

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