Retour à Hiroshima et Nagasaki
Nagai Takashi, un médecin au cœur du bombardement atomique de Nagasaki
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À mi-pente d’une côte proche de la Statue pour la Paix, un symbole de la ville de Nagasaki ravagée par la bombe atomique dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, se dresse une minuscule maison en bois. C’est là que Nagai Takashi, atteint d’une leucémie, a fini ses jours, et aussi à cet endroit que pendant quatre ans et demi, il a rédigé 17 livres, dans cette demeure qu’il avait lui-même baptisée Nyokodô (Amour du prochain) en référence à l’Évangile selon saint Marc : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (12, 31).
Le quartier d’Urakami, où vivait Nagai, a accueilli de nombreux chrétiens du XVIIe au XIXe siècle, durant toute la période où ils furent persécutés ; il a aussi été durement frappé par le bombardement.
Les écrits de Nagai qui n’a eu de cesse de sauver son prochain alors qu’il avait lui-même été irradié, sont des documents précieux sur les conséquences du bombardement atomique, mais ils sont également le message d’amour universel d’un chrétien épris de paix.
Une vie en sursis avant la bombe
Nagai Takashi est né en 1908 à Matsue (préfecture de Shimane). Diplômé de la faculté de médecine de Nagasaki, il se spécialise en radiologie ; son travail de radiologue pendant la guerre, à une époque où la tuberculose fait rage et où les installations sont insuffisantes, lui cause une leucémie. En juin 1945, à l’âge de 38 ans, deux mois avant le bombardement atomique, il apprend qu’il ne lui reste plus que trois ans à vivre.
Le jour où la bombe atomique est larguée sur Nagasaki, il travaille à l’hôpital. Irradié, il a l’artère temporale droite sectionnée. Son épouse est morte chez eux, brûlée vive. Nagai dépeint ainsi les heures suivant le bombardement : « C’est l’enfer, l’enfer total. Plus personne ne geint, c’est le monde des morts. » (Les cloches de Nagasaki)
C’est le lendemain, en lisant les tracts largués par l’armée américaine, qu’il apprend que la ville a été frappée par une bombe atomique. Quand le spécialiste en radiologie qu’il est lit ce tract, il pâlit : il savait que les Américains essayaient de mettre au point une bombe atomique, mais il ignorait qu’elle serait prête aussi vite.
Dans les heures suivant le bombardement, Nagai s’emploie à secourir les autres victimes, la tête bandée d’un simple linge. Il réunit ensuite les cendres de sa femme pour célébrer ses funérailles, puis, le 12 août, il ouvre un dispensaire dans lequel, pendant 58 jours, il dirige une équipe médicale pour soigner les personnes irradiées. Lui-même frôle la mort durant cette période, mais se remet miraculeusement.
En juillet 1946, après avoir fait un malaise à la gare de Nagasaki, il est contraint de garder le lit. Il se met alors à écrire, allongé sur sa couche.
Une parution retardée par les autorités
La publication des Cloches de Nagasaki, un essai rédigé par Nagai en août 1946, n’a pas été chose facile. C’était le premier témoignage mondial sur l’irradiation rédigé d’un point de vue médical et, en tant que tel, le Commandement suprême des forces alliées (GHQ) exerçait dessus une censure implacable. Il faudra attendre plus de deux ans avant la publication de cet essai, pour laquelle le GHQ impose qu’il soit couplé avec La tragédie de Manille, un document rapportant les exactions commises par l’armée japonaise à Manille en février 1945.
Dans le même temps, en 1948, décidé à faire refleurir le quartier dévasté d’Urakami, Nagai offre un millier de plants de cerisiers à diverses institutions comme la cathédrale d’Urakami : ils seront surnommés les « mille cerisiers de Nagai ». En mars, les habitants du quartier lui construisent, à partir de planches récupérées dans les décombres, une minuscule maison où s’installer : le Nyokodô.
Les cloches de Nagasaki, publié en janvier 1949, devient un véritable best-seller, à une époque où le papier manque encore cruellement. En juillet de la même année, une chanson baptisée du même nom connaît un grand succès. Son interprète, Fujiyama Ichirô, viendra même au Nyokodô l’année suivante, avec son accordéon, la chanter pour Nagai. Cette chanson clôturera d’ailleurs la première édition de l’émission Kôhaku Uta Gassen de la NHK, qui deviendra ensuite un grand classique de la fin de l’année (à l’époque, elle était diffusée le 3 janvier et non le 31 décembre comme aujourd’hui).
En 1950, l’essai de Nagai est porté au grand écran par le réalisateur Ôba Hideo, sur un scénario de Shindô Kaneto. C’est le premier film sur le bombardement atomique, et là encore, la censure du GHQ s’applique : plutôt que de montrer les dommages causés par le bombardement, le film s’attachera aux efforts de reconstruction.
Des visiteurs du monde entier à son chevet
À la fin de sa vie, Nagai reçoit la visite de personnalités du monde entier. En octobre 1948, c’est l’Américaine Helen Keller qui se rend à son chevet pendant un voyage au Japon, elle qui parcourait le monde entier malgré sa cécité et sa surdité, et qui a énormément fait pour l’éducation et le bien-être des personnes handicapées. Ému, Nagai lui serre les mains, les larmes aux yeux. Il écrit dans Mes enfants bien-aimés : « Sa tendre affection a brusquement envahi mes membres, comme l’électricité traverse soudain un circuit électrique fermé. »
En mai 1949, il accueille à son chevet l’empereur Shôwa, en visite à Nagasaki. Trois jours plus tard, il doit recevoir la visite du cardinal Gilroy, émissaire du pape, mais Nagai insiste pour se déplacer lui-même : il se rend dans la salle où est reçu le cardinal et baise les reliques de saint François-Xavier apportées par l’émissaire. L’année suivante, c’est l’archevêque Maximilien de Furstenberg qui lui rend visite et lui offre un rosaire.
Halte à la guerre dans le cœur des hommes
Nagai n’a pas toujours été chrétien ; il a d’abord été un fidèle du sanctuaire d’Izumo. Pendant ses études à la faculté de médecine de Nagasaki, écouter tous les jours l’angélus sonner à la cathédrale d’Urakami toute proche en lisant les Pensées de Pascal l’a guidé vers le christianisme. Son épouse Midori, quant à elle, venait d’une famille chrétienne depuis sept générations. Elle descendait ainsi des « chrétiens cachés » de Nagasaki.
Le titre des Cloches de Nagasaki vient de ces cloches qui ont rythmé les années d’études de Nagai. L’une des deux cloches de la cathédrale a résisté au bombardement atomique ; les fidèles l’ont sortie des décombres le 24 décembre 1945. Ils l’ont installée entre deux poutres et l’ont fait sonner pour annoncer la messe de Noël. C’est en entendant cette cloche sonner pour l’âme des victimes du bombardement que Nagai a décidé de donner ce titre à son essai.
Nagai se réjouit de la nouvelle Constitution japonaise promulguée le 3 mai 1947 : « Jamais, jusqu’à présent, nous n’avions aussi sérieusement réfléchi à ne pas faire la guerre. Tout cela découle de ces deux bombes atomiques. Puisque nous nous engageons dans la Constitution à renoncer à la guerre, il faut entièrement la faire disparaître du cœur des gens. » (La tour de la paix)
Nagai Takashi meurt le 1er mai 1951, à l’hôpital universitaire de Nagasaki. Il avait 43 ans. Son autopsie révèle que sa rate mesurait 35 fois la taille normale de cet organe, tandis que son foie, gonflé, était cinq fois plus gros que la moyenne. Le 14 mai, ses funérailles publiques furent célébrées en la cathédrale d’Urakami. Quelque vingt mille personnes vinrent lui rendre les derniers hommages.
(Photo de titre : le « Nyokodô », la dernière demeure de Nagai Takashi)