Toraya : un confiseur japonais en activité depuis près d’un demi-millénaire
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Privilégier le présent par rapport au passé ou à l’avenir
La maison Toraya a été fondée vers la fin de l’époque de Muromachi (1336-1573), au moment où la culture japonaise a connu une des périodes les plus brillantes de son histoire. C’est alors que Kurokawa Enchu a commencé à fabriquer et à vendre des sucreries japonaises (wagashi). Il s’est installé à Kyoto dans une boutique qu’il a baptisée Toraya (littéralement « le magasin du tigre »). L’entreprise n’a, depuis lors, jamais cessé ses activités et elle s’est transmise de génération en génération dans la famille Kurokawa.
En 1991, Kurokawa Mitsuhiro, descendant d’Enchu à la dix-septième génération, a repris le flambeau et depuis, il assume la fonction de PDG de Toraya. Quand on lui demande les raisons de la longévité exceptionnelle de son entreprise, il répond de façon très claire.
« Ce qui compte avant tout, c’est le présent, bien plus que le passé ou l’avenir. Nous devons faire en sorte de créer des spécialités adaptées aux exigences de la clientèle actuelle. Si la maison Toraya existe encore à ce jour, c’est parce qu’elle a su se renouveler continuellement et s’adapter à la sensibilité et aux goûts du moment.»
Le siège social de la maison Toraya se trouve à présent à Tokyo, dans le quartier d’Akasaka. L’entreprise compte plus de soixante-dix boutiques dans l’Archipel, pour la plupart situées à Tokyo et Kyoto. Elle propose un large éventail de wagashi, mais doit surtout sa renommée au yôkan, une pâte à base de haricots rouges japonais (azuki) qui se décline dans différentes saveurs.
Le yôkan, une spécialité pleine de promesses
Kurokawa Mitsuhiro pense que le yôkan pourrait avoir un jour autant de succès que le chocolat. Après tout, les Occidentaux ont mis du temps avant d’adopter le cacao rapporté en Europe sous forme de fèves par les conquistadors espagnols. Il a fallu notamment que son goût soit modifié par l’adjonction de divers ingrédients, entre autres du sucre de canne.
Mais Kurokawa Mitsuhiro est le premier à reconnaître que le yôkan ne pourra pas s’imposer du jour au lendemain. « Ce ne sera pas une tâche facile », explique-t-il. « Il faut mettre au point une stratégie à long terme qui définisse les objectifs à atteindre. »
La réussite de ce projet audacieux tient en grande partie à la qualité de la matière première, en l’occurrence le haricot rouge japonais appelé azuki, dont se composent en grande partie le yôkan et d’autres wagashi. À l’heure actuelle, la plupart des azuki utilisés par Toraya proviennent de l’île de Hokkaidô, au nord du Japon, où les conditions climatiques sont particulièrement favorables à la culture de cette variété de haricot, en raison de la grande amplitude des températures dans une même journée.
D’après le fils aîné de Kurokawa Mitsuhiro, Mitsuharu qui est appelé à succéder à son père, on cultive aussi des haricots rouges du même type en Chine, en Corée, au Vietnam, et même en Afrique, entre autres au Nigéria, mais le résultat est différent. « Il s’agit d’un problème non seulement de terroir mais surtout de semences. La qualité des azuki japonais est en effet bien supérieure à celle de ceux qui sont cultivés ailleurs. » Mais à l’heure actuelle, exporter des haricots japonais pour les cultiver dans d’autres pays n’est pas chose aisée et c’est l’un des obstacles majeurs qu’il faudra surmonter.
La boutique Toraya de Paris fête ses 40 ans
La maison Toraya a déjà déployé beaucoup d’efforts pour faire connaître les wagashi en dehors du Japon. En 1980, il y a exactement quarante ans, elle a ouvert une boutique à Paris qui a démarré lentement et il a fallu un certain nombre d’années avant qu’elle se fasse une clientèle locale fidèle. « Les Parisiens qui fréquentaient Toraya quand ils étaient petits, en compagnie de leurs parents, reviennent aujourd’hui avec leurs propres enfants » raconte Kurokawa Mitsuhiro.
Toraya a également ouvert une boutique à New York, en 1993, mais celle-ci a fermé ses portes dix ans plus tard, en 2003, à cause du montant trop élevé de ses frais généraux et des attentats du 11 septembre 2001 qui ont contraint un grand nombre de Japonais à quitter la ville. « Il aurait fallu pouvoir rester. Toraya Paris n’a vraiment trouvé une clientèle qu’au bout de quinze à vingt ans. J’espère qu’un jour, nous prendrons notre revanche à New York », affirme Kurokawa Mitsuhiro. L’entreprise japonaise envisage par ailleurs d’étendre ses activités à d’autres régions du monde, en particulier l’Asie et le Moyen Orient dont les confiseries présentent des similarités avec les wagashi en termes de goût et de texture.
Toraya Paris
Le 6 octobre 1980, la maison Toraya a ouvert une boutique à Paris, dans le 1e arrondissement, à deux pas de la place Vendôme. La devanture était ornée d’une enseigne traditionnelle en tissu (noren) où était calligraphié le nom du confiseur. L’année précédente, Kurokawa Mitsutomo, descendant à la 16e génération du fondateur de Toraya, avait déclaré qu’il avait « décidé d’ouvrir une boutique à Paris parce qu’il avait le sentiment que les wagashi pourraient contribuer à une meilleure compréhension de la nourriture et de la culture de l’Archipel et de ses habitants. »
L’antenne parisienne de Toraya se compose d’un salon de thé, d’une boutique et d’un espace de fabrication. En 1984, Toraya Paris a mis au point des « yôkan de Paris », des sucreries au goût du jour uniques en leur genre qui combinent les saveurs françaises et japonaises. Les créateurs de cette palette de six petites confiseries spécialement conçues pour la clientèle occidentale ont utilisé des ingrédients inédits dans la confiserie japonaise traditionnelle, entre autres le cassis, le café et la menthe.
En 1997, Toraya Paris a été entièrement rénové. La façade en pierre s’ouvre à présent sur deux grandes arches vitrées dont l’une correspond à l’entrée et l’autre à une vitrine, toutes deux étant reliées par une noren au nom du confiseur. Les spécialités préférées des Parisiens sont les « gâteaux frais » (namagashi) et les brioches fourrées (manjû). Mais la boutique de Paris propose aussi des yôkan, des monaka (gaufrettes à base de farine de riz fourrées à la pâte d’azuki) et des higashi (gâteaux secs) qui s’inscrivent dans la plus pure tradition japonaise, ainsi que des créations originales comme les dorayaki (galettes fourrées à la pâte d’azuki) et les macarons à la japonaise. Quant au salon de thé, on peut y déguster aussi bien un thé japonais accompagné de namagashi ou de manjû qu’un délicieux déjeuner japonais.
Toraya Paris (Boutique et salon de thé )
Adresse : 10, Rue St-Florentin, 75001 Paris
Ouverts tous les jours de 11 h à 19 h
(sauf dimanche et fêtes)
Crédit photo: avec l’aimable autorisation de Toraya
Toutefois les efforts de Toraya pour élargir sa clientèle ne se limitent pas aux pays étrangers. Le confiseur japonais fait aussi tout son possible pour séduire les jeunes générations de l’Archipel qui connaissent mieux les spécialités de style européen que celles de leur propre pays. Depuis une dizaine d’années, Toraya s’est lancé dans l’ouverture de boutiques tendance qui déclinent les traditions de l’entreprise sous un nouveau jour.
En 2003, le confiseur japonais a inauguré le Toraya Café situé dans le centre commercial très huppé de Roppongi Hills, en plein cœur de Tokyo. On y trouve une gamme de sucreries au goût entièrement nouveau qui tiennent à la fois des wagashi et des spécialités occidentales. Le « fondant au cacao et à la pâte d’azuki », qui marie deux ingrédients d’origine totalement différente, est particulièrement apprécié.
Tout en explorant ces nouvelles directions, Toraya doit bien entendu veiller aussi à continuer à satisfaire ses clients les plus fidèles. Kurokawa Mitsuhiro compare ce subtil équilibre entre tradition et modernité à un paysage urbain. « Certains voudraient, par exemple, que Tokyo n’ait pas changé depuis l’époque d’Edo (1603-1868), mais s’il leur fallait vivre dans la ville telle qu’elle était à cette époque, ils se sentiraient très vite mal à l’aise et gênés à bien des égards. Les changements sont inévitables. » Le panorama que l’on découvre depuis le siège social de Toraya, où Kurokawa Mitsuhiro nous reçoit, illustre parfaitement sa conception des choses. Il englobe à la fois le palais d’Akasaka, un magnifique ensemble architectural on ne peut plus traditionnel, et les tours de bureaux ultra-modernes de la capitale.
Des délices qui varient au fil des saisons
Kurokawa Mitsuhiro ne semble pas particulièrement obsédé par la tradition. Pourtant, celle-ci est bien palpable dans la boutique raffinée de wagashi située au rez-de-chaussée de l’immeuble qui abrite le siège social de Toraya. On y trouve un large éventail de yôkan dont certains sont en vente toute l’année alors que d’autres font leur apparition uniquement à un moment ou une saison donnés.
La boutique du Toraya Building propose aussi cinq ou six sortes différentes de « gâteaux frais » (namagashi), un type de wagashi fabriqué au jour le jour avec des ingrédients et un décor qui varient au fil des saisons. La palette des namagashi change toutes les deux semaines et elle réunit souvent des recettes vieilles de plusieurs siècles et des créations toutes récentes. Celle du début du mois d’août, par exemple, comprend à la fois un namagashi dont l’origine remonte à 1773 et celui créé en 1994.
Matsudaira Naritada, le directeur du département des relations publiques de Toraya, ajoute que son entreprise s’efforce constamment de mettre au point de nouveaux namagashi et d’autres sucreries, un travail qui demande à chaque fois environ trois ans. Il n’est en effet pas question de mettre en circulation un nouveau produit tant qu’il n’a pas donné entièrement satisfaction à ses créateurs, et d’attendre l’avis des clients pour faire des ajustements.
Chaque visite chez Toraya est toujours une découverte, dans la mesure où la gamme des namagashi proposés à la clientèle se renouvelle en permanence, y compris en ce qui concerne les créations les plus récentes. Le décor et les ingrédients des « gâteaux frais » du moment sont étroitement liés à un moment particulier de l’année.
Les sucreries de Toraya donnent un avant-goût des changements de saison. C’est ainsi que l’un des namagashi de la mi-août a la forme d’une châtaigne évoquant l’arrivée de l’automne. « Mais les confiseries à base de châtaigne ne font leur apparition dans nos boutiques qu’au mois de septembre, c’est-à-dire au moment où ce fruit arrive à maturité » précise Matsudaira Naritada.
Pour les habitants des villes, qui n’ont pas forcément une conscience aigüe du cours des saisons, ces friandises sont l’occasion de faire une pause et de goûter au charme spécifique d’un moment particulier de l’année.
L’avenir des fabricants de wagashi
La maison Toraya semble promise à un avenir aussi brillant que son passé. Mais pour les confiseurs japonais plus modestes, qui constituent l’essentiel de la profession, le futur paraît beaucoup plus incertain. En tant que directeur de l’Association des fabricants de wagashi du Japon, Kurokawa Mitsuhiro est tout à fait conscient de la situation.
« Les fabricants de wagashi manquent de confiance en eux-mêmes. Les patrons me disent souvent que leurs fils travaillent ailleurs, comme employés, et qu’ils ne veulent pas reprendre le flambeau familial parce que gagner sa vie dans ce secteur est trop dur », explique-t-il. Si elles ne trouvent personne pour les reprendre, ces entreprises devront fermer. Kurokawa Mitsuhiro pense que pour redonner le moral à la profession et la rendre plus attractive pour les nouvelles générations, il faudrait mettre l’accent sur les artisans qui fabriquent les wagashi. « Bien qu’ils soient incroyablement doués, ils sont pour la plupart relativement peu connus. Il faut braquer la lumière des projecteurs sur eux. »
Kurokawa Mitsuhiro aimerait que le nom des artisans qui fabriquent les confiseries — plutôt que celui des entreprises pour lesquelles ils travaillent — soit bien en évidence, un peu comme pour les cuisiniers et les pâtissiers français. D’après lui, ce serait un moyen d’attirer l’attention des jeunes sur cette profession.
Si la maison Toraya est restée en activité pendant près d’un demi-millénaire, tout en conservant une grande partie de ses traditions, c’est parce qu’elle a su se concentrer sur ce qu’il fallait faire sur le moment, au lieu de se contenter de répéter ce qu’elle avait fait dans le passé.
La flexibilité de Toraya tient sans doute au fait que dans la famille Kurokawa, il n’y a pas de « mot d’ordre » transmis de père en fils. Quand Kurokawa Mitsuhiro a succédé à son père à la tête de l’entreprise, en 1991, il a pris conscience de la liberté et des responsabilités qui allaient de pair avec sa nouvelle fonction. « Comme il n’y avait pas de mot d’ordre, je pouvais faire comme je l’entendais, car tout reposait sur moi. »
Informations sur l’entreprise
Nom de la société : Toraya Confectionery Co., Ltd.
Siège sociale : 4-9-22 Akasaka, Minato-ku, Tokyo 107-8401
Représentant : Kurokawa Mitsuhiro, PDG
Activité : Fabrication et vente de sucreries japonaises
Capitalization : 24 millions de yens
Effectifs : 878 employés (1 juin 2013)
Site internet (français) : http://www.toraya-group.co.jp/paris/index.html
(Article mis à jour en octobre 2020. Texte de Nagasawa Takaaki. Photographies de Kimura Junko, Jana Press.)