Le secret du produit « qui vend »
Spécialités provinciales : de nouvelles tendances
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Du nouveau sur le marché de l’omiyage
Les raffinements et l’ampleur de la coutume des omiyage, ces spécialités locales à offrir à tout le monde, famille, amis, relations professionnelles dès qu’on part en voyage, ou qu’on revient, sont peut-être un trait culturel spécifiquement japonais. Car les omiyage emplissent la moindre gare locale, le moindre aéroport régional, offerts à la vente pour tout visiteur ou touriste.
D’après l’Institut de recherche sur le Tourisme et les Produits Touristiques, le marché de l’omiyage pèse 2500 milliards de yens. Quand un marché atteint cette taille, on peut s’attendre à voir se succéder les nouveaux produits les uns à la suite des autres. Or, à vrai dire, la vraie nouveauté est rare dans ce domaine. Dès qu’un produit a du succès, des produits plus ou moins similaires lui emboîtent immédiatement le pas. Ce fut le cas il y a peu avec les crackers goût curry. Le feu a pris à Hokkaidô, mais en un clin d’œil, ses cousins sont apparus sur les rayons des régions du Kantô et du Kansai.
Néanmoins, pour peu qu’on soit capable de regarder en conservant son calme ce gâteau de 2500 milliards de yens, il faut reconnaître que son avenir est fragile. D’après l’Institut susmentionné, les ventes stagnent depuis quelques années. Les ménages surveillent de près leur budget dépenses et il n’est plus question de se contenter des mêmes vieux produits inchangés depuis des lustres, quand bien même ils sont présentés dans un nouvel habillage.
Or, depuis quelques temps, un vent nouveau semble souffler sur l’omiyage. Quelques produits, qui à première vue pourraient passer pour de vieilles idées dans de nouveaux costumes, attirent tous les regards. Et quand on cherche à s’expliquer ce phénomène, on se dit qu’il s’agit peut-être là du signe avant-coureur d’un changement plus profond…
La préfecture de Toyama mène la course avec les « petites portions »
Les omiyage en question sont vendus sous le nom de Etchû Toyama Sachi no Kowake, ou « spécialités de Etchû Toyama — petites portions de bonheur », pour environ 500 yens chaque, dans un joli emballage en portions individuelles tenant dans la main. On les trouve principalement dans les gares du réseau JR et l’aéroport de Toyama. La série de ces petites spécialités comprend du surimi cuit moulé en forme de brème de mer, du sushi de sériole et de radis blanc en saumure, des crevettes séchées au soleil ou de délicates petites pâtisseries en sucre japonais. Et bien que Toyama ne soit pas une destination touristique très courue, ni qu’aucun effort particulier n’ait été fait pour promouvoir ces omiyage, les ventes, dès leur mise sur le marché en février 2011, se sont envolées et ont atteint 30 millions de yens la première année. Les ventes mensuelles ont battu un nouveau record en mai 2012.
Ce que les clients aiment dans les omiyage de Toyama, c’est très certainement le concept de la « petite portion », qui leur permet de personnaliser un assortiment selon les destinataires du présent, famille, amis, ou collègues de bureau. Et comme le prix en est décidément très raisonnables, ils en prennent également quelques uns pour ramener à la maison pour eux.
Plusieurs choses sont intéressantes à noter à propos de cette série de « petites portions ».
En premier lieu, les articles sont tous des spécialités traditionnelles fabriquées et commercialisées par des producteurs locaux de Toyama. Ce ne sont pas des produits développés à la va-vite pour répondre à un concept marketing. Ce sont des produits traditionnels, que les gens du lieu peuvent recommander en toute connaissance de cause. Ceci est un point important. Ils les ont mis un par un dans un petit packaging (autrement dit en portions abordables, de façon à tomber sur un prix unitaire qui tourne autour de 500 yens l’unité), et chaque petit sachet individuel présente un design et un logo commun.
Une sévère sélection : le fameux sushi de truite n’a pas passé la barre
En deuxième lieu, les produits ont tous été rigoureusement sélectionnés. Après plusieurs étapes de discussion et dégustation, le comité a établi la liste des produits qui porteraient le label Sachi no Kowake. Un épisode particulier illustre bien l’exigence qui a présidé à cette sélection.
Initialement, il semblait naturel que le sushi de truite (masu zushi), une spécialité traditionnelle de Toyama, trouve sa place parmi les produits du label Sachi no Kowake. Plusieurs producteurs de cette spécialité ont été approchés et l’un d’entre eux a fait part de son intérêt à participer au programme. À l’étape de la dégustation, le sushi de truite proposé était parfaitement délicieux. Mais quand le moment est venu de produire en quantité suffisante pour répondre à la demande, il est apparu que le niveau de qualité ne répondait pas aux attentes du comité. Les produits ont tous été rappelés et de nouveaux tests ordonnés. Mais le goût n’était plus là. Le producteur a donc été contraint de se retirer. Le sushi de truite est donc absent des présentoirs Sachi no Kowake. Rappeler un produit en vente n’est pas une décision facile à prendre, mais ce fait illustre bien la détermination du label.
Le label Sachi no Kowake est un projet original du Centre de Design de Toyama, un organisme émanant de l’administration préfectorale de Toyama. Cette entreprise extrêmement ambitieuse ne vise pas à simplement sauvegarder une industrie locale, mais à passer au tamis les producteurs susceptibles de conduire cette industrie vers une nouvelle croissance, quitte à décourager ceux qui n’en auraient pas la capacité.
Quand le secteur public prend les choses en main
M’entretenir avec MM. Obata Yutaka et Kubo Hideaki, les deux responsables du projet, m’a permis de mieux comprendre les critères qui ont guidé le processus de sélection. Tous deux m’ont expliqué qu’ils avaient finalement sélectionné uniquement des produits qu’eux-mêmes pouvaient envisager d’offrir comme omiyage à leurs amis ou à leur entourage. Bien entendu, du fait que le projet était mené par une agence publique, cela fut plus facile à dire qu’à faire ; le Centre a fait l’objet de diverses pressions indirectes pour inclure tel ou tel article dans la sélection.
Un autre principe directeur fut le désir de réformer des pratiques de gouvernance éculées. Des hauts fonctionnaires de l’administration locale ont d’ores et déjà lancé des appels aux producteurs locaux pour le développement de nouvelles spécialités afin de répondre à la demande que doit générer l’ouverture du train à grande vitesse Hokuriku shinkansen, qui passera par Toyama, au printemps 2015. Mais, contrairement au secteur privé, les agences publiques ont tendance à ne pas mener au bout un certain nombre de projets qu’elles initient. Cela donne à certains producteurs locaux l’impression que l’on se sert d’eux quand les projets n’ont que peu de chance de décoller. MM. Obata et Kubo ont précisément voulu faire mentir le préjugé : braquer les projecteurs sur des produits réellement remarquables, et mener le projet jusqu’à sa conclusion.
Le succès de Sachi no Kowake a créé un mouvement de fond au sein de l’administration de la préfecture. D’autres sections de la préfecture considèrent de lancer des projets sur le même modèle, on parle aussi d’autoriser l’utilisation du logo du label Sachi no Kowake à d’autres types de produits que les omiyage. Enfin, à mon humble avis, l’utilisation d’un logo qui a eu du succès ne garantit absolument pas à lui seul d’autres innovations dans le secteur des omiyage, ni un profit pour l’industrie locale. La preuve est faite que de bons produits existent sur le marché local, mais il faudrait encore trier le bon grain de l’ivraie. Telle est l’une des leçons que l’on peut tirer de l’aventure des Sachi no Kowake.
De l’espoir pour une industrie locale sinistrée
Autre exemple de spécialité locale innovatrice : les Ikiteiru Nori, une spécialité gastronomique développée par Spec Lab, une société de conseil en hygiène alimentaire de la préfecture de Tokushima.
Les Ikiteiru Nori offrent l’expérience exceptionnelle du goût des algues nori fraîches pour 1050 yens le sachet. À l’heure actuelle, ce produit acheminé par transport frigorifique est disponible uniquement par correspondance sur le net. Ce n’est donc pas un omiyage stricto sensu, mais gageons que ce n’est qu’une question de temps avant que des comptoirs dans les gares et les aéroports le proposent pour livraison directe aux voyageurs, comme toute spécialité de Tokushima qui se respecte.
La pêche aux algues est une industrie vigoureuse à Tokushima, mais la chute des prix ces dernières années, associé à la hausse des coûts d’opération de la pêche, a rendu un climat difficile.
M. Tanaka Tatsuya, le président de Spec Lab, a décidé de faire quelque chose pour les pêcheurs d’algues de la région il y a 3 ans. La solution qu’il a imaginé était le développement d’un nouveau produit à base d’algues nori. Mais sa société était une société d’audit et de conseil, c’était la première fois qu’il s’attelait au développement marketing. Mais M. Tanaka était déterminé à aider les pêcheurs et c’est cela qui l’aida à ne pas lâcher le morceau.
Un défi
Fin 2011, j'ai visité Tokushima et chez un pêcheur algues j’ai goûté des algues nori fraîchement moissonnées. Les algues étaient dressées dans un saladier, arrosées d’une sauce faite d’un jus d’orange amère pressée, sucre et sauce du soja. On tourne rapidement. J’ai découvert un goût absolument différent de toutes les algues que j’avais jamais essayées. Le « parfum de l’océan », comme on dit, mais l’expression ne lui fait pas justice : c'était l’essence même de l’océan.
Quand M. Tanaka a dit aux pêcheurs d’algues qu'il voulait vendre les algues fraîches, ils se sont moqués de lui. Les algues commencent à se gâter quelques heures après avoir été moissonnées ; voilà pourquoi elles sont immédiatement envoyées dans les ateliers de transformation qui les sèchent et les conditionnent sous forme de feuilles.
Depuis des décennies les principales compagnies et laboratoires de recherche de l'université ont essayé de trouver la solution au conditionnement des algues fraîches, mais personne n’avait encore réussi. Comment une petite compagnie d’une vingtaine d’employés, sans aucune expérience dans le traitement de denrées alimentaires a-t-elle été capable de mettre le doigt sur la solution que tout le monde cherchait ?
Le plus grand n’est pas toujours le meilleur
M. Tanaka me raconte que sa méthode de recherche a simplement consisté à « tester chaque possibilité imaginable ». Fondamentalement, trois variables étaient à considérer : la température à laquelle congeler les algues, la vitesse du processus de réfrigération, et le pourcentage d’humidité des algues. En testant chaque combinaison de ces variables, les membres du projet furent capables d'arriver à la méthode de conservation optimale.
La volonté de procéder à un nombre de tests qui pouvait apparaître comme insensé, voilà ce qui a fait la différence entre Spec Lab et les grands fabricants. Il n’est pas si rare au Japon de voir de petites entreprises développer des produits qui rendent jaloux les plus grands groupes industriels. À mon avis, le secret de leur succès réside dans leur niveau d’implication. Les petites entreprises choisissent parfois de pousser fort sur un projet, alors même que les chances de succès peuvent paraître minces.
1000 yens pour un sachet d’algues peut paraître un prix assez élevé. Et, pour être honnête, c'était ma réaction initiale. Mais les Ikiteiru Nori sont quelque chose de spécial : ce sont tout bonnement les seules algues fraîchement moissonnées disponibles sur le marché. Une année à peine après leur apparition, le produit a déjà gagné une solide réputation comme une spécialité de Tokushima, comme le prouvent les commandes en nombre, non seulement d’individus mais également de restaurants fameux de Kyoto et Tokyo.
Le point commun entre Sachi no Kowake et Ikiteiru Nori est d’avoir cherché leur fortune près de leur maison. Au lieu de compter sur les consultants connus ou les chefs célèbres pour créer un omiyage, les régions commencent à se rendre compte qu’un simple petit tour de main à leurs spécialités locales peut suffire à leur faire retrouver leur vigueur.
(D’aprés un original écrit en japonais. Photographies de Kawai Satoshi [Sachi no Kowake], Kitamura Mori [point de vente Sachi no Kowake], et Otaka Kazuyasu [Ikiteiru Nori]. )
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