Paris va-t-il s’enflammer pour le saké avec Dassai ?
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Un secteur en déclin
La consommation de saké au Japon est parvenue à un sommet en 1975 avec 1,67 million de kilolitres pour diminuer ensuite jusqu’à 589 000 kL en 2010 (voir « Graphique 1 » ci-dessous). Une réduction de presque un tiers en trente-cinq ans, due entre autres au manque d’intérêt des jeunes pour le saké. Un déclin tel que les 3 000 brasseries que l’on comptait autrefois dans le pays ont diminué de moitié pour n’être plus qu’au nombre de 1 500 environ aujourd’hui.
Mais, dans cette ambiance morose de régression, une cave se montre particulièrement performante : Asahi Shuzo, située dans la ville d’Iwakuni de la préfecture de Yamaguchi. Abandonnant la fabrication du saké ordinaire Asahi Fuji, une tradition pourtant vieille de plus de deux siècles, c’est en créant Dassai, un saké junmai dai-ginjo, au bout d’efforts incessants, que la brasserie connaît enfin le succès. Le junmai dai-ginjo est un saké fabriqué uniquement avec du riz poli au plus haut degré, du ferment de riz koji et de l’eau. Nous allons expliquer en détail plus loin la définition de l’appellation junmai et dai-ginjo.
Le saké Dassai (qui signifie Fête de la Loutre) a fait son apparition à Tokyo en 1990. En 1992, c’est la marque phare Dassai 23 (pour polissage du riz jusqu’à 23 % du volume) qui est commercialisée et qui annonce le début d’une progression fulgurante.
Sakurai Hiroshi, président d’Asahi Shuzo, reprend l’affaire de son père en 1984 alors qu’il a 34 ans. A ce moment-là, la cave a une production annuelle de 126 kL (à savoir 70 000 bouteilles magnum de 1,8 litres — équivalent à un shô, la mesure traditionnelle) et son chiffre d’affaires est de 97 millions de yens.
« Le chiffre d’affaires avait reculé de 85 % par rapport à l’année précédente et, dans les faits, nous étions en faillite. Nous étions à deux doigts de fermer. » déclare M. Sakurai.
Main en 2010, les chiffres de la brasserie de saké passent à 776 kL, soit 430 000 bouteilles et 1,3 milliard de yens, puis augmentent jusqu’à 2 052 kL, avec 1,14 million de bouteilles et 3,9 milliards de yens en 2013. Comment Dassai a-t-il pu ainsi séduire les consommateurs ?
Le Dassai 23, né à l’issu d’un grand combat
Malgré ses trois années et demie de travail comme commercial chez un grand fabricant d’alcools à sa sortie de l’université, M. Sakurai ne connaissait rien au brassage du saké. C’est après s’être débattu pendant longtemps qu’il en arrive à se concentrer sur la fabrication du saké ginjo.
« Le saké ordinaire ne se vendait plus dans la région. Je me suis demandé pourquoi et j’ai compris que c’était parce que les consommateurs ne voulaient plus de « saké pour s’enivrer » mais qu’ils voulaient « du saké à savourer ». Et j’en suis arrivé à penser que pour cela, la seule chose à faire, c’était de créer un saké de qualité. C’est comme ça que nous sommes arrivés au dai-ginjo. »
Le saké ginjo est fabriqué à partir de riz complet, dont le son et le germe, à savoir 40 % du poids de surface, ont été retirés pour ne conserver que moins de 60 % de riz blanc poli. Laissé à fermenter à basse température (de 5 à 10 degrés) pendant plus de 30 jours, c’est un saké créé à partir d’ingrédients de premier choix, d’où son nom de ginjo. Il est bien entendu plus cher et différent des sakés ordinaires à bas prix qui se boivent facilement comme un vin de table, car il requiert des techniques de fermentation de très haut niveau.
Pour créer un saké dai-ginjo, il faut utiliser du riz qui a été poli à plus de 50 % à partir du riz complet. Pour Asahi Shuzo, le saké ginjo était une première et le dai-ginjo, ou ginjo supérieur, relevait pratiquement de l’impossible. En plus, seul le riz Yamada nishiki convenait comme matière première du saké. Ce fut pendant 6 ans, jusqu’à la venue au monde de Dassai en 1990, une suite ininterrompue d’erreurs et de recommencements.
En 1990, la maison met enfin en vente du saké junmai dai-ginjo avec polissage à 50 % et 45 % du volume. Seuls sont appellés junmai les sakés fabriqués uniquement avec du riz, du koji et de l’eau, sans ajouter d’alcool de fermentation.
En 1992, les produits avec polissage à 23 % sont lancés sur le marché. Le Dassai 23 tient son nom d’un polissage du riz jusqu’à 23 %, c’est à dire 77 % du surface enlevé.
« Jusqu’à cette date, le maximum pour un dai-ginjo, c’était 27 % et nous avons essayé d’aller jusqu’à 25 %. Mais nous avons entendu dire qu’il y avait déjà un saké de riz poli à 24 % alors nous avons brusquement changé pour 23 %. Il nous a fallu 24 heures de plus, juste pour polir ces 2 % supplémentaires. »
Mais ces 23 % ont eu un impact considérable sur les consommateurs comme sur les professionnels du secteur. Aujourd’hui, lorsqu’on dit Dassai, cela veut dire Dassai 23.
Pour polir soigneusement du riz sans détruire sa composition, il faut 30 heures pour un polissage à 50 % et 96 heures pour un polissage à 23 %.
Pas de saké pour s’enivrer, mais du saké à savourer
La brasserie Asahi Shuzo a pu prendre son essor parce qu’elle a su s’implanter sur le marché de Tokyo. Son président a fait en personne le tour des marchands de saké et des restaurants et leur a demandé de vendre Dassai. Ce fut loin d’être facile car la réputation du saké de Yamaguchi était alors déplorable, les préjugés voulant qu’on ne savait pas faire le saké à l’ouest de Hiroshima. Mais M. Sakurai a voulu à tout prix s’implanter à Tokyo car « nous n’aurions pas pu survivre si nous étions restés confinés dans la région. »
La période des années 1990, lorsque Asahi Shuzo commence à s’introduire à Tokyo, correspond au début de l’éclatement de la bulle financière. L’impact de cette explosion commence alors à atteindre Ginza, le quartier de grand luxe de Tokyo, aux environs de 1995.
« Les bars de luxe qui fermaient ont été remplacés par des bistrots à saké. Mais comme c’étaient des bistrots chics à Ginza, ils ont vendu des sakés un peu plus chers que d’habitude. Et c’est comme ça que le saké junmai dai-ginjo Dassai a pu se faire une place. »
Chacun recherche quelque chose de différent dans le saké. En soumettant le riz de la grande marque Yamada nishiki à un polissage à 23 %, on obtient un saké dai-ginjo au bel arôme, doux, fruité et sec. Pour les amateurs de saké traditionnel, ce saké passe trop facilement dans la gorge et il manque de corps. Alors qu’en revanche beaucoup ont apprécié le goût qu’il laisse en bouche, dépourvu de l’odeur déplaisante du son ou des autres impuretés qui les gênait avec le saké traditionnel.
M. Sakurai n’a pas cherché la quantité mais la qualité. Il a compris que la fonction sociale recherchée dans le saké avait évolué elle aussi avec le temps et il insiste sur le fait que l’époque ne voulait plus « de saké pour s’enivrer », mais « du saké à savourer».
« Je ne suis pas spécialement parti à la recherche des clients qui aimaient le saké, j’ai plutôt voulu avoir une clientèle faite de gens qui n’en avaient jamais bu ou qui ne l’aimaient pas. »
M. Sakurai a visé les jeunes et les femmes, les clients généralement les plus éloignés de l’alcool.
Ouverture d’un magasin à Paris
A l’heure actuelle, comme la compétition sur le marché de Tokyo est devenue beaucoup plus ardue, Asahi Shuzo concentre ses efforts vers l’implantation sur les marchés d'outre-mer. « La particularité de Dassai, c’est qu’il ne s’adresse pas aux amateurs de saké traditionnels. Comme nous n’avons pas cherché à accaparer la clientèle des autres fabricants, il n’y a pas eu de conflit interne dans le secteur. Mais il ne nous reste maintenant plus qu’à nous implanter à l’étranger. »
La première expédition à l’extérieur a été vers Taïwan, en 2002. Certains résultats ont été obtenus et l’année suivante un itinéraire de vente a été créé aux Etats-Unis. Le saké est vendu dans les restaurants japonais cools qui sont de plus en plus nombreux à New York avec la vague de popularité de la cuisine nippone.
« Les gens n’achètent généralement pas ce qu’ils n’ont jamais bu. Le plus simple et le plus rapide, c’était d’abord de leur faire goûter le saké dans les restaurants. Récemment, nous commençons même à placer nos bouteilles dans les caves à vin, par exemple. »
Aujourd’hui, les exportations ont lieu dans 18 pays du monde, dont Dubaï, Hong Kong, la Grande-Bretagne et la France, et elles représentent environ 10 % du chiffre d’affaires. Et, après les Etats-Unis, c’est la France qui occupe la place la plus importante.
« Comme marché, les Etats-Unis sont beaucoup plus vastes mais la France a une énorme influence sur les Etats-Unis dans le secteur de l’alimentation. Si un produit n’est pas bien vendu en France, il est difficile à vendre aux Etats-Unis. »
Le 23 mars 2014, une cave à saké devrait être inaugurée à Paris, en prenant pour modèle le magasin « Dassai Bar 23 » qui s’est ouvert en mai 2013 dans le quartier de Kyobashi, à Tokyo et qui associe bar et magasin. Sur le principe, « le saké n’a pas d’avenir s’il ne se vend pas dans le monde entier. », M. Sakurai cherche à augmenter les ventes d'outre-mer jusqu’à 50 % du chiffre d’affaires. L’entrée de la cuisine japonaise sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO est décidément un vent très favorable.
Informations sur l’entreprise
Nom de la société : Asahi Shuzo Co., Ltd.
Addresse : 2167-4 Osogoe, Shûtô-machi, Iwakuni-shi, Yamaguchi-ken 742-0422
Représentant : Sakurai Hiroshi, Président
Activité : Production et vente de saké
Capitalisation : 10 millions de yens
Effectifs : 90
Site internet (en français) : http://www.asahishuzo.ne.jp/fr/
(Adapté d’un original en japonais écrit par Nagasawa Takaaki)