La créativité appliquée à de nouveaux domaines de la médecine et du bien-être
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Créer un prototype de cœur artificiel
Depuis 1969, année de sa fondation, Yasuhisa Koki fabrique les prototypes et les modèles expérimentaux qui servent de modèles pour de nouveaux produits. Elle fabrique sur commande, pour une clientèle d’entreprises privées et d’universités, un vaste éventail de produits — depuis les cœurs artificiels jusqu’aux crayons à dessin tactiles pour les malvoyants, en passant par les cônes de signalisation pliants (les « patacones ») — dont la quasi-totalité marquent de nouvelles avancées. Le travail de cette entreprise, qui donne forme à des idées, est emblématique de l’innovation japonaise.
Ce n’est qu’une usine dans une modeste zone industrielle d’Ôta, à Tokyo, qui n’a pas grand chose à voir avec Silicon Valley. Et pourtant , en se lançant dans la mise au point de produits innovateurs, Yasuhisa Koki a obtenu des résultats impressionnants dans des secteurs comme la médecine et le bien-être, qui sont au cœur de la nouvelle stratégie économique du Japon.
Au premier regard, Yasuhisa Koki, avec ses postes de travail tachés d’huile, est une usine comme les autres. Mais à y regarder de plus près, on découvre, posée sur un poste de travail, une masse rouge qu’on pourrait prendre pour de la chair sanguinolente. « C’est un prototype de cœur artificiel », nous explique Tanaka Takashi, le président de l’entreprise.
« Nous participons à un projet piloté par l’Université Waseda. Une membrane placée à l’intérieur d’une pompe utilise la pression de l’air pour envoyer du sang. Les caillots peuvent provoquer des attaques ou des défaillances rénales, et il est donc vital de veiller à la fluidité de la circulation sanguine. Nous devons être très minutieux dans le choix des matériaux, notamment en ce qui concerne l’enrobage des raccords entre différentes pièces. »
La fluidité de la circulation sanguine est une question de vie ou de mort. Yasuhisa Koki, qui mise sur la constance, procède par petites améliorations pour s’approcher au plus près des exigences formulées par l’université, sans jamais perdre de vue la sécurité. Ce que veut l’université, c’est un produit simple, précis et peu coûteux. Pour l’aider à satisfaire ces exigences, le président dispose d’un atout non négligeable : un doctorat en recherche sur le cœur artificiel délivré par l’Université Waseda. Lorsqu’un prototype est refusé, c’est souvent parce qu’il comporte trop d’options superflues et qu’il est donc trop cher. Et le coût élevé n’est pas nécessairement une garantie de précision. Il peut y avoir des déficiences dues à l’insuffisance de l’étude et de la recherche, dit Tanaka Takashi, pour qui l’application et la minutie sont les garants de la valeur d’un produit.
De nouvelles idées issues de nouveaux assemblages
Parvenir à ce niveau de valeur n’est pas chose aisée. Rien n’est plus révélateur des difficultés encourues que le temps consacré par Yasuhisa Koki à la mise au point des produits. Celle du cœur artificiel lui a pris pas moins de dix ans. Cinq ans ont été nécessaire pour faire du patacone un produit viable, et le crayon pour malvoyants est resté huit ans sur le métier. Le travail passe par une longue suite de tâtonnements. Quelle impression peut bien éprouver celui qui s’engage dans ce genre de processus ?
« Quitte à passer pour prétentieux, je dirai que notre principal objectif est de fabriquer des objets qui aident les gens. Nous voulons notamment faire de notre mieux pour aider les malvoyants et apporter notre contribution aux dispositifs de réinsertion et d’aide sociale. Outre cela, nous n’avons pas d’autre choix pour résister à la concurrence des grandes entreprises que de donner de la valeur ajoutée à nos produits en nous concentrant sur un créneau bien précis. »
C’est de cet engagement que découlent les idées et les produits de cette entreprise, mais qu’en est-il des savoir-faire qui lui ont valu d’être désignée par le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie comme l’une des sept premières sociétés japonaises de capital-risque ? La réponse est assez inattendue.
« En fait, nous ne sommes vraiment spécialisés dans aucune technologie particulière. Nous prenons simplement des organes de machines ordinaires et les transformons en produits. Notre originalité, si tant est que nous en ayons une, est d’être toujours en quête de nouvelles façons de combiner ces éléments. Nous nous efforçons de ne pas nous accrocher à des idées ou des attentes préconçues. Plutôt que de recourir à des idées toutes faites — celles qui viennent normalement à la tête des gens — nous résolvons les problèmes grâce à des méthodes quelque peu inhabituelles, inattendues. »
Plutôt que d’élaborer des produits de toute pièce, Yasuhisa Koki associe des éléments disparates pour créer quelque chose de nouveau. Cette façon de procéder a beaucoup de points communs avec la philosophie « crossover » sur laquelle reposent bien des percées les plus innovantes des technologies de l’information et autres secteurs.
« Cette philosophie s’appuie sur notre immense collection de pièces, dont beaucoup sont pratiquement identiques, avec des petites différences de taille de l’ordre de quelques millimètres. Une fois un produit mis au point, nous gardons dans un tiroir les pièces utilisées au cours du processus, prêtes à resservir en cas de besoin comme composants pour un nouveau prototype. On pourrait penser que c’est du gâchis ou une perte de temps que de conserver tant de pièces différentes. Mais en fait c’est essentiel. C’est en les combinant que de nouvelles possibilités se font jour. »
L’importance des réseaux
Mais qu’est-ce qui a incité l’entreprise à se spécialiser dans les prototypes et les modèles expérimentaux ?
« La dure réalité est que les grosses commandes ont tendance à aller aux usines installées en province, où les coûts sont moins élevés. L’avantage que nous procure la ville, c’est qu’il est plus facile de s’y construire un réseau de relations avec les universités et autres entités. C’est ce genre de partenariats qui nous permet de mettre au point les prototypes et les exemplaires expérimentaux qui servent ensuite de modèles pour la production en série. C’est ainsi que nous avons réussi à survivre et à grandir en tant qu’entreprise. Nous avons en outre un réseau de plus de cinquante entreprises qui fabriquent des pièces pour nous ici même, dans l’arrondissement d’Ôta. Nous avons une idée assez précise de leurs forces et de leurs faiblesses respectives, et cela nous permet de travailler de concert à la mise au point d’objets encore plus performants. »
« Nous entretenons des relations étroites avec bien des gens et des entreprises qui se trouvent à deux pas de chez nous. On nous apporte des projets en pensant qu’ils sont dans nos cordes. J’y jette un coup d’œil et trace les plans d’un produit expérimental, après quoi je confie l’exécution au fabricant que je juge le mieux à même de mener à bien cette tâche particulière. Nous sommes une sorte de passerelle entre le client en bout de chaîne et le fabricant. C’est ce genre de fonctionnement en réseau qui nous a permis d’accumuler notre impressionnante réserve de technologies. »
Dans la majorité des entreprises, ce genre de projets suivent une filière verticale : client, entreprise, adjudicataire, sous-traitant, etc. Il en résulte que, si le fabricant qui se trouve en bout de chaîne a une bonne idée, il ne lui est pas facile de la mettre en œuvre. Mais chez Yasuhisa Koki, c’est tout le contraire. Yasuhisa Koki est une entreprise de mise en réseau, à l’avant-garde de la collaboration au niveau local entre le secteur industriel et les universités. Ce fonctionnement en réseau est une source d’innovation permanente, et le crayon à dessin tactile pour malvoyants constitue l’une des dernières prouesses de l’entreprise.
« Le premier qui a eu l’idée du crayon, c’est un professeur d’art de l’École départementale de Kagawa pour les malvoyants. Mais dans les faits, il s’est avéré qu’il n’était pas facile de transformer cette idée en un produit viable. Au début, nous avons eu des problèmes avec la brosse qui séchait et les gouttes de cire qui tombaient. En fin de compte, on a réussi à concevoir une méthode pour fabriquer un noyau de pâte de cire qui sèche en quelque vingt secondes. C’est ce que nous appelons le crayon tactile. »
Ma dernière question a porté sur le genre de relations que Yasuhisa Koki entretient avec ses clients pour créer des produits aussi originaux.
« Nous ne nous contentons pas de faire exactement ce que le client nous a demandé. Nous voulons que la circulation se fasse dans les deux sens et nous n’hésitons pas à formuler nos propres suggestions. Si vous souhaitez obtenir un bon résultat, vous ne pouvez pas vous contenter de faire servilement ce que demande le client. Il est important que vous soyez capables de vous exprimer franchement, sur un pied d’égalité. Nous nous efforçons de toujours parler sans détours, quelque soit notre interlocuteur — même si c’est un médecin ou un professeur. »
Pas trace de complaisance ou de timidité chez Yasuhisa Koki. L’entreprise crée ses prototypes à partir d’une relation d’égal à égal avec sa clientèle. Cela donne un aperçu du profil des nouvelles entreprises japonaises qui vont façonner l’activité industrielle de demain.
- Un message du président
- Aller jusqu’au bout des choses (Tanaka Takashi, président-directeur général)
- L’idéogramme le plus emblématique de l’entreprise est jin, qu’on peut traduire par quelque chose comme « à fond ». Nous nous engageons totalement dans tout ce que nous faisons. Nous mettons pleinement à contribution nos réseaux et faisons absolument tout ce qui est en notre pouvoir pour obtenir les meilleurs résultats possibles. Et c’est une bonne chose pour nos clients. Nous cherchons toujours à ajouter un petit quelque chose qui ne figure pas au cahier des charges. Ce qui ne veut pas dire que nous cultivions l’expérience pour l’expérience. Nous sommes passifs, au meilleur sens du terme : réceptifs et ouverts aux idées. Jin veut dire mener jusqu’au bout le processus des tâtonnements et faire encore un kilomètre de plus pour mettre au point de nouveaux produits. (L’idéogramme, Jin, à gauche, a été tracé avec un crayon tactile par un malvoyant.)
- Informations sur l’entreprise
- Nom de la société : Yasuhisa Koki Co. Ltd.
- Adresse : 2-25-4 Shimomaruko, Ôta-ku, Tokyo 146-0092
- Représentant : Tanaka Takashi, PDG
- Domaine d’activité : conception mécanique, traitement de pièces pour instruments de précision, fabrication d’outils ; conception et fabrication de machines spécialisées et équipements expérimentaux ; transformation des matériaux ; mise au point et fabrication de prototypes
Récompenses : désignée par le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie comme l’une des sept « premières entreprises de capital-risque » ; prix du commissaire général, concours pour les équipements et le matériel de police (Patacone, cône de signalisation pliant) ; prix spécial, concours de l’arrondissement d’Ôta pour les nouveaux produits (crayon à dessin tactile) - Capitalisation : 10 millions de yens
- Effectifs : 6 employés
- Site internet : http://www.yasuhisa.co.jp/
(D’après un texte original en japonais écrit par Nihashi Ayano à partir d’une interview.
Photographies de Matsumura Takashi)