La politique étrangère du Japon après la guerre froide

La guerre du Golfe et la diplomatie japonaise

Politique International

Nakanishi Hiroshi [Profil]

Déclenchée en août 1990 par l’invasion du Koweït par l’Iraq, la guerre du Golfe a été la première crise internationale après la fin de la Guerre froide. Ce conflit a pris le gouvernement japonais à contre-pied et mis impitoyablement en lumière les lacunes de sa diplomatie. Nous revenons ici sur le « choc du Golfe » et les conséquences durables qu’il a eues sur la politique étrangère de l’Archipel.

Quelles leçons le Japon a-t-il tirées de son expérience de la guerre du Golfe ?

En premier lieu, le constat de son impuissance face à un conflit international, alors même qu’il se trouvait à l’apogée de la prospérité économique, a amené le Japon à prendre conscience de sa faiblesse en termes de soutien à l’ordre international de l’après-guerre. Le « choc du Golfe » lui a fait prendre conscience que ses troupes ne pouvaient pas rester à l’écart des initiatives internationales et, en 1992, la Loi sur la coopération internationale en faveur de la paix a été votée dans un climat de forte opposition politique. Cette loi autorisait une participation limitée des Forces japonaises d’autodéfense aux opérations de maintien de la paix menées par les Nations unies et, l’année suivante, les FAD ont accompli leur première mission de ce genre, lorsqu’elles ont rejoint l’Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge à l’issue de la guerre civile qui avait ravagé ce pays.


Ces membres des FAD japonaises dans la ville de Takeo au Cambodge, participent aux opérations de maintien de la paix de la coalition internationale en coopération avec la population locale (8 octobre 1992). Photo : Jiji Press Ltd.

La guerre du Golfe a également enrichi le débat sur les alliances internationales du Japon et sur sa politique de sécurité nationale. Les hommes politiques ont commencé à parler explicitement de l’importance de l’alliance nippo-américaine en matière de sécurité et, en 1997, Tokyo et Washington, soucieux de l’éventualité d’une crise sur la péninsule Coréenne, ont formulé un ensemble de « Principes directeurs pour la coopération nippo-américaine en matière de défense ». Puis, après les tirs de missiles effectués par la Corée du Nord, les deux pays ont adopté un dispositif commun de défense anti-missiles.

Compte tenu du chaos et de la confusion qui ont entouré la période de la guerre du Golfe, on peut être étonné du peu de remous dont ces changements se sont accompagnés. Dans une certaine mesure, on peut dire que les Japonais ont montré une fois de plus leur aptitude à tirer les leçons de leurs erreurs. Mais il y a plus : pendant la dernière décennie du XXe siècle et les premières années du XXIe, l’Archipel a profité de cet acquis pour s’engager en faveur de la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU et renforcer son alliance avec les États-Unis.

La faiblesse du processus de prise des décisions stratégiques

Cette approche reposait sur l’hypothèse que le dispositif de coopération internationale dont les États-Unis, favorisés par leur écrasante suprématie militaire et technologique, avaient pris la direction à l’occasion de la guerre du Golfe, allait perdurer. Le Japon a souhaité bâtir sa propre diplomatie et sa politique de sécurité nationale autour de son alliance avec les États-Unis, dans le contexte d’un ordre international fondé sur la coopération. En dépit de l’affaiblissement du consensus international observé au cours des deux décennies qui se sont écoulées depuis la fin de la guerre du Golfe et la propension de plus en plus marquée des Américains à l’action unilatérale, cette façon de voir n’a pas changé fondamentalement. Mais la poursuite par les États-Unis de deux guerres asymétriques en Asie centrale et au Moyen-Orient a clairement montré que la puissance militaire a des limites, aussi impressionnante soit-elle. L’hégémonie américaine ne semble plus aller de soi comme avant. L’essor des nouveaux pays émergents est venu compliquer encore la coopération internationale entre les puissances dominantes. Le risque existe que les faiblesses de la diplomatie japonaise mises à nu par la guerre du Golfe se trouvent de nouveau projetées à l’avant-scène.

La première de ces faiblesses concerne l’identité diplomatique du Japon : quel rôle est-il censé jouer sur la scène internationale ? Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon a renoncé au recours à la force armée et se cantonne à un usage pacifique des moyens économiques. Le problème de la légitimité du recours à la force armée reste une question épineuse. Les membres des FAD participant à des opérations de maintien de la paix peuvent-ils s’en prévaloir ? Le droit à la légitime défense collective s’applique-t-il aux soldats japonais défendant des troupes américaines tombées sous le feu de l’ennemi ? De telles questions ont une haute portée, et pas seulement pour la raison technique que les interprétations sont en train d’évoluer. La continuité du débat sur ces points est le reflet de l’absence de consensus au Japon sur l’identité que le pays affiche depuis la guerre : quelle part faut-il en garder et quelle autre faut-il réévaluer ?

La seconde faiblesse réside dans le processus de prise des décisions stratégiques par le gouvernement dans le cas d’une crise majeure à laquelle les dispositifs existants n’offrent aucune issue. Ce problème comporte de multiples aspects, depuis la collecte de l’information jusqu’au cloisonnement de l’Administration, en passant par la difficulté des relations entre les hommes politiques et les fonctionnaires. Ces problèmes sont toujours d’actualité. Récemment, l’attitude du gouvernement dans le litige territorial qui oppose le Japon et la Chine à propos des îles Senkaku, ainsi que la maladresse de sa réaction au séisme du 11 mars et à la catastrophe nucléaire qui en a résulté, ont clairement montré que son aptitude à faire face à des événements inattendus laisse encore beaucoup à désirer.

On ne peut pas dire que le Japon ait surmonté l’expérience de la guerre du Golfe. L’ombre que cette crise et ses effets ont projetée sur la diplomatie japonaise ne s’est toujours pas dissipée.

Tags

diplomatie ONU FAD

Nakanishi HiroshiArticles de l'auteur

Professeur à l’Université de Kyoto. Né en 1962. Titulaire d’une maîtrise de la faculté de droit de l’Université de Kyoto. A également étudié l’histoire dans le cadre du programme de doctorat de l’Université de Chicago. Auteur de plusieurs ouvrages, dont Kokusai seiji to wa nani ka : chikyû shakai ni okeru ningen to chitsujo (Qu’est-ce que la politique internationale ? Les hommes et l’ordre dans la communauté mondiale).

Autres articles de ce dossier