La politique étrangère du Japon après la guerre froide

La guerre du Golfe et la diplomatie japonaise

Politique International

Nakanishi Hiroshi [Profil]

Déclenchée en août 1990 par l’invasion du Koweït par l’Iraq, la guerre du Golfe a été la première crise internationale après la fin de la Guerre froide. Ce conflit a pris le gouvernement japonais à contre-pied et mis impitoyablement en lumière les lacunes de sa diplomatie. Nous revenons ici sur le « choc du Golfe » et les conséquences durables qu’il a eues sur la politique étrangère de l’Archipel.

Le Japon fait don de 13 milliards de dollars


Le premier ministre Kaifu Toshiki et le ministre des Finances Hashimoto Ryûtarô échangent une poignée de main pendant la guerre du Golfe, après le passage d’une loi approuvant un versement supplémentaire de 9 milliards de dollars à titre de soutien du Japon à la coalition internationale (28 février 1992). Photo : Jiji Press Ltd.

Le 29 août, après que les Américains eurent clairement fait part de leur mécontentement à Tanba Minoru, Tokyo annonça qu’il allait participer au financement de la coalition contre l’Iraq à hauteur de 10 millions de dollars. Le lendemain, suite à une réponse glaciale des États-Unis, le ministère des Finances revint à la charge avec un chiffre d’un milliard. En fait, c’était le montant dont il avait été convenu dès le début des discussions à l’intérieur du gouvernement, mais l’ineptie de l’annonce initiale ne fit que renforcer l’idée que le Japon était un pays égoïste, que seules des pressions extérieures pouvaient amener à participer aux efforts de la communauté internationale. Soucieux de ne pas s’aliéner davantage des Américains, Tokyo porta finalement le montant de son financement à 13 milliards de dollars. Mais un litige éclata avec Washington à propos des 9 milliards de dollars de soutien annoncés par Tokyo après l’ouverture des hostilités par la coalition. Le règlement se ferait-il en yens ou en dollars ? Le secrétaire au Trésor William Brady et le ministre des Finances Hashimoto Ryûtarô parvinrent rapidement à un accord sur le montant de l’aide japonaise, mais il n’y eut pas de déclaration claire sur la question de la devise dans laquelle il était libellé. Les taux ayant fluctué, Tokyo annonça que sa contribution se ferait en yens, mais Washington exigea un paiement en dollars. Finalement, le Japon céda, mais ce genre de querelles sur des détails techniques ne fait jamais bonne impression.

En Octobre, le gouvernement Kaifu soumit à la Diète un « Projet de loi pour une coopération pacifique avec les Nations unies », qui visait à donner un cadre juridique aux envois de troupes. Mais aucun consensus ne put émerger, même parmi les dirigeants politiques, quant au statut à donner aux hommes du corps expéditionnaire. Le premier ministre Kaifu était réticent à l’idée d’envoyer des unités des Forces d’autodéfense (FAD) dans le Golfe ; et, s’il n’y avait pas moyen d’y échapper, il pensait qu’il fallait les mettre sous la tutelle d’une autre organisation. Ozawa Ichirô, le secrétaire général du PLD, soutenait quant à lui que la Constitution, même sans modification, autorisait la participation de soldats japonais à des opérations organisées par l’ONU à des fins de sécurité collective, en conséquence de quoi il souhaitait l’envoi de troupes japonaises dans le Golfe sous l’étendard des FAD. Les opinions étaient aussi partagées au sein du ministère des Affaires étrangères. Ce clivage augurait mal du passage de la loi. Et, compte tenu que l’opposition avait la majorité à la Chambre haute de la Diète, il était peu probable que n’importe quel texte autorisant l’envoi des FAD puisse passer. Seuls 20 % des Japonais y étaient favorables. Le gouvernement en débattit, pour finalement renoncer à son projet de loi le 8 novembre.

Le gouvernement n’a pas pris non plus la moindre initiative digne de ce nom en vue d’obtenir la libération des ressortissants japonais retenus en otages en Iraq. La marge de manœuvre était réduite, et même si Tokyo avait entamé des négociations directes avec Bagdad et obtenu la libération de ses ressortissants, il était à craindre que le Japon se voie à nouveau reprocher d’agir dans son propre intérêt. Après diverses tentatives, dont une visite de l’ancien premier ministre Nakasone Yasuhiro à titre d’émissaire spécial en Iraq, les otages japonais furent finalement relâchés à la fin du mois de novembre, quand l’intervention militaire devint imminente. Mais comme le reste des otages occidentaux furent libérés le lendemain, on peut supposer que cette décision fut davantage le fruit d’une ultime tentative iraquienne en vue d’influencer l’opinion internationale que d’un exploit de la diplomatie japonaise.

Un sentiment rémanent d’échec


Troupes des Forces d’auto-défense en partance pour une opération de déminage commandée à distance (19 juin 1991). Photo : Forces maritimes d’auto-défense ; Jiji Press Ltd.

La coalition internationale a lancé son attaque contre l’Iraq le 17 janvier 1991 à trois heures du matin, heure locale. Le secrétaire d’État James Baker en a officiellement informé Murata Ryôhei, ambassadeur du Japon à Washington, et Nakayama Tarô, ministre des Affaires étrangères, trente minutes avant le début de l’attaque. L’expédition a tourné en démonstration de l’écrasante supériorité de la puissance militaire américaine. Outre l’effet dévastateur des raids aériens, on attribue aux missiles Patriot un nombre étonnant de coups au but sur les missiles Scud iraquiens (même s’il est apparu ultérieurement que le taux de frappe était moins élevé qu’on l’avait cru initialement). La retransmission directe des événements par la chaîne américaine CNN a étonné le monde entier. Au Japon comme ailleurs, les gens sont restés cloués devant leurs téléviseurs à regarder la guerre se dérouler en temps réel.

Bien sûr, il serait faux de dire que le Japon n’a rien fait. En fait, notre pays a déployé des efforts considérables sur le terrain. Notre contribution en matériel, depuis les quatre-quatre jusqu’aux walkmans, a été très bien accueillie par les troupes. Les civils et les diplomates japonais restés en Iraq ont persévéré en dépit des difficultés de la situation. Le financement d’origine japonaise s’est déroulé sans heurt et le général Norman Schwarzkopf, commandant en chef des forces de la coalition, a exprimé sa profonde gratitude envers le Japon. Après la fin de la guerre, survenue en avril 1991, une unité de déminage des Forces maritimes d’autodéfense a été envoyée sur les champs de mines du golfe Persique, suite à une décision établissant que la législation applicable aux activités des FAD autorisait les opérations de déminage. Pourtant, en dépit de tous les efforts consentis sur le terrain, c’est un sentiment global d’échec que l’expérience de la guerre du Golfe a laissé aux diplomates japonais. On ne sait pas si l’absence du Japon de la liste des pays auxquels le Koweït exprimait officiellement sa gratitude était intentionnelle ou non , mais il est indéniable que l’Archipel n’a pas été bien noté par la communauté internationale pour sa participation à la guerre du Golfe et que le prestige de la diplomatie japonaise en a souffert.

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Nakanishi HiroshiArticles de l'auteur

Professeur à l’Université de Kyoto. Né en 1962. Titulaire d’une maîtrise de la faculté de droit de l’Université de Kyoto. A également étudié l’histoire dans le cadre du programme de doctorat de l’Université de Chicago. Auteur de plusieurs ouvrages, dont Kokusai seiji to wa nani ka : chikyû shakai ni okeru ningen to chitsujo (Qu’est-ce que la politique internationale ? Les hommes et l’ordre dans la communauté mondiale).

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