Être métis au Japon [2] : des épreuves au quotidien

Société

Shimoji Lawrence Yoshitaka [Profil]

Discriminations raciales au niveau privé ou professionnelle : le quotidien des métis (hâfu) au Japon est compliqué notamment en raison de leur apparence. Le sociologue Shimoji Lawrence Yoshitaka, dont la mère est métisse, présente à travers leurs témoignages les expériences qu’ils ont vécues.

Des discriminations au travail

(Les noms ont été modifiés dans les témoignages qui suivent.)

Osada Takashi

(père américain, électricien âgé d'une cinquantaine d'années)

« On me demande souvent au travail si je suis un gaikokujin (étranger). Je me déplace chez les clients pour installer des climatiseurs ou faire des réparations électriques, et ces derniers sont souvent surpris lorsqu’ils ouvrent la porte et me voient pour la première fois. Ils me demandent : “Êtes-vous hâfu ?” ou “De quel pays venez-vous ?” Quand je leur réponds que je suis métis, leur réaction est souvent de dire : “C'est pour cela que vous parlez bien japonais”. Parfois, je tombe sur des clients qui n'aiment pas les étrangers. Ils se plaignent et veulent savoir pourquoi c’est moi que l’entreprise a envoyé. Dans ces cas-là, ça ne sert à rien que je leur explique que je suis Japonais. Ils ne m'accepteront pas. »

Nelson Luis Tôru

(père ghanéen, employé d’une chaîne de restaurant de sushis et âgé d’une vingtaine d’années)

« Quand des responsables du siège de la chaîne visitent le restaurant, ils me demandent toujours si je parle anglais. Il y a au moins un client par jour qui me demande : “D'où viens-tu ?” ou “Depuis combien de temps habites-tu au Japon ?”. Certains me disent que je parle très bien japonais. Très peu de gens me demandent si je suis hâfu. Tout le monde pense que je suis un étranger parce que je n'ai pas un visage aux traits japonais. »

La discrimination à l'embauche est un autre problème grave.

Miller Ethan Seki

(père américain, âgé d'une vingtaine d'années.)

« Quand je me suis rendu à un entretien d'embauche, les recruteurs ont eu ce regard qui disait : “je ne m’attendais pas à ça.” J’avais postulé avec mon nom japonais, Seki... L’atmosphère était plutôt mauvaise. À la fin, l'un d'entre eux a sèchement conclu : “C’est tout pour cette fois-ci. Nous avons encore beaucoup d'autres candidats à rencontrer”. En quittant la salle, je me suis accroupi près de la porte pour refaire mes lacets. Les recruteurs, pensant que j’étais déjà parti, se sont échangés quelques mots : “C'était un étranger, n'est-ce pas ?”, “On ne va quand même pas l'employer.” J'ai ouvert doucement la porte et je suis parti sans faire de bruit… »

Tanaka Thomas

(mère ghanéenne et âgé d'une trentaine d'années)

« Lors d'un entretien d'embauche pour un poste d'agent de sécurité, le recruteur s'est étonné : “Euh, c'est bien vous Monsieur Tanaka ?” En voyant sa surprise, je lui ai expliqué : “Je suis hâfu. Je suis né et j'ai grandi au Japon, même si j’ai plus l’air d’un Noir que d’un Japonais. Est-ce que cela pose un problème ?” Il est ensuite allé consulter son supérieur quelques minutes, après quoi il m’a répondu qu’il ne pourrait pas m’embaucher. Au final, j’ai postulé à plusieurs annonces similaires mais je n'ai été pris nulle part. Un des recruteurs m'a expliqué : “Je suis désolé mais nous ne pouvons pas vous employer. Nos clients nous demanderont pourquoi notre entreprise embauche des étrangers…” Il pensait qu'un gardien noir ternirait l'image de l'entreprise. »

Des paroles et regards blessants au quotidien

Si les hâfu subissent malheureusement des discriminations à l'école et au travail, c’est aussi le cas dans la vie de tous les jours, que ce soit dans la rue, les transports en commun ou les magasins.

Tanaka Thomas

« Un jour quand j'avais 7 ans, un élève d'école primaire à vélo s'est arrêté devant moi et s’est exclamé : “Oh, un étranger.” Et puis une autre fois, en rentrant chez moi après un entraînement de football, une voiture a manqué de très peu de me renverser. “Quel conducteur dangereux”, me suis-je dis. Mais au même moment, la vitre de la voiture s'est baissée et le conducteur m'a lancé : “Hé étranger, rentre dans ton pays ! ” »

Suzuki Hanna

(père américain, âgée d'une vingtaine d'années)

« Quand je prends un train seule, il m’arrive d'entendre des gens autour de moi se demander si je suis métisse ou étrangère. Il ne leur vient même pas à l'esprit que je puisse parler japonais. Même dans les onsen, je deviens un sujet de conversation pour les autres baigneuses, qui pensent sûrement que je ne les comprends pas. »

Harris Amelia Sachii

(père américain, âgée d'une vingtaine d'années)

« Dans la rue, il arrive que des voitures ralentissent et que les passagers m’abordent en me disant en anglais : “Hello, hello”. À bord des trains, je sens que certains regards sont tournés vers moi. Ma sœur et moi détestons cela. Je n'aimais surtout pas sortir avec mon père parce qu'il y avait toujours des personnes pour nous observer. Mais mon père tenait à m'accompagner partout où j'allais ; c'est pourquoi je ne voulais pas qu’il vienne quand j'étais plus jeune (rires). Je pense que je m’y suis plus ou moins habituée… »

Suite > Établir des règles contre le racisme au travail

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Shimoji Lawrence YoshitakaArticles de l'auteur

Né en 1987. Il obtient un doctorat de la faculté de sciences sociales de l’Université Hitotsubashi. Sa spécialité est la sociologie et les études sociales internationales. Il travaille actuellement en tant que coordinateur au Centre pour l'égalité hommes-femmes de l'arrondissement de Minato (Tokyo). Parmi ses ouvrages publiés : Konketsu to Nihonjin : hâfu, daburu, mikkusu no shakaishi (« Métis et Japonais – Histoire sociale des hâfu, daburu et mikkusu », Seidosha, 2018). Il gère le site Internet de partage d'informations « HAFU TALK » pour les Japonais métis et personnes d’origines étrangères.

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