Être métis au Japon [1] : histoire et réflexion

Société

Shimoji Lawrence Yoshitaka [Profil]

Les Japonais métis, appelés hâfu (de l’anglais « half »), suscitent un regain d’attention depuis la notoriété de la joueuse de tennis Osaka Naomi ou encore l’élection de Tamaki Denny au poste de gouverneur de la préfecture d’Okinawa. L’auteur de cet article, Shimoji Lawrence Yoshitaka, connaît bien le sujet : sa mère est une japonaise métisse, qui au cours de sa vie s’est vue catégorisée comme konketsu (littéralement « de sang-mêlé »), hâfu (« métisse») ou encore amérasienne. Il revient sur les nombreuses dénominations attribuées au métis au Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et propose une réflexion sur l’identité japonaise dans un pays où de plus en plus d’habitants possèdent des origines diverses.

Évolution et contexte social d’après-guerre

L’apparition et le développement de ces nombreuses manières d’appeler les métis sont étroitement liés à l’histoire d’après-guerre du Japon. Voici une présentation de cette évolution en tranches de 20 ans :

1945 - années 1960 : après la capitulation du Japon et son occupation par le commandement suprême des forces alliées, émerge la question des konketsuji, qui devient rapidement un problème de société largement repris par les médias. Jusque-là, ce terme était principalement utilisé pour des métis coréens, taïwanais ou aïnous. Cependant, après la guerre, c’étaient les enfants nés de soldats américains et des femmes japonaises qui étaient appelés ainsi.

Article sur les konketsuji du New York Times (30 avril 1967) présentant Hirano Imao, un poète et spécialiste de la littérature française qui menait des activités pour l’adoption des konketsuji.

À ce terme était inévitablement associé le contexte historique de l’époque : capitulation, reconstruction d’un pays détruit et marasme économique. Cependant, vers le milieu des années 50, les médias se désintéressent du sujet au fur et à mesure que le Japon initie sa période de forte expansion économique.

De plus, la culture occidentale (série télévisée, film, mode, musique, etc.) arrive en masse au Japon dans les années 1950 et 1960. Les coupes de cheveux et les styles vestimentaires d’Audrey Hepburn et de Twiggy sont à la mode ; cette importation de la culture occidentale influence l’image qu’ont les Japonais des pays occidentaux. Considérés comme des ennemis jusqu’à la fin de la guerre, ces pays commencent désormais à être idéalisés et s’associent à une image de « prospérité ».

Années 1970 et 1980 : le Japon est en plein miracle économique et continue à recevoir une forte influence des cultures européenne et américaine. Le terme hâfu est de plus en plus utilisé, surtout par les médias qui s’intéressent à de nombreuses personnalités, des chanteurs, acteurs ou sportifs métis. Cet engouement médiatique a pour conséquence de propager une image biaisée des hâfu, qui sont glorifiés pour leur apparence extérieure.

De nombreux magazines de mode sont fondés au cours de ces années, affichant dans beaucoup de leurs pages des femmes hâfu. Photo tirée de la première édition (juin 1975) du magazine de mode « JJ », de la maison d’édition Kôbunsha. (© Kôbunsha)

Ajoutons qu’à cette époque, le genre de la critique sociale  Nihonjin-ron (études et théories sur les Japonais) gagne une forte popularité. Les Japonais y sont représentés comme un peuple mono-ethnique, omettant très souvent l’existence des hâfu.

Les mariages internationaux marquent un tournant : jusqu’en 1975, plus de la moitié des partenaires étrangers étaient des hommes, mais à partir de cette année-là, la tendance s’inverse et ce sont les femmes étrangères qui sont majoritaires. Les femmes asiatiques sont particulièrement plus nombreuses à partir des années 1980. Dans un contexte de mondialisation, le Japon connaît une augmentation du nombre de couples formés de Japonais et de partenaires aux origines diverses.

Années 1990 et début des années 2000 : promotion des termes kokusaiji et daburu par certains mouvements sociaux, pour remplacer konketsuji et hâfu. Cette période connaît une multiplication des activités communautaires et de protection des droits des enfants philippo-nippons, amerasian et daburu.

En outre, le Japon commence à renforcer sa présence sur la scène internationale, en proposant des programmes d’échange d’étudiants, des visas vacances-travail, des activités d’aide au développement à certains pays et l’implantation d’entreprises japonaises à l’étranger. Ceci a pour conséquence une augmentation accrue du nombre de mariages internationaux, et donc d’enfants métis.

Face à la crise économique causée par l’éclatement de la bulle spéculative et l’aggravation de la pénurie de main-d'œuvre, la loi sur le contrôle de l’immigration est révisée en 1990, permettant l’immigration vers le Japon de nombreux habitants d’Amérique du Sud. En conséquence, les activités d’aide aux étrangers et aux enfants ayant des parents étrangers se sont progressivement étendues au niveau local.

Suite > Les problèmes de discrimination mis en évidence sur les réseaux sociaux

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Shimoji Lawrence YoshitakaArticles de l'auteur

Né en 1987. Il obtient un doctorat de la faculté de sciences sociales de l’Université Hitotsubashi. Sa spécialité est la sociologie et les études sociales internationales. Il travaille actuellement en tant que coordinateur au Centre pour l'égalité hommes-femmes de l'arrondissement de Minato (Tokyo). Parmi ses ouvrages publiés : Konketsu to Nihonjin : hâfu, daburu, mikkusu no shakaishi (« Métis et Japonais – Histoire sociale des hâfu, daburu et mikkusu », Seidosha, 2018). Il gère le site Internet de partage d'informations « HAFU TALK » pour les Japonais métis et personnes d’origines étrangères.

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