Scandales en série en 2018 dans le monde du sport japonais
Société Sport Tokyo 2020- English
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Un risque accru de harcèlement
En 2018, deux ans avant l’ouverture des Jeux olympiques de Tokyo, le monde japonais du sport a été ébranlé par une série de scandales. Maintenant que le processus de sélection des athlètes japonais pour l’événement et leur entraînement intensif sont lancés, il est à craindre que d’ici 2020 l’on assiste à une intensification des problèmes de violence, d’abus de pouvoir, et de harcèlement sexuel. Au moment où la société a de plus en plus une conscience accrue des droits des personnes les plus faibles et des victimes, le système à l’ancienne qui persiste dans les organisations sportives a pris un retard considérable à cet égard.
Les scandales ayant marqué le monde du sport japonais en 2018
Janvier | Canoë | Un canoéiste japonais a été banni pour avoir introduit un produit dopant interdit dans la boisson d’un rival lors du championnat national de 2018. |
Février | Patinage de vitesse | Un spécialiste japonais de short-track est banni des JO d’hiver de Pyeongchang pour dopage. |
Avril | Lutte | Démission du directeur technique de l’équipe féminine de la Fédération japonaise de lutte suite au harcèlement moral qu’il a fait subir à une lutteuse japonaise plusieurs fois médaille d’or aux JO. |
Badminton | L’ancien entraîneur d’une équipe de badminton est accusé d’avoir utilisé à des fins personnelles les primes de victoire de ses joueuses. | |
Mai | Natation | Un nageur japonais de premier ordre contrôlé positif lors d’un test de dopage en mars est écarté de la sélection japonaise pour les Jeux asiatiques de Jakarta. |
Football américain | Un joueur de l’équipe de l’Université Nihon inflige un violent tacle par derrière à un adversaire lors d’un match. Le joueur mis en cause reconnait le fait d’avoir eu l’intention de blesser. Le directeur sportif et l’entraîneur de son équipe sont renvoyés. | |
Août | Boxe | Le président et les administrateurs de la Fédération japonaise de boxe démissionnent suite à des soupçons d’usage illégitime de subventions. |
Kendô | Les soupçons de corruption pesant sur le jury de passage des grades (dan) qui recevait des pots-de-vin de la part des candidats sont avérées. | |
Gymnastique | Un entraîneur masculin est renvoyé pour avoir fait subir des violences à une gymnaste féminine de haut niveau lors d’entraînements. | |
Basket-ball | Quatre joueurs de l’équipe nationale qui ont eu recours aux services de prostituées lors des Jeux asiatiques à Jakarta sont suspendus pour un an. |
Un monde où les principes draconiens sont considérés positivement
Le monde du sport japonais est régi par une structure de pouvoir particulière. La sélection des athlètes qui représentent le pays dans leur sport revient aux fédérations nationales. De plus, outre la relation de domination qu’exercent les entraîneurs sur les sportifs, il existe entre les athlètes une hiérarchie selon laquelle les plus jeunes respectent les plus âgés. Parallèlement à cela, le sport au Japon est rigidement gouverné par la recherche de la victoire à tout prix, et cela conduit parfois à des exigences déraisonnables.
Dans les organisations sportives japonaises, la cohésion sociale, c’est-à-dire le degré de motivation pour faire partie d’un groupe, se renforce au fur et à mesure que les athlètes s’investissent dans leur sport. La tendance au collectivisme devient alors de plus en plus importante, et les avis des minorités qui ne se conforment pas à la ligne choisie sont rejetés. Comme les cadres dirigeants des fédérations sont souvent choisis non pas en fonction de leur capacité à diriger, mais de leur renommée et des performances réalisées quand ils étaient en activité, cela aboutit à une gouvernance de mauvaise qualité.
L’opinion publique ne remet pas en question la nature particulière du monde du sport, qu’il considère comme inhérente à celui-ci. Peut-être peut-on affirmer qu’il s’agit de l’héritage des Jeux olympiques de 1964. Dix-neuf ans après la fin de la guerre, ce grand événement a montré au reste du monde la renaissance du Japon déchu par la capitulation, et les victoires des athlètes japonais sur ceux des pays vainqueurs ont permis à l’Archipel de recouvrer sa fierté. Les méthodes rigoureuses d’entraîneurs tyranniques, puisqu’elles ont permis d’obtenir des médailles, se sont ainsi infiltrées dans la société en tant que « modèle » à suivre.
L’organisation des Jeux olympiques de 2020 laisse cependant entrevoir un certain changement. Les médias ont exposé la réalité de cette gestion à l’ancienne du monde sportif, en se mettant à la critiquer. Cependant, cette question n’est évoquée uniquement au moment où un scandale apparaît. Ils se bornent malheureusement à critiquer des cas spécifiques ou à attaquer les personnes mises en question, sans l’aborder comme un problème structurel du monde du sport.
Les fédérations amateurs comparables aux PME
Les fédérations de sport amateur fonctionnent presque toutes comme de très petites entreprises. Une enquête menée en 2016 par la Fondation Sasakawa pour le sport révèle que 47 des fédérations amateures sur les 62 existantes, c’est-à-dire les trois quarts, comptent moins de dix employés permanents. Et 11 d’entre elles n’en ont aucun.
Sur le plan financier, le budget médian annuel des fédérations était de 353 millions de yens, et 14 fédérations formaient le groupe le plus nombreux en se retrouvant sous la barre des 100 millions de yens par an. Difficile alors d’affirmer que leurs capacités organisationnelles sont suffisantes, lorsque l’on sait qu’elles sont responsables non seulement de l’organisation des compétitions au Japon mais aussi de l’envoi de leurs athlètes aux événement internationaux. Au vu de cette réalité, il paraît presque impossible d’attendre d’elles une réaction pertinente pour éradiquer et prévenir ces scandales.
Les fédérations qui reposent, comme nous venons de le voir, sur des fondements très affaiblis, sont très prises par la préparation des Jeux de 2020. Elles n’ont pas le temps de réfléchir à ces problèmes structurels et particuliers du monde du sport japonais, et encore moins de les confronter.
Mais il faut agir malgré tout, car même si les Jeux de 2020 se déroulent bien pour le Japon, il n’est pas impossible que le sport japonais entre ensuite dans une période de déclin. Il serait triste que le seul héritage de la tenue à Tokyo de deux Jeux olympiques se limite à des installations sportives et de nouvelles infrastructures. Il faut se saisir de cette occasion pour améliorer la gouvernance de l’ensemble des organisations sportives afin d’assurer la suite.
Des évaluations externes pour une meilleure gestion
Une des mesures possibles pour améliorer cette gouvernance pourrait être la création d’organismes d’évaluation et de certification externes et indépendants. Il serait vain d’attendre du monde du sport qu’il effectue spontanément un processus « d’auto-purification ». D’autres secteurs disposent déjà de systèmes qui effectuent de manière efficace l’évaluation et la surveillance de leurs activités, comme la Commission de régulation de la concurrence, ou encore les organismes externes d’évaluation des universités. De tels systèmes sont la norme dans la société actuelle, et il faut considérer leur absence dans le domaine sportif comme un retard à combler.
L’Agence des sports a lancé pendant l’exercice 2017 une enquête en vue de renforcer la conformité dans le monde du sport, et s’est attelée à l’élaboration de normes unifiées pour la gestion des fédérations. Mais les opinions seront sans doute partagées sur la nécessité de faire d’une telle instance d’évaluation un organisme administratif.
Une autre méthode serait de créer un système basé sur les activités de médiation citoyenne. Au Canada par exemple, un joueur de hockey sur glace qui avait subi des violences sexuelles de la part de son entraîneur a mis au point une formation destinée à éliminer tout forme de drame de ce genre dans le monde du sport. Au final, cette formation est devenue obligatoire pour tous les entraîneurs de la ligue canadienne de hockey.
Si de telles initiatives citoyennes devaient se développer à l’occasion des Jeux olympiques de 2020, nul doute que le monde sportif, mais aussi la société tout entière, en sortirait gagnant.
(Article écrit à l’origine en japonais. Photo de titre : Yamane Akira, alors président de la Fédération japonaise de boxe amateur, reconnaît devant les médias ses liens avec un membre de la pègre japonaise, le 7 août 2018. Jiji Press)