Le prochain « choc Lehman »

Économie

Il y a dix ans, en septembre 2008, l’effondrement de Lehman Brothers a déclenché une crise qui a paralysé les marchés financiers du monde entier. Quelle probabilité y a-t-il qu’une panique similaire frappe à nouveau ? Nous avons interviewé à ce sujet Watanabe Hiroshi, un expert confirmé des affaires monétaires internationales.

Watanabe Hiroshi WATANABE Hiroshi

Président de l’Institut pour les affaires monétaires internationales. Diplômé de l’Université de Tokyo, il est entré au ministère des Finances en 1972. Nommé vice-ministre des finances pour les affaires internationales en 2004. Il quitte le ministère en 2007. Il occupe ensuite différents postes, dont celui de gouverneur de la Japan Bank for International Cooperation (JBIC). Il prend sa position actuelle en octobre 2016.

Le cycle récurrent des crises financières

Les crises financières sont des événements qui se répètent selon un rythme cyclique. Il ne faut surtout pas l'oublier. Dès que nous baissons la garde après qu’une crise est passée, la suivante se profile à l’horizon. Les autorités monétaires mondiales se doivent de surveiller la situation avec une vigilance sans faille, en cherchant où peuvent rôder les risques et en réfléchissant à la façon de les parer.

L’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008 a été suivi d’une crise financière et d’une détérioration de l’économie à l’échelle mondiale. Et nous ne devons jamais perdre de vue l’éventualité d’une nouvelle crise d’une ampleur égale à celle de ce « choc Lehman », selon l’expression couramment employée au Japon pour désigner le plongeon de 2008. Dès que nous succombons à l’illusion qu’une crise de ce genre ne se reproduira pas, le prochain effondrement s’apprête à survenir.

On peut observer une certaine régularité dans l’apparition des crises financières internationales. Le « lundi noir », le 19 octobre 1987, les cours tombaient en chute libre à la Bourse de New York. Une décennie plus tard, la crise financière asiatique de 1997 forçait la Thaïlande, l’Indonésie et la Corée du Sud à se tourner vers le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir un renflouement, en contrepartie duquel ce dernier leur a imposé des conditions rigoureuses. Cette crise a eu des répercussions très étendues, provoquant l’année suivante un resserrement important dans le secteur financier japonais, ainsi qu’une chute brutale des taux de change en Russie et au Brésil. Et puis, en 2008, est survenu le choc Lehman, consécutif à la débâcle des prêts hypothécaires à risques (subprimes) aux États-Unis. Les crises se produisent à des intervalles d’environ 10 ans, et ce caractère cyclique est quelque chose que nous ne devons pas prendre à la légère.

Un psychosociologue m’a dit un jour que le cycle de 10 ans a une explication logique : du fait que les gens désirent oublier rapidement les mauvaises expériences, les souvenirs négatifs ont tendance à ne durer qu’environ 5 ans. Il s’agit là d’une tendance générale et non d’un phénomène limité au monde de la finance. Les souvenirs positifs, en revanche, restent présents à l’esprit pendant une dizaine d’années. C’est ainsi que, à l’issue d’une crise, il se passe environ cinq ans au cours desquels les souvenirs négatifs tempèrent les comportements des gens. Mais ensuite, à mesure que leur circonspection s’évanouit, ils retombent dans les comportements à risque.

Dans le même temps, les crises récurrentes prennent de plus en plus d’ampleur. Le montant total des actifs financiers et le volume des transactions à l’échelle planétaire suivent une progression géométrique nettement plus élevée que la croissance du produit intérieur brut total. Et l’écart entre ces taux de croissances est à lui seul propice à la formation de crises financières.

Les autorités chargées de la réglementation financière et les banques centrales doivent être constamment à l’affût d’un emballement des marchés et en élucider les causes. Il est important de noter que la réglementation d’un marché ne l’immunise pas contre l’émergence de bulles spéculatives. La réglementation des monnaies virtuelles illustre bien ce point. La Loi relative aux services de paiement a été amendée de façon à permettre à l’Agence des services financiers de superviser les entités qui utilisent les monnaies virtuelles dans leur rôle de prestataires de services de paiement. C’est ainsi que le Japon est devenu le premier pays où l’expression « monnaie virtuelle » fait l’objet d’une définition juridique, et où il existe un registre des prestataires de services de paiement auquel ceux-ci doivent impérativement s’inscrire dès lors qu’ils ont recours aux monnaies virtuelles. Mais l’adoption de ce nouveau cadre juridique a été la source d’un vaste malentendu, dans la mesure où beaucoup de gens l’ont interprété comme un aval donné par les autorités à ces nouvelles devises.

Cette année marque le dixième anniversaire du choc Lehman de 2008. Et pourtant on ne perçoit actuellement aucun signe de phénomène financier susceptible de déclencher une récession économique mondiale. Pourquoi le cycle de dix ans s’est-il achevé sans qu’apparaisse une nouvelle crise ? La réponse à cette question réside dans la crise budgétaire grecque de 2011, associée à l’une des plus graves crises bancaires de toute l’histoire de l’Union européenne. Car oui, ces événements continuent d’alimenter l’inquiétude des acteurs du marché. Or les crises financières mondiales ne se produisent pas quand de tels problèmes empêchent les souvenirs négatifs de s’effacer.

Suite > Les monnaies virtuelles vont-elles être le déclencheur de la prochaine crise ?

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