L’exécution des membres de la secte Aum : la société japonaise dans le déni

Société

Le fondateur de la secte Aum et six de ses cadres ont été exécutés le 6 juillet 2018. Vingt jours plus tard, ce sont les six autres membres restant condamnés à mort qui subissaient le même sort. Enfermé dans son mutisme durant tout le procès, le gourou a emporté dans sa mort le moyen d’élucider tous les mystères entourant l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo le 20 mars 1995.

La société japonaise refuse d’interpréter ce qui est arrivé

Contrairement à Hitler, Asahara ne s’est pas suicidé. Il aurait donc fallu le soigner pour qu’il parle. Qu’il puisse être interrogé. Plutôt que de s’inquiéter aujourd’hui du risque de voir Asahara déifié par la secte Aleph qui a repris les idées d’Aum. Oui, il aurait fallu le soigner, restaurer sa santé mentale pour qu’il puisse dire la vérité, puis ensuite le condamner. En effet, tout comme l’holocauste et de nombreux crimes de masse et guerres, l’affaire Aum dévoile le risque héréditaire et inhérent à l’homo sapiens lorsqu’il s’assujettit à une communauté, et elle expose aussi les dangers fondamentaux que posent toutes les religions. Mais pour finir, la société japonaise a fait erreur dans son interprétation de cette affaire. Ou plutôt, elle a refusé de l’interpréter. Le pouvoir judiciaire et les médias se sont conformés à ce mauvais choix.

Mais au-delà de ces propos, et c’est un point plus important que tout, on ne peut exécuter une personne qui a perdu la raison. C’est en principe la règle minimale pour un État de droit moderne.

Les condamnés à mort pour les mêmes crimes doivent être exécutés simultanément. Parce que cette règle existe, le gouvernement aurait dû l’appliquer. Mais après l’exécution d’Asahara et de six autres condamnés le 6 juillet, vingt jours se sont écoulés jusqu’à l’exécution des six autres. Ce principe n’a donc pas été respecté.
Il n’y a eu aucune explication précise à ce sujet, mais laissez-moi vous donner la plus vraisemblable : ce sont les vives critiques essuyées par le gouvernement pour avoir organisé un gala à Tokyo en toute tranquilité avec des parlementaires du Parti libéral-démocrate (PLD) le 5 juillet au soir, alors que les inondations catastrophiques dans l’ouest du Japon prenaient une tournure dramatique et faisaient évacuer des milliers de personnes, qui ont poussé le Premier ministre à vouloir relever sa cote de popularité en urgence.

Les six condamnés à mort qui n’avaient pas été exécutés le 6 juillet ont dû être informés du sort des sept autres. Quelles ont pu être leurs pensées pendant ces vingt jours ? Je suis terrifié rien qu’à y penser. Je me souviens de leurs visages de l’autre côté du panneau acrylique qui nous séparait. Ces vingt jours ont dû être pour eux une torture. Bien évidemment, les sentiments des familles des victimes sont prioritaires. Certaines victimes des attentats continuent à souffrir de leurs séquelles. Il faut les aider au maximum. Mais pour ma part, je ne peux pas croire que ce soutien passe par l’exécution des coupables. Parce que celle-ci a fait augmenter le nombre des familles des victimes, en incluant à présent ceux des treize condamnés exécutés (voir notre article : La peine de mort au Japon : comprendre le point de vue des familles de victimes).

Voilà pourquoi je souhaite poser une question au gouvernement, et même à l’ensemble de la société japonaise. Les condamnés à mort ont commis des crimes irréparables parce qu’ils sont devenus une partie d’un groupe qui avait perdu la faculté de comprendre les valeurs humaines. Mais cette faculté, aujourd’hui, après ces exécutions, qui l’a réellement perdue ?

(Photo de titre : une édition spéciale d’un quotidien annonçant l’exécution de Matsumoto Chizuo et des autres condamnés à mort a été distribuée à Tokyo, le 6 juillet 2018. Jiji Press)

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