L’exécution des membres de la secte Aum : la société japonaise dans le déni

Société

Le fondateur de la secte Aum et six de ses cadres ont été exécutés le 6 juillet 2018. Vingt jours plus tard, ce sont les six autres membres restant condamnés à mort qui subissaient le même sort. Enfermé dans son mutisme durant tout le procès, le gourou a emporté dans sa mort le moyen d’élucider tous les mystères entourant l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo le 20 mars 1995.

La « banalité du mal » qui naît au sein du groupe

La société japonaise brutalement ébranlée par les évènements de 1995 a renforcé la pensée de groupe. Un groupe considère que l’homogénéité est le lien qui unit ses membres. Ils chercheront alors à consolider leurs liens mutuels en éliminant les corps étrangers, et en se trouvant des ennemis communs à l’extérieur. En évoluant, ils ressentiront le besoin de posséder un leader politique fort et autocratique, afin que tous ses membres aillent dans le même sens. J’utilise le présent, et non un temps du passé, car cette tendance est toujours d’actualité (depuis les attentats de 2001 aux États-Unis, la pensée de groupe gagne du terrain dans le monde entier).

La tendance à former un groupe devient encore plus marquée lorsqu’elle est stimulée par la peur et l’anxiété. On retrouva là un des instincts de l’espèce humaine : vivre en bande. Mais cette communauté peut à un certain moment se comporter sans réfléchir. Être soumis à un groupe peut conduire les humains à commettre de graves erreurs. C’est exactement pour cela que j’ai souligné la nécessité de soigner Asahara afin de lui permettre d’expliquer ses mobiles, ce qui m’a valu de vives critiques de la part de nombreux experts et journalistes. Pour eux, Asahara feignait la maladie mentale, ou même s’il en avait une et avait été soigné, il n’aurait certainement pas été capable de tenir un discours cohérent…

Pendant le procès d’Adolf Eichmann, accusé d’avoir dirigé le transfert forcé des juifs, la seule réponse qu’il a donnée aux questions sur les raisons de sa participation à l’holocauste a été qu’il n’avait fait qu’exécuter les ordres. Cette réponse a déçu beaucoup de gens. Mais elle a amené la philosophe allemande Hannah Arendt (1906-1975), qui assistait au procès, à formuler le concept de la « banalité du mal ». Eichmann n’a pas été châtié pour avoir tué un grand nombre de personnes. Son crime était d’avoir obéi à une organisation qui avait perdu la notion des valeurs humaines.

La réflexion d’Arendt est une ligne auxiliaire très importante pour appréhender la passion négative de l’holocauste qui a tenté d’éradiquer un peuple donné. Les hommes ne font pas nécessairement le mal parce qu’ils sont mauvais. Parfois, c’est la soumission à un groupe qui les pousse à des actes atroces, comme l’ont fait les 12 membres de la secte Aum ôtant la vie à de nombreuses personnes, tout en étant chacun des individus bons et gentils.

Mais une ligne auxiliaire n’est rien de plus qu’une ligne auxiliaire. Ce n’est pas l’axe principal. L’axe principal qu’était Hitler s’est suicidé au moment de la chute de Berlin. Les procès de Nuremberg ont eu lieu sans lui. Ces procès n’ont donc pas pu porter le coup fatal au nazisme. C’est exactement pour cela qu’une idéologie qui le déifie continue à couver sous la cendre, et qu’une conception révisionniste de l’histoire vis-à-vis de l’holocauste et du nazisme réapparaît de temps en temps dans le monde tel un fantôme.

Suite > La société japonaise refuse d’interpréter ce qui est arrivé

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