L’exécution des membres de la secte Aum : la société japonaise dans le déni

Société

Le fondateur de la secte Aum et six de ses cadres ont été exécutés le 6 juillet 2018. Vingt jours plus tard, ce sont les six autres membres restant condamnés à mort qui subissaient le même sort. Enfermé dans son mutisme durant tout le procès, le gourou a emporté dans sa mort le moyen d’élucider tous les mystères entourant l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo le 20 mars 1995.

Les dégâts mentaux du gourou ont empêché de saisir le mobile du crime

Jusqu’à la confirmation définitive de la peine de mort pour ces six hommes, je leur ai rendu visite dans leurs lieux d’incarcération, et j’ai correspondu avec eux par lettres. Les points de vue (c’est-à-dire leurs paroles en tant qu’auteurs de crimes) qu’ils m’ont donnés constituent pour moi une ligne auxiliaire de la première importance afin d’approfondir la réflexion concernant la secte Aum, et les crimes qu’elle a commis.

Lorsque j’ai assisté au premier procès du gourou Asahara, j’ai tout de suite senti qu’il s’était mentalement effondré. Son comportement sur le banc des accusés était clairement anormal. Je me suis dit qu’il feignait peut-être la maladie, mais après avoir parlé à de nombreuses personnes impliquées dans cette affaire, et avoir effectué de nombreuses interviews dans le cadre de mes enquêtes, j’ai acquis la conviction qu’il avait vraiment perdu la raison. Personne ne l’a dit ! Parce que le faire aurait interrompu le procès, et rendu sa pendaison impossible. En parler aurait déclencher un torrent d’insultes partout au Japon.

Prostré sur le banc des accusés, Asahara souillait d’urine et d’excréments les couches qu’il portait (note de la rédaction : selon les rapports des psychiatres, Asahara portait en permanence des couches depuis qu’il était devenu incontinent en 2001).

La raison première pour laquelle les membres de la secte ont commis l’attentat est connue : Asahara leur en avait donné l’ordre, et ils l’ont accompli, forts du principe radical de la secte, selon lequel toute mort se convertissait en vie. Ils croyaient à la transmigration des âmes. Ils ont alors tué. Tout en se répétant au fond d’eux qu’ils le faisaient pour sauver les âmes de leurs victimes.

Mais quelles raisons leur a donc fournies Asahara ? Aucun des membres de la secte ayant participé à l’attentat n’a en réalité reçu d’ordre direct du leader. Les directives leur avait été transmises par Murai Hideo, décrit comme le numéro deux de la secte, mais mort poignardé environ un mois après l’attaque au gaz sarin. Inoue Yoshihiro, un des cadres de la secte condamné à mort, témoignait avoir discuté avec Asahara de l’idée de répandre du sarin afin d’éviter une perquisition de la police dans leurs locaux, mais il s’est rétracté par la suite. Pourquoi donc la secte a-t-elle répandu ce gaz ? La seule personne qui aurait pu l’expliquer, c’est Asahara. Mais il ne l’a jamais fait… Car il a perdu la tête. Il n’était plus capable de parler, même s’il l’avait voulu. Le véritable mobile de l’attaque reste inconnu. Or il est essentiel de connaître le mobile pour comprendre un crime. Si nous l’ignorons, nos peurs et inquiétudes ne se dissiperont jamais.

Suite > La « banalité du mal » qui naît au sein du groupe

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