Les jeunes japonais sont-ils forcés de participer aux clubs scolaires ?
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L’affaire du tacle vicieux
Le football américain ne fait certainement pas partie des sports universitaires les plus populaires au Japon, mais un incident survenu en mai 2018 lui a valu une énorme attention. La vidéo d’un violent tacle par derrière, sans aucun rapport avec le cours du match, infligé par un joueur de l’Université Nihon à son adversaire de l’équipe de l’Université Kwansei Gakuin, qu’il a blessé, a été vue dans le monde entier. Les médias en ont fait grand cas pendant plusieurs jours.
Plus encore que le caractère vicieux du tacle, les médias se sont focalisés sur le contexte dans lequel il s’est produit ainsi que sur les réactions des parties impliquées. L’affirmation du joueur de l’équipe Nihon, selon laquelle il avait reçu de son coach et de son entraîneur la consigne d’« éliminer » le quarterback dès le début du match ainsi que les dénégations de ceux-ci, soutenant que le joueur avait mal compris le message, leur ont valu de nombreuses critiques.
« Je n’ai pas su utiliser mon propre jugement »
La conférence de presse donnée par l’auteur du tacle restera dans les mémoires. Cet étudiant de tout juste vingt ans est apparu à visage découvert, révélant ainsi son identité devant les nombreux journalistes présents. Il a reconnu avoir taclé le quarterback de l’équipe adverse avec l’intention de le blesser.
Il aurait pu plaider pour sa propre cause en disant par exemple : « J’étais tellement pris dans le jeu que j’ai perdu le contrôle de moi-même. » Mais il ne l’a pas fait. Il a reconnu avoir intentionnellement commis son acte. En faisant un tel témoignage, il savait que sa responsabilité pénale pouvait être engagée.
Dans la déclaration qu’il avait préparée, voici ce qu’il disait :
« Cet accident est dû à mon incapacité à décider de ne pas suivre les consignes données par l’entraîneur et le coach. Cela m’a conduit à commettre une infraction au règlement. J’ai agi lâchement, et j’ai blessé un joueur de l’équipe adverse. J’ai commencé à regretter mon action sitôt que j’ai quitté le terrain, et je continue à la regretter. J’ai décidé de dire la vérité parce que je considère que c’est le premier pas pour réparer ce que j’ai fait. »
Il n’a pas attribué la responsabilité de son geste uniquement aux instructions qu’il avait reçues mais l’a résolument assumé en se reprochant de ne pas avoir pris la bonne décision.
« Il ne peut y avoir d’éducation dans la peur »
Quatre jours après, c’est au tour de l’Université Kwansei Gakuin d’organiser une conférence de presse, où elle a expliqué comprendre les remords exprimés par le joueur de Nihon. À la question « Que devrait être le sport universitaire ? », l’entraîneur de football américain de l’équipe, Toriuchi Hideaki, a répondu :
« Le sport est aussi une activité qui demande de la réflexion, et cela contribue à la formation de sa personnalité. […] Pour moi, il ne peut y avoir d’éducation dans la peur, sous la menace de punitions. S’il existe encore des équipes qui fonctionnent sur ce mode dans différentes disciplines, il me semble que cet incident devrait être pour elles une chance de changer d’approche. Et je pense que cela vaut pour tous les niveaux, que ce soit l’école élémentaire le collège et le lycée. »
Les sportifs ne doivent pas suivre les instructions de leur entraîneur parce qu’ils redoutent sa colère, mais agir suivant leur propre jugement. Voilà ce qui est pour M. Toriuchi, la mission des entraîneurs de l’école élémentaire à l’université.
Une autonomie inexistante
Les bukatsu, ces clubs d’activité qui font partie intégrante de la vie scolaire au Japon, accordent-ils suffisamment de considération à la réflexion personnelle de leurs membres ?
Les clubs scolaires des collèges et des lycées sont régis par les directives du ministère de l’Éducation. Celles-ci indiquent que les bukatsu sont fondées sur la participation autonome et volontaire des élèves. Dans la réalité néanmoins, la participation à ces clubs est souvent obligatoire. Certains élèves ignorent même que la participation se fait à la base selon leur propre choix.
Selon l’enquête sur les activités des clubs sportifs scolaires réalisée en 2017 par l’Agence des Sports, 32,5 % des collèges publics imposent à leurs élèves de participer à un club. Cela revient à dire que pour un tiers de tous les collèges, le caractère « autonome » demandé par le ministère de l’Éducation est inexistant…
Par ailleurs, que la participation soit obligatoire ou non, environ 90 % des collégiens et lycéens font partie d’un club scolaire. Pourtant, il se trouve que 60 à 70 % des lycéens appartenant à un club sportif ne s’inscrivent pas à nouveau dans une équipe universitaire une fois devenus étudiants. Cela veut-il dire que l’appartenance à club scolaire avait jusque là été contraint ?
Des pressions exercées sur ceux qui quittent les clubs
Dans de nombreux clubs sportifs scolaires, les entraînements ont lieu chaque jour à la fin des cours. Il existe aussi ce qu’on appelle des « entraînements libres ». Il s’agit de ceux qui ont lieu tôt le matin, avant le début des cours, ou le dimanche. N’est-il pas étrange de catégoriser ces entraînements en les qualifiant de « libres » alors que la participation en soi à un club est censé être un choix personnel ? D’ailleurs, la plupart des membres de clubs participent à ces entraînements… S’ils ne le font pas, ils se font gronder par leurs responsables, et peuvent se faire exclure des compétitions.
Tout cela montre bien que la « participation libre » est une fiction : les élèves sont quasiment contraints de faire partie du club, et sont soumis à une pression importante par son enseignant responsable si jamais ils tentent de partir. « Et tu ne penses pas à tes camarades ? » ou « Espèce de bon à rien » sont des propos qui, selon des témoignages, auraient été tenus par des responsables envers des lycéens.
Il s’avère que lorsqu’un élève demande de quitter un club sans raison valable aux yeux des autres (pas comme lors d’une blessure par exemple), il est perçu comme se rebellant contre le responsable du club. Ce dernier considère alors qu’il est mis à l’épreuve en tant qu’enseignant, et que le persuader de rester fait partie de son travail.
On estime en effet qu’un enseignant qui laisse les élèves agir comme bon leur semble ne remplit pas son rôle. Certes, cette position n’est pas dénuée de sens, mais dans ce cas, où est passé le côté « libre » des clubs scolaires ? Un enseignant responsable d’un club n’a pas à se mettre en colère contre un élève qui souhaite s’en retirer.
Quelle leçon peut-on tirer de l’affaire du tacle ?
Je ne dis pas que les clubs scolaires n’ont que des défauts. Mais si l’on décide que la participation est libre, il faut que les clubs agissent dans ce sens, de manière cohérente. Autrement dit, qu’ils forment les élèves non pas à obéir loyalement aux ordres venus du haut, mais qu’ils les rendent capables de réfléchir au sens de ces ordres. Si les élèves sont sans cesse limités jusque dans leurs propres jugements, cela veut dire qu’il y a une faille importante dans la façon de les encadrer. L’affaire du tacle vicieux est le résultat de cette faille. Cependant, il nous fournit aussi une raison d’espérer : le joueur a tout de suite compris que son acte posait un grave problème, et qu’il devait présenter des excuses à son adversaire. De plus, il a reconnu honnêtement en public qu’il avait mal agi.
La sincérité auquel l’a mené sa propre réflexion n’a-t-elle pas ouvert les yeux de la société vis-à-vis des problèmes existant dans les clubs scolaires ? L’opinion publique s’est bien plus focalisée sur la turpitude de l’entraîneur et du coach que par l’acte commis par le joueur. Les critiques ne se sont pas trompées d’objectif, puisqu’elles ont été dirigées contre la nocivité d’un encadrement qui prive les joueurs de leur autonomie. Espérons que cette forte réaction de l’opinion publique envers cet incident ne sera pas vaine et contribuera à approfondir les discussions sur la nature des liens entre les individus et les organisations.
(Photo de titre : les joueurs du club de football américain de l’Université Nihon ont repris leurs entraînements à Setagaya, Tokyo, le 29 juin 2018. Jiji Press)