Que vont devenir les revues pour adultes des supérettes japonaises ?

Société

Les touristes et résidents étrangers s’étonnent souvent de la facilité d’accès aux magazines pour adultes dans les supérettes japonaises, à la portée et à la vue de tous. Ces dernières tentent actuellement de modifier la manière de les vendre, quand certaines décident de se passer de leur présence.

Le Japon compte environ 55 000 supérettes (konbini). Avec plus de 7 000 dans la métropole de Tokyo, cela revient à 52,7 magasins pour 100 000 habitants, d’où l’impression qu’ils sont présents partout. La plupart ont un rayon de magazines, avec une section de magazines pour adultes. Mais celle-ci n’est pas séparée des autres, si bien que les images et les photos de femmes à moitié nues de leurs couvertures, qu’il s’agisse de bandes dessinées ou de revues, sont placées de telle manière que les femmes et les enfants ne peuvent éviter de les voir. Les étrangers disent souvent que cela les étonne. Mais ces supérettes commencent à modifier la façon dont elles traitent ces publications.

Les magazines pour adultes sous cellophane

Selon une enquête menée par le Bureau des citoyens et des affaires culturelles de la métropole de Tokyo il y a presque 30 ans, en 1989, 92,3 % des konbini vendaient des magazines pour adultes. Un grand changement à cet égard est intervenu en 2004, au moment où le gouverneur de Tokyo était Ishihara Shintarô. Une modification du décret municipal sur le développement sain de la jeunesse a imposé un emballage qui empêche de voir sur les lieux de vente le contenu de magazines ayant été définis par le conseil municipal comme « nocifs pour la jeunesse ». Le décret prescrivait aussi l’obligation pour les éditeurs de faire des efforts d’emballage pour les publications qu’ils estimeraient eux-mêmes destinées aux adultes.

Cette modification du décret a conduit l’union des supérettes de proximité à demander à l’Association japonaise des éditeurs de magazines de mettre sous cellophane les publications pour adultes, dont les ventes représentaient alors pour ces konbini un chiffre d’affaires annuel d’environ 500 milliards de yens, presque la moitié du chiffre d’affaires total des magazines. Les éditeurs ne pouvaient donc ignorer cette demande.

Ils ont alors pris l’initiative de les fermer par deux pastilles autocollantes, parce qu’un magazine sous cellophane est glissant et par conséquent difficile à transporter. Ils ont alors choisi les publications à pourvoir de pastilles autocollantes, et en ont mis sur une centaine des quelques 350 magazines vendus en supérettes. Ces pastilles étant placées par l’imprimeur, il n’était pas possible de ne le faire que pour les magazines vendus à Tokyo, et toutes les publications pour adultes furent ainsi vendues sous cette forme dans l’ensemble du Japon.

La pratique actuelle des trois plus grandes chaînes de supérettes, suite au décret de 2004

Seven-Eleven

  • Environ 3 000 des quelques 20 000 supérettes Seven-Eleven que compte le Japon ne vendent pas de magazines pour adultes.
  • Les propriétaires des supérettes décident eux-mêmes s’ils veulent ou non en vendre.
  • L’enseigne Seven-Eleven respecte scrupuleusement les règlements municipaux ou locaux à ce sujet.

Family Mart

Des magazines pour adultes recouverts de cellophane opaque dans une supérette Family Mart de la ville de Sakai.

  • Environ 1 200 des quelques 17 000 supérettes de cette enseigne ne vendent pas de magazines pour adultes.
  • Les propriétaires des supérettes décident eux-mêmes s’ils veulent ou non en vendre.
  • Depuis mars 2016, 11 supérettes Family Mart de la ville de Sakai, dans la préfecture d’Osaka, recouvrent les magazines pour adultes d’une cellophane opaque.

Lawson

  • Environ 2 500 des quelques 13 000 supérettes de cette enseigne ne vendent pas de magazines pour adultes.
  • Les propriétaires des supérettes décident eux-mêmes s’ils veulent ou non en vendre.
  • Les publications pour adultes ont un prix de vente plus élevé que les autres magazines, et leur contribution au chiffre d’affaires des magasins n’est souvent pas négligeable.

Arrêter les ventes de magazines pour adultes

Presque toutes les supérettes japonaises sont des enseignes franchisées, avec un propriétaire par magasin. Les trois plus grandes enseignes laissent aux propriétaires de magasins le choix de vendre ou non des magazines pour adultes. La quatrième enseigne, Ministop, qui fait partie du groupe Aeon, un des géants du commerce de détail, ne vend plus de magazines pour adultes dans ses 2 300 supérettes. Une initiative de la ville de Chiba est à l’origine de cette décision.

Cette ville adjacente à Tokyo a annoncé en février 2017 qu’afin d’améliorer l’image de la municipalité dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2020, et de mieux tenir compte des femmes et des enfants, elle allait mener à titre expérimental une initiative dans les supérettes de la ville en exigeant que les magazines pour adultes y soient vendus recouverts en partie d’une cellophane opaque. Les supérettes de proximité n’ont pas accueilli favorablement cette tentative, arguant que cela leur coûterait cher, et la ville a renoncé à la mener. C’est à ce moment que Ministop a décidé, en réponse à la démarche de la ville de Chiba, de ne plus vendre ces magazines.

Les magasins de la franchise avaient en effet reçu de nombreux commentaires négatifs à ce sujet de la part de clients accompagnés d’enfants qui regrettaient que ces publications soient disposées à la hauteur des yeux des enfants, ou encore à un endroit où l’on ne pouvait que les voir lorsqu’on allait aux toilettes. Avant de prendre la décision d’arrêter la vente, la franchise laissait les franchisés libres de tout choix quant à ces magazines, comme le faisait la concurrence.

Les employées du sexe féminin satisfaites de cette décision

Un porte-parole de Ministop explique ainsi les raisons qui ont conduit à cette décision : « La part des magazines adultes dans le chiffre d’affaires généré par les magazines était déjà inférieure à 10 %. Nous en sommes venus à penser qu’il fallait agir, étant donné notre objectif de faire de nos magasins un endroit plaisant et pratique pour tous. L’initiative de la municipalité de Chiba nous a conduit finalement à ne plus vendre ces magazines. »

Ce changement est intervenu en décembre 2017 dans les Ministop de la ville de Chiba où est situé le siège de Aeon, et il a été étendu à ceux de l’ensemble du pays en janvier 2018. Les employées féminines auraient exprimé leur satisfaction à ce sujet, parce que voir et toucher ces revues, au moment de les placer en rayon, leur aurait été désagréable.

« À l’époque, nous avons eu beaucoup de commentaires de nos clients, favorables à 80 %, même si 10 % d’entre eux, des hommes, regrettaient cette décision. Certains clients nous ont aussi demandé où nous situions le curseur pour déterminer ce qu’était un magazine pour adultes. Mais tous les magasins renouvellent leur assortiment de produits en fonction de ce qui se vend ou ne se vend pas, et c’est de la même façon que nous avons cessé de vendre cette catégorie de magazines », explique le porte-parole de Ministop.

Les acheteurs de magazines pour adultes sont âgés

Comment les supérettes établissent-elles la liste de magazines qu’elles vendent ? Watanabe Hiroaki, un analyste de la distribution qui a une expérience de 22 ans dans ce secteur – il a été directeur d’une supérette Lawson, conseiller dans cette chaîne, et acheteur chargé de sélectionner les nouveaux produits – nous a éclairé à ce sujet.

« Les supérettes agissent comme les mandataires des sociétés de messageries qui distribuent les magazines. Pour éviter de leur retourner des invendus dont leur transport représente un coût considérable, ces sociétés confient alors les magazines populaires aux grandes chaînes, tandis que les magasins des chaînes moins importantes reçoivent les magazines pour adultes qui nécessitent des renouvellements moins fréquents que les hebdomadaires ou les mensuels. De plus, les konbini situés dans les quartiers de divertissement comme celui de Susukino à Sapporo ou de Nakasu à Fukuoka vendent un grand nombre de magazines offrant des informations sur les établissements de plaisir. Dans certains cas, le chiffre d’affaires qu’ils en tirent atteint 300 000 yens par mois. »

Mais à part ces supérettes spécifiques, les magazines pour adultes ne se vendent plus. « Un magazine pour adulte coûte de 400 à 800 yens, et une supérette normale n’en vend qu’un tous les deux jours. Aujourd’hui, les contenus à caractère sexuel peuvent se visionner gratuitement en ligne, et les seuls acheteurs de magazines pour adultes sont des hommes âgés qui n’utilisent pas Internet. Le chiffre d’affaires des magazines en général a chuté de 60 à 70 % ces dix dernières années. »

Les magazines vont-ils disparaître des supérettes ?

Le rayon magazines a déjà disparu de certaines supérettes appartenant à de grandes franchises. Dans le cas de Seven-Eleven, il est possible depuis septembre 2017 de commander en ligne des magazines et de le faire livrer en magasin.

Family Mart s’est associée à des maisons d’édition pour vendre en magasin des publications électroniques populaires. Les supérettes modifient la manière de vendre leurs magazines ou livres pour s’adapter à l’époque d’Internet. Le jour où elles ne vendront plus ni magazines pour adultes ni magazines tout court n’est peut-être pas si lointain…

(Texte : Kuwahara Rika, Power News. Photo de titre : le coin des magazines pour adultes dans une supérette de Tokyo, à gauche, séparé par deux panneaux blancs. Nippon.com)

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