La « période glaciaire de l’emploi » au Japon : les difficultés de ses survivants

Société

À partir de la seconde moitié des années 1990, le Japon a traversé une décennie de récession appelée « période glaciaire de l’emploi », après l’éclatement de la bulle économique. La cohorte de jeunes gens diplômés de l’université qui ont à ce moment-là tenté de faire leur entrée dans le marché du travail ont aujourd’hui la quarantaine, un âge qui devrait normalement correspondre aux meilleures années d’une carrière. Mais parmi eux, nombreux sont ceux qui, après s’être battus pour faire leurs premiers pas dans le monde professionnel juste après avoir obtenu leur diplôme de fin d’études, doivent aujourd’hui encore se contenter de bas salaires et de sombres perspectives professionnelles. La stagnation de la consommation au sein de cette catégorie de la population a des répercussions à grande échelle, qui entravent les efforts de revitalisation de l’économie tout entière. Il est grand temps d’amorcer, avant qu’il ne soit trop tard, un débat sur la solution globale qu’il convient d’apporter à ce problème.

L’isolement social et le problème 70/40

Une grande partie de ces NEETs d’âge mûr sont en situation d’isolement social, et un nombre considérable d’entre eux deviennent des hikikomori, autrement dit des reclus qui ont coupé pratiquement tous les contacts avec le monde extérieur (voir notre article lié). Je me suis déjà exprimé sur l’inquiétante augmentation du nombre des SNEPs – Solitary Non-Employed Persons (personnes solitaires et sans emploi) – mot que j’ai forgé pour désigner les gens âgés de 20 à 59 ans qui vivent seuls, sans emploi et passent le plus gros de leur temps dans une solitude complète ou sans autre compagnie que celle de la famille. Dans mon précédent article, j’écrivais que l’effectif des SNEPs avait pratiquement doublé, passant d’environ 850 000 individus en 2001 à 1,62 million en 2011. Des études récentes suggèrent que leur nombre a légèrement baissé, mais qu’il y en avait encore quelque 1,56 million en 2016.

La figure 3 représente la ventilation de la cohorte des SNEPs par tranches d’âges. Les 20-29 ans constituent le groupe le plus important, mais leur nombre a enregistré une baisse spectaculaire entre 2011 et 2016, en partie grâce à l’amélioration des opportunités d’emploi pour les jeunes générée par la pénurie actuelle de main-d’œuvre. Chez les quadragénaires, en revanche, le nombre des SNEPs continue d’augmenter. Nombre d’entre eux sont des gens qui ont tenté de s’insérer dans le monde du travail pendant la période glaciaire de l’emploi.

Aujourd’hui, l’expression « problème 70/40 » est employée en référence au problème des parents septuagénaires qui sont toujours financièrement responsables de leurs « enfants » quadragénaires. À mesure que les membres de la « décennie perdue », victimes de la période glaciaire de l’emploi, entrent dans la catégorie des quinquagénaires et leurs parents dans celle des octogénaires, ce problème est susceptible de s’aggraver encore. Il ne fait pas de doute que nous entendrons bientôt parler du « problème 80/50 ». Le Japon bénéficie de l’une des plus longues espérances de vie au monde (voir notre article lié), mais il n’en reste pas moins qu’un jour viendra où ces parents âgés ne seront plus là pour prendre soin de leurs enfants à charge d’un âge déjà avancé. Que deviendront ces gens quand ils seront abandonnés à leur sort, toujours plongés dans l’isolement et coupés de la société ? Pour certains d’entre eux, la simple survie risque de s’avérer difficile. La situation est dramatique.

Les pouvoirs publics ne sont pas totalement aveugles à cette menace de désastre. L’an dernier, le gouvernement a mis en œuvre un programme au titre duquel les entreprises qui confient des postes permanents à des personnes d’âge mûr recevront une subvention. Et divers centres de soutien régionaux pour les jeunes, instances fondées pour aider les NEETs âgés de 15 à 39 ans à faire leur entrée dans le monde du travail, vont cette année voir leurs compétences étendues à la tranche d’âges des 40-44 ans.

Mais cela ne suffira pas à régler en profondeur les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes arrivées à l’âge adulte pendant la période glaciaire de l’emploi. Pour trouver une solution globale, il faudra un débat à l’échelle de la nation. Et ce débat ne doit pas esquiver le fait cruel que nombre de membres de cette génération continuent de payer le prix de la confusion et du chaos qui ont balayé la société japonaise à la suite de l’effondrement de la bulle économique. Le débat doit s’amorcer dès maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.

(Photo de titre : PIXTA)

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