Le Japon et les deux Corées après les JO de Pyeongchang

Politique

Asaba Yûki [Profil]

À l’heure du retour triomphant de la délégation nord-coréenne à l’issue de son offensive de charme aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, Tokyo et Séoul feraient bien de songer à renforcer leur propre jeu diplomatique dans la perspective de faire bloc face à la montée de la menace du gouvernement de Kim Jong-un…sans oublier de prendre en compte rôle des États-Unis.

La nécessité d’une image poignante

« Une image vaut mille mots », voilà une évidence qu’on ne répétera jamais trop lorsqu’il s’agit de diplomatie. L’image du président Barack Obama réconfortant un survivant de la bombe atomique à l’occasion de sa première visite à Hiroshima a suffi à conquérir le peuple japonais, en dépit de l’absence d’excuses clairement formulées (ou de la moindre évocation d’une compensation aux survivants). De telles images, au même titre que celles de la visite ultérieure du Premier ministre Abe à Pearl Harbor et de son discours au Congrès des États-Unis, resteront gravées dans les mémoires collectives des deux nations comme de puissants symboles de réconciliation historique. Même entre alliés, la diplomatie se doit d’avoir recours aux outils des relations publiques, et notamment aux images à caractère iconique.

Cette observation est d’autant plus vraie pour le Japon et la Corée du Sud, qui n’ont jamais cimenté une alliance formelle. Et pourtant, cet aspect de la diplomatie est resté gravement négligé. Trop souvent, pour faire avancer la relation bilatérale, nos dirigeants se contentent d’exprimer verbalement le regret ou le pardon. Mais, faute d’images frappantes aptes à convaincre le public à un niveau émotionnel, les objectifs de la réconciliation ne font que reculer.

L’une des raisons de la comparaison défavorable dont le Japon fait souvent l’objet par rapport à l’Allemagne réside dans son échec à gagner les cœurs et les esprits à travers des images mémorables ; il n’a rien produit de comparable à la photo iconique de l’ancien chancelier allemand Willy Brandt tombant à genoux dans un geste de repentir devant le monument dédié au soulèvement du ghetto de Varsovie(*4).

Peut-être l’effet le plus positif dont ont bénéficié récemment les relations entre le Japon et la Corée du Sud est-il venu de l’image des patineuses de vitesse Nao Kodaira et Lee Sang-hwa en train de s’embrasser après avoir remporté respectivement les médailles d’or et d’argent du 500 mètres femmes à Pyeongchang. Dans le même ordre d’idées, une photo soigneusement choisie pourrait renforcer l’image du partenariat entre le Japon et la Corée du Sud.

On pourrait faire appel à l’exercice militaire, connu sous le nom de hand-off (passage de main), au cours duquel des avions de chasse sud-coréens prennent la relève de leurs homologues japonais (ou vice et versa) pour escorter des bombardiers américains dans l’espace aérien international séparant les zones d’identification de défense japonaise et sud-coréenne. Le terme même hand-off, emprunté au langage du football américain, véhicule l’idée de jeu en équipe, au moins du point de vue des États-Unis. Même si le climat politique n’est pas favorable à la tenue d’exercices trilatéraux sur le territoire sud-coréen, une large diffusion par les médias de photos et de vidéos d’un hand-off pourrait pour le moins contribuer à une réévaluation des relations entre le Japon et la Corée du Sud dans le cadre d’une « vision globale » de la sécurité régionale.

Le pouvoir de ce genre d’iconographie est confirmé par les découvertes d’une étude à laquelle j’ai récemment pris part, de concert avec Tago Atsuhi, de l’Université de Kobe, et Kobayashi Tetsurô, de l’Université municipale de Hong Kong. Cette étude portait sur des électeurs japonais plutôt de droite et des électeurs sud-coréens plutôt de gauche, deux groupes enclins à l’hostilité au renforcement de la coopération entre le Japon et la Corée du Sud dans le domaine de la sécurité. Nous avons découvert que nous étions en mesure de les faire passer d’une perception à prédominance négative à une perception nettement positive en leur montrant une vidéo de 38 secondes (produite par le Commandement des États-Unis pour le Pacifique) mettant en lumière le rôle joué par la coopération États-Unis-Japon-Corée dans le domaine de la sécurité pour contrer la menace nord-coréenne.

Ce qu’il faut en retenir, c’est que, malgré l’enlisement apparemment désespéré des relations entre le Japon et la Corée du Sud, nous pouvons faire avancer les choses en employant à bon escient les outils des relations publiques appliqués à des segments clefs de la population. Le moment est venu de mettre en œuvre une diplomatie intelligente dans les deux camps.

(D’après un original publié en japonais le 23 février 2018. Photo de titre : le Premier ministre japonais Abe Shinzô [en bas, deuxième à partir de la droite] participe à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, aux côtés du vice-président des États-Unis Mike Pence [immédiatement à sa gauche], du président de la Corée du Sud Moon Jae-in [en bas, deuxième à partir de la gauche] et de Kim Yo-jong [en haut, deuxième à partir de la gauche], la sœur du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. Jiji Press)

(*4) ^ Jennifer Lind, Sorry States : Apologies in International Politics (Les États désolés : les excuses en politique internationale), Cornell University Press, 2008.

Tags

diplomatie Corée du Nord

Asaba YûkiArticles de l'auteur

Né en 1976 à Osaka. Professeur à la Faculté des études internationales et du développement régional, Université de Niigata. Professeur auxiliaire, Université des études nord-coréennes (Séoul). Spécialiste de la politique comparative et des relations internationales, il s’intéresse plus particulièrement à la politique sud-coréenne et aux relations nippo-coréennes. Diplômé de l’Université Ritsumeikan et titulaire d’un doctorat de sciences politiques de l’Université nationale de Séoul. Co-auteur, entre autres ouvrages, de Sengo Nikkan kankei shi (Histoire comparative des relations entre le Japon et la Corée du Sud depuis la Seconde Guerre mondiale) et Japanese and Korean Politics : Alone and Apart from Each Other (Les politiques du Japon et de la Corée : Seuls et séparés l’un de l’autre).

Autres articles de ce dossier