Le Japon et les deux Corées après les JO de Pyeongchang

Politique

Asaba Yûki [Profil]

À l’heure du retour triomphant de la délégation nord-coréenne à l’issue de son offensive de charme aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, Tokyo et Séoul feraient bien de songer à renforcer leur propre jeu diplomatique dans la perspective de faire bloc face à la montée de la menace du gouvernement de Kim Jong-un…sans oublier de prendre en compte rôle des États-Unis.

Japon, États-Unis, Corée : qui est le maillon faible ?

S’il est vrai qu’une chaîne n’est pas plus forte que son maillon le plus faible, quel est le maillon faible du triangle sécuritaire Japon-USA-Corée ? On pourrait être tenté de répondre « la Corée du Sud, en raison de ses liens ethniques avec le Nord ». Mais si l’on définit le lien comme ce qui connecte deux entités, le choix se limite à trois connexions : Japon-USA, USA-Corée et Corée-Japon. Et il faut bien admettre que c’est la dernière qui constitue le maillon le plus faible.

Dans un écrit de 1999, Victor Cha, ancien conseiller national américain dans le domaine de la sécurité et spécialiste des affaires coréennes (jadis nommé ambassadeur en Corée du Sud par le président Trump), employait l’expression « quasi-alliance » pour décrire la relation entre le Japon et la Corée – « quasi » parce que ces deux pays n’ont jamais conclu de traité de sécurité à proprement parler, bien qu’ils aient un ennemi commun, la Corée du Nord, et un allié commun, les États-Unis(*3). En 2016, Tokyo et Séoul ont certes conclu l’Accord de Sécurité Générale d’Informations militaires (GSOMIA), qui posait les fondations de ce qu’on pourrait appeler une « alliance virtuelle ». Mais dans quelle mesure avons-nous progressé dans la construction d’une telle relation ?

Au nombre des atouts stratégiques les plus importants en cas d’événement imprévu sur la péninsule coréenne figurent les bombardiers américains B-1 et B-52 de la Base Andersen des forces aériennes, à Guam. Les Forces aériennes d’autodéfense du Japon ont participé à des exercices mettant à contribution ces atouts, et les Forces aériennes de la République de Corée ont fait de même. Mais il n’y a jamais eu d’exercice regroupant les trois pays dans la même formation. Ce n’est pas ainsi que devrait fonctionner une équipe tripartite. Outre cela, s’il est vrai que les responsables japonais mentionnent, ne serait-ce que du bout des lèvres, le partenariat de sécurité entre ce trio, la seule occasion où l’on entend les dirigeants sud-coréens prononcer l’expression « Japon-USA-Corée », c’est lorsqu’ils promettent à Pékin qu’ils n’entreront jamais dans une telle alliance…

À mesure que des litiges périphériques nous distraient de l’objectif fondamental de la relation, il n’est pas étonnant que ceux à qui profitent nos divisions ciblent ces faiblesses. C’est ainsi que la moindre apparence de fissure dans le triangle sécuritaire Japon-USA-Corée peut envoyer des signaux erronés. Les envolées lyriques de Pékin à propos de la « lutte historique conjointe contre l’agression japonaise » menée par la Chine et la Corée ne sont rien d’autre qu’une tentative à peine déguisée de la Chine en vue d’enfoncer un coin entre ses adversaires, et le Japon doit réagir en conséquence à l’évocation de cette soi-disant guerre historique.

Mais ce n’est pas le seul point faible du partenariat. Comme l’explique Victor Cha, le Japon et la Corée du Sud souffrent tous deux de deux formes d’insécurité communément rencontrées chez les partenaires subalternes d’une alliance : la « peur de l’abandon » et la « peur d’être pris au piège ». Ces deux types d’anxiété ont été exacerbés par l’imprévisibilité du leadership de Donald Trump.

La peur de l’abandon se manifeste sous la forme d’une montée des incertitudes quant à la possibilité de compter sur Washington pour défendre Tokyo et Séoul s’il s’avérait que Los Angeles et New York se trouvaient à portée des missiles balistiques intercontinentaux (MBI) nord-coréens. Il y a aussi la crainte que Washington passe un accord avec Pyongyang portant exclusivement sur les MBI nord-coréens et laissant le Japon et la Corée du Sud sans protection, et ainsi vulnérables à une attaque de Scuds nord-coréens ou de missiles Rodong à moyenne portée.

Quant à la crainte d’être pris au piège, elle transparaît dans la peur que les États-Unis tentent de porter un coup fatal à la capacité nucléaire de la Corée du Nord et lancent à cette fin une attaque surprise préventive sans consulter leurs alliés, avec pour résultat de les entraîner dans un conflit inutile et potentiellement dévastateur. Vue sous ce jour, la relation entre le Japon et la Corée du Sud ne constitue pas le seul maillon faible du triangle sécuritaire.

(*3) ^ Victor D. Cha, Alignment Despite Antagonism : The United States-Korea-Japan Security Triangle (L’alignement en dépit de l’antagonisme : le triangle sécuritaire États-Unis-Corée-Japon), Stanford University Press, 1999.

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Asaba YûkiArticles de l'auteur

Né en 1976 à Osaka. Professeur à la Faculté des études internationales et du développement régional, Université de Niigata. Professeur auxiliaire, Université des études nord-coréennes (Séoul). Spécialiste de la politique comparative et des relations internationales, il s’intéresse plus particulièrement à la politique sud-coréenne et aux relations nippo-coréennes. Diplômé de l’Université Ritsumeikan et titulaire d’un doctorat de sciences politiques de l’Université nationale de Séoul. Co-auteur, entre autres ouvrages, de Sengo Nikkan kankei shi (Histoire comparative des relations entre le Japon et la Corée du Sud depuis la Seconde Guerre mondiale) et Japanese and Korean Politics : Alone and Apart from Each Other (Les politiques du Japon et de la Corée : Seuls et séparés l’un de l’autre).

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