Le Japon et les deux Corées après les JO de Pyeongchang

Politique

Asaba Yûki [Profil]

À l’heure du retour triomphant de la délégation nord-coréenne à l’issue de son offensive de charme aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, Tokyo et Séoul feraient bien de songer à renforcer leur propre jeu diplomatique dans la perspective de faire bloc face à la montée de la menace du gouvernement de Kim Jong-un…sans oublier de prendre en compte rôle des États-Unis.

La présence du Premier ministre Shinzô Abe à Pyeongchang pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver témoigne de la place importante que la Corée du Sud occupe dans la sécurité du Japon. La rumeur circulait que M. Abe allait bouder l’invitation de Séoul après que le gouvernement du président Moon Jae-in eut donné l’impression de revenir sur l’accord bilatéral de 2015 et de renier l’engagement affirmant que la question des « femmes de réconfort » était « définitivement et irréversiblement » résolue (voir notre article sur le sujet). Mais les avis plus sensés ont prévalu. Aujourd’hui comme hier, « la Corée du Sud est le voisin le plus important du Japon, avec lequel il partage des intérêts stratégiques communs »(*1). Lors d’une réception officielle à Pyeongchang, M. Abe a posé aux côtés du président Moon et du vice-président des États-Unis Mike Pence, réaffirmant ainsi de façon symbolique la pérennité du partenariat de sécurité entre le Japon et la Corée du Sud.

Abe Shinzô, Premier ministre du Japon, Moon Jae-in, président de la Corée du Sud, et Mike Pence, vice-président des États-Unis, ont posé pour les photographes le 9 février 2018, à l’occasion d’une réception marquant l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, en Corée du Sud. (Jiji Press)

Un refroidissement de plus en plus net

Pyeongchang mis à part, la diplomatie adoptée récemment par le gouvernement Abe vis-à-vis de la Corée du Sud est entachée d’inertie. Dans le discours politique annuel prononcé en janvier à la Diète, les relations du Japon avec la Corée du Sud ont été évoquées de façon laconique et vague par le Premier ministre, qui s’est contenté d’un engagement à « s’appuyer sur les accords internationaux entre nos deux pays et sur notre confiance mutuelle », dans « une perspective orientée vers l’avenir ». Contrairement aux deux années précédentes, il n’a pas mentionné les intérêts stratégiques que le Japon partage avec la Corée du Sud. M. Abe semble beaucoup plus enthousiaste à l’idée de « multiplier les visites à un haut niveau entre Tokyo et Pékin » et de reconstruire le « partenariat stratégique » entre le Japon et la Chine.

Pendant des décennies, et en dépit de diverses tensions et animosités enracinées dans l’histoire, le Japon et la Corée du Sud ont partagé les mêmes préoccupations stratégiques dans le cadre d’une relation de coopération. Mais ces liens se sont effilochés à mesure que se dissipait la conscience des intérêts stratégiques partagés (sans parler des valeurs fondamentales). Nos gouvernements doivent entreprendre sans délai de renforcer ces liens, faute de quoi le prix à payer pourrait être très lourd.

On est frappé d’étonnement lorsqu’on se souvient des fanfares et des nobles sentiments qui se sont fait entendre il y a vingt ans, quand le Premier ministre Keizô Obuchi et le président Kim Dae-jung ont annoncé la naissance d’un nouveau « partenariat orienté vers le XXIe siècle », fondé sur des « principes universels tels que la liberté, la démocratie et l’économie de marché » (voir notre article sur le sujet). Aujourd’hui, nous nous retrouvons embourbés dans la suspicion mutuelle, chacun se demandant si l’autre est un partenaire digne de confiance. Ces dernières années, les changements spectaculaires enregistrés dans les attitudes des Japonais vis-à-vis de la Corée du Sud ont réduit la marge de manœuvre du gouvernement, confronté à la crainte d’un sursaut nationaliste sur son territoire. À l’évidence, chaque pays a le devoir de poursuivre les intérêts stratégiques qui lui sont propres et il y aura toujours des points de divergence. Mais la valeur d’une politique étrangère ne se résume pas à l’habileté en matière de gestion des conflits, elle passe aussi par des efforts résolus en vue d’élargir le champ de la coopération sur la base des intérêts et des valeurs partagés.

Dans le domaine de la sécurité, l’importance que le Japon et la Corée du Sud ont l’un pour l’autre reste primordiale. Un conflit sur la péninsule coréenne pourrait menacer le Japon dans son existence même. Dans le même temps, le Traité de sécurité nippo-américain et les chasseurs furtifs F-35 déployés sur la base d’Iwakuni, dans la préfecture de Yamaguchi, jouent un rôle vital dans la défense de la Corée du Sud. Ceci étant, nos dirigeants doivent mobiliser la volonté politique de redéfinir les relations entre le Japon et la Corée du Sud dans un contexte sécuritaire – pour être plus précis, le triangle de sécurité Japon-USA-Corée. Ils doivent intervenir avec détermination pour façonner l’opinion chez eux et à l’étranger, et convaincre le public de l’importance de la relation entre le Japon et la Corée du Sud, en une époque où sa nécessité ne va plus de soi.

(*1) ^ Ministère des Affaires étrangères, Manuel diplomatique 2017

Suite > Les actions impulsives du président Moon

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Asaba YûkiArticles de l'auteur

Né en 1976 à Osaka. Professeur à la Faculté des études internationales et du développement régional, Université de Niigata. Professeur auxiliaire, Université des études nord-coréennes (Séoul). Spécialiste de la politique comparative et des relations internationales, il s’intéresse plus particulièrement à la politique sud-coréenne et aux relations nippo-coréennes. Diplômé de l’Université Ritsumeikan et titulaire d’un doctorat de sciences politiques de l’Université nationale de Séoul. Co-auteur, entre autres ouvrages, de Sengo Nikkan kankei shi (Histoire comparative des relations entre le Japon et la Corée du Sud depuis la Seconde Guerre mondiale) et Japanese and Korean Politics : Alone and Apart from Each Other (Les politiques du Japon et de la Corée : Seuls et séparés l’un de l’autre).

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