L’énergie nucléaire confrontée à un tsunami de litiges

Société

Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9 a déclenché un tsunami qui a mis hors service le système de refroidissement de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, provoquant un accident catastrophique dont les retombées continuent de se faire sentir sept ans plus tard. Le reporter scientifique Shizume Saiji examine ici les suites juridiques de la fusion des réacteurs, depuis les plaintes déposées contre l’État et l’opérateur de la centrale jusqu’au foisonnement d’initiatives visant à l’arrêt définitif des activités nucléaires au Japon.

Un tsunami de poursuites judiciaires

L’avocat Managi Izutarô estime à plus de 10 000 le nombre de plaignants impliqués dans les recours collectifs en cours contre Tepco et l’État. Il représente à lui seul 4 200 victimes dans l’un de ces procès, qui est jusqu’ici le plus grand. Selon Me Managi, une fois connu le danger que représentait un tsunami, maintenir Fukushima Daiichi en activité revenait à « autoriser une compagnie aérienne à faire voler un avion dangereux ».

Dans le jugement qu’il a rendu en octobre dernier dans le procès plaidé par Me Managi, le tribunal du district de Fukushima a convenu que Tepco et l’État avaient tous deux fait montre de négligence, et il a ordonné que des dommages et intérêts soient versés à une majorité des plaignants. Mais les victimes et leurs avocats ont estimé que le montant et le champ d’application des indemnités étaient inadéquats et ont choisi de faire appel. Tepco et l’État ont eux aussi fait appel de la décision.

L’affaire est désormais confiée à la cour d’appel de Sendai. « En dernier lieu, nous demandons que la préfecture de Fukushima soit restaurée dans son état d’avant l’accident nucléaire », explique Me Managi. « Dans le même temps, nous nous battons pour mettre un terme à l’usage de l’énergie nucléaire. »

Me Managi insiste sur l’importance qu’il y a à mobiliser un grand nombre de victimes. « Si vous n’arrivez pas à rassembler un large groupe de plaignants, leur affaire n’aura pas suffisamment de retentissement pour le juge », dit l'avocat. « Le nombre de personnes impliquées dans un litige et l’intensité des sentiments du public sont des facteurs décisifs. Je pense que la vraie bataille se livre en dehors du tribunal. »

En regroupant les victimes dans le cadre de vastes recours collectifs, Me Managi et d’autres avocats utilisent une stratégie qui a déjà fait ses preuves, puisqu’elle a contribué à retourner le courant contre les grands pollueurs industriels dans les années 1960 et 1970, quand les victimes des maladies de Minamata (empoisonnement au mercure) et itai-itai (empoisonnement au cadmium) se sont regroupées pour obtenir réparation en justice. L’avenir nous dira si le mouvement actuel aura un impact comparable.

L’avocat Managi Izutarô représente 4 200 anciens habitants de Fukushima dans un recours collectif contre l’État et Tepco. (Photo : Shizume Saiji)

Le combat contre l’énergie nucléaire, une centrale après l’autre

Sur un front différent mais connexe, des groupes de citoyens et autres plaignants sont résolument engagés dans une série de procès visant à obtenir la fermeture des centrales nucléaires japonaises.

Les premières tentatives en vue d’entraver le développement de l’énergie nucléaire par l’action en justice remontent aux années 1970. Particulièrement marquante parmi ces premières affaires a été le procès intenté par des citoyens qui contestaient la légalité de la licence accordée à la Compagnie électrique de Shikoku pour la construction et l’exploitation de la centrale nucléaire Ikata, dans la préfecture d’Ehime. En l’occurrence, les avocats mettaient en cause les fondements mêmes de la sûreté de l’installation, compte tenu de sa proximité avec la zone faillée de la Ligne tectonique médiane. Cette affaire est remontée jusqu’à la cour suprême, qui a finalement débouté les plaignants en 1992.

Les problèmes de sécurité occupent une place prépondérante dans les quelque 30 procès actuellement en cours devant les tribunaux du Japon (au mois de janvier 2018). La majorité font référence au risque potentiel de fort tremblement de terre, d’éruption volcanique ou de tsunami, tandis que d’autres réclament la suspension des opérations en raison de l’inadéquation des plans d’évacuation. Un petit nombre de ces affaires remontent à l’époque d’avant Fukushima, mais le plus gros des plaintes ont été déposées à la suite de l’accident.

En décembre dernier, la cour d’appel de Hiroshima a émis une injonction de mise à l’arrêt du réacteur numéro 3 de la centrale nucléaire d’Ikata, mentionnée plus haut. La décision de la cour faisait référence au danger que courait cette installation, implantée sur l’île de Shikoku, en cas d’éruption massive du mont Aso, situé dans le Kyûshû, de l’autre côté de la mer. Bien que l’histoire n’ait pas gardé trace d’une éruption d’une telle ampleur, la cour a convenu que le risque était suffisant pour justifier que le site soit déclaré inapproprié pour une centrale nucléaire. Cette décision n’a pas été du goût de l’Autorité de régulation du nucléaire, qui avait autorisé la remise en exploitation sous des normes de sécurité nouvelles, postérieures à l’accident de Fukushima.

Aujourd’hui, la quasi-totalité des centrales japonaises en état de fonctionner se trouvent prises dans une forme ou une autre de litige. Il y a notamment une affaire où ce sont les autorités locales qui sont à l’origine d’une action en justice – celle que la ville de Hakodate, à Hokkaidô, a entamé pour bloquer la construction et l’exploitation de la centrale nucléaire d’Ôma, située de l’autre côté du détroit de Tsugaru, dans la préfecture d’Aomori.

Suite > Statut des réacteurs nucléaires japonais en état de fonctionner

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