L’énergie nucléaire confrontée à un tsunami de litiges

Société

Shizume Saiji [Profil]

Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9 a déclenché un tsunami qui a mis hors service le système de refroidissement de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, provoquant un accident catastrophique dont les retombées continuent de se faire sentir sept ans plus tard. Le reporter scientifique Shizume Saiji examine ici les suites juridiques de la fusion des réacteurs, depuis les plaintes déposées contre l’État et l’opérateur de la centrale jusqu’au foisonnement d’initiatives visant à l’arrêt définitif des activités nucléaires au Japon.

Complaisance et opacité

Suite à l’accident de Fukushima, l’ASNI s’est vu reprocher son manque d’indépendance. L’agence étant sous l’autorité du ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, un ardent défenseur de l’énergie nucléaire, elle avait, au dire des fonctionnaires, des pouvoirs limités en matière de régulation. Outre cela, la nature à la fois fermée et consanguine de l’environnement était propice à la formation de liens malsains entre l’ASNI et l’industrie de l’énergie électrique. Tant et si bien que l’ASNI avait pris l’habitude d’accueillir les compagnies et de leur apporter son soutien plutôt que de les superviser. Quant à Tepco, il était si profondément imprégné par la culture du déni qu’il lui était coutumier de cacher les informations qui risquaient de donner des munitions aux militants antinucléaires ou de créer de l’inquiétude au sein des populations locales. L’entreprise s’était ainsi persuadée, au mépris de tous les avertissements, que le risque d’un tsunami géant était purement hypothétique.

Jusqu’ici, les tribunaux de district n’ont rendu de décisions que dans trois grands recours collectifs, et dans chacune de ces affaires ils ont donné raison aux plaignants qui soutenaient que, à partir de la publication du rapport de 2002 sur les risques sismiques, l’État et Tepco auraient pu anticiper le danger d’un tsunami de grande ampleur. Deux des tribunaux de district, ceux de Maebashi et de Fukushima, en sont arrivés à la conclusion que les accusés avaient fait montre de négligence dans leur incapacité à empêcher la fonte des réacteurs. En revanche, le tribunal du district de Chiba a rejeté les plaintes contre l’État au prétexte qu’il n’était pas exclu que le gouvernement, malgré l’attention qu’il prêtait à l’époque à la sûreté sismique, n’ait pas pu élaborer à temps les mesures efficaces qui auraient permis de protéger Fukushima Daiichi contre le tsunami de mars 2011. Sachant que le gouvernement et Tepco s’apprêtent à faire appel des décisions des instances inférieures, les procès risquent de durer des années.

Dans un pays sujet aux catastrophes naturelles, les verdicts finaux pourraient avoir des répercussions importantes. En dépit des progrès scientifiques des dernières décennies, notre aptitude à prévoir les grands tremblements de terre, tsunami et éruptions volcaniques reste très limitée. Comment pouvons-nous être sûrs que la conception et le fonctionnement des centrales nucléaires existantes reflètent les évaluations scientifiques les plus récentes des risques à long terme ? Les pouvoirs publics et l’industrie ont-ils la responsabilité de nous préserver des événements catastrophiques, aussi faible que soit leur probabilité ?

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Fukushima justice nucléaire

Shizume SaijiArticles de l'auteur

Reporter scientifique, Kyodo News. Né dans le département de Chiba en 1973. Entre à Kyodo News en 1996. Nommé éditeur adjoint aux questions nucléaires en 2017. Effectue de nombreux reportages sur l’énergie nucléaire, la préparation aux séismes et l’accident de Fukushima Daiichi. Auteur de la série d’articles Hyôryû suru sekinin : Genshiryoku hatsuden o meguru rikigaku o ou (Une responsabilité à la dérive : comprendre la dynamique du nucléaire) publiée dans le mensuel Kagaku (Science).

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