Il existe des personnes sans état civil au Japon
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Le système japonais du koseki, le registre familial
Le Japon a un système de registre familial, le koseki. Il s’agit d’un document officiel établi dans le but d’enregistrer les citoyens en unités familiales. De tels systèmes étaient autrefois courants en Asie de l’Est, mais actuellement, seul le Japon, Taïwan, et la Chine (où il ne subsiste en réalité que nominalement) l’ont conservé.
Au Japon, il faut présenter une copie certifiée ou un extrait certifié de ce registre familial pour se faire établir un passeport, se marier ou enregistrer une succession.
L’acte d’état civil possède à peu près la même fonction qu’un acte de naissance en Europe ou aux États-Unis. La principale différence étant que dans ces pays, un tel document concerne un individu, alors qu’au Japon, il concerne une famille dont tous les membres, parents et enfants, portent le même nom. En effet, le Japon ne reconnaît pas aux époux le port de noms séparés (voir notre article sur le sujet). 96 % des couples choisissent celui de l’homme. Dans ce cas, ce dernier devient le titulaire du registre dans lequel sont inscrits son nom, celui de son épouse, et ceux des enfants issus du mariage dans leur ordre de naissance.
Il existe des personnes sans koseki
Pourtant, certaines personnes n’ont aucun état civil… Un tel statut est rendu possible à cause du système d’enregistrement par unité familiale. Selon le ministère de la Justice, 1 495 personnes étaient dans ce cas entre juillet 2014, quand il a commencé à enquêter à ce sujet, et le 10 octobre 2017. Si 780 d’entre elles sont depuis inscrits dans un registre familial, les 715 autres demeurent toujours en attente, dont 49,2 % sont des enfants en âge préscolaire (selon un communiqué de novembre 2017 du ministère).
Normalement, lorsqu’une femme apprend sa grossesse, elle obtient un carnet de santé pour l’enfant à venir, puis se met en contact avec la Sécurité sociale au moment de la naissance, permettant au bébé de bénéficier de visites médicales. Dans le cadre de ce processus, il est possible de vérifier si la naissance a été ou non déclarée, et il arrive que cela ne soit pas fait, par exemple lorsque la mère est isolée sur le plan social, ou qu’elle a abandonné son enfant. Le 8 juillet 2014, le journal Asahi Shimbun a publié en première page un article traitant d’un de ces enfants, intitulé : « 17 ans sans registre familial – un enfant caché par ses parents, inconnu de tous et non scolarisé ». La question a aussi été abordée plusieurs fois par des émissions de télévision, et la société a pris conscience de la présence d’enfants et d’adultes sans koseki.
Le ministère de la Justice ainsi que les collectivités locales, notamment la ville d’Akashi dans la préfecture de Hyôgo, ont pris des mesures pour réagir à de tels cas, et aujourd’hui, les personnes sans état civil peuvent bénéficier de plusieurs services administratifs. Citons entre autres l’enregistrement du domicile, l’obtention d’une carte d’assuré social, la prestation d’accueil du jeune enfant, les examens de santé et vaccinations, les inscriptions à la crèche, en maternelle, à l’école élémentaire et au collège, l’aide à l’accès à l’emploi… Mais il y a encore des personnes concernées qui ignorent tous ces dispositifs.
Qui est le père de l’enfant ?
Dans quelles circonstances naissent ces enfants sans registre familial ? D’après le ministère de la Justice, c’est pour 75,1 % d’entre eux en raison des règles du Code civil gouvernant la filiation, qui ont été élaborées à l’ère Meiji (1868-1912). Le paragraphe 1 de l’article 772 établit que le père présumé de l’enfant d’une femme tombée enceinte pendant la durée de son mariage est son époux. Cela s’appelle la « présomption de paternité ». Comme il est difficile de prouver que la grossesse a commencé pendant la durée d’un mariage, le Code civil estime dans le paragraphe 2 du même article que si un enfant est né dans les 200 jours après le mariage, ou bien moins de 300 jours après sa dissolution, l’enfant a été conçu pendant le mariage.
Toutefois, ces dispositions sont à l’origine d’un problème délicat. Supposons par exemple qu’une femme quitte le domicile conjugal pour échapper à la violence de son mari. Elle rencontre par la suite un autre homme, avec qui elle a des relations intimes, tombe enceinte et donne naissance à un enfant. D’après l’article 772 du Code civil, pourtant, le père de l’enfant est juridiquement…son époux violent, puisque la grossesse de la mère a débuté pendant son mariage.
Dans un autre cas de figure, une épouse séparée de son époux noue des liens avec un autre homme. Les époux divorcent ensuite et la femme se remarie avec cet autre homme. Mais si l’enfant naît moins de 300 jours après le divorce, c’est son ex-mari qui en est légalement le père, même si elle sait que l’enfant est celui de son second époux.
Le nom des parents apparaît sur la déclaration de naissance. Dans les deux cas cités, du point de vue du droit, le père étant celui dont la mère est séparée ou même divorcée, il faut l’inscrire dans la colonne concernée. Si la mère écrit le nom du père biologique, la déclaration de naissance ne sera pas enregistrée. Mais dans le cas où la mère déclare quand même la naissance de cet enfant, celui-ci sera enregistré dans le registre familial d’un homme avec lequel il n’a aucun lien de sang.
Une mère qui connaît le véritable père de son enfant ne peut se satisfaire de cette situation. De plus, dans le cas où elle s’est séparée ou a divorcé de son époux en raison de sa violence, elle peut craindre que celui-ci découvre la vérité en consultant le registre familial, sur lequel est inscrit par ailleurs sa nouvelle adresse… Dans de telles circonstances, il se peut que la mère abandonne contre son gré l’idée de déclarer la naissance de son enfant.
Selon le ministère de la Justice, 11,2 % des mères d’enfant sans registre familial étaient mariées au moment de la naissance de l’enfant et le sont encore, 15,7 % ont donné naissance alors qu’elles étaient mariées mais sont aujourd’hui divorcées, et 50,9 % d’entre elles ont donné naissance dans les 300 jours après le divorce.
Comment prouver la désunion du couple ?
Le tribunal des affaires familiales n’applique pas l’article 772 du Code civil si, au moment où la grossesse a commencé, les époux vivaient de fait dans une situation de divorce. En d’autres termes, s’ils étaient séparés depuis longtemps et qu’ils ne donnaient aucune image extérieure d’un couple uni. Une personne que cela concerne peut à tout moment lancer une action en justice pour faire reconnaître qu’il n’existe pas de relation filiale entre l’époux ou l’ex-époux, et un enfant.
Cette action peut certes être menée par l’épouse ou l’enfant, mais il faut alors prouver qu’au moment de la grossesse, le couple vivait comme s’il avait divorcé. Dans le cas où il est impossible d’obtenir la coopération de l’époux ou de l’ex-époux pour l’établir, ou dans le cas où la femme faisant cette demande ne souhaite pas avoir de contact avec lui, la tâche devient plus difficile.
Par ailleurs, depuis juin 2007, le ministère de la Justice permet de faire une déclaration de naissance indiquant que l’ex-époux, dans le cas où un enfant est né dans la période de 300 jours après un divorce, n’est pas le père, à condition que soit fourni un certificat médical indiquant que la grossesse a débuté après le divorce. Mais si celle-ci a commencé avant le divorce, la paternité de l’enfant est attribué à l’ex-époux.
Où en est la réforme du Code civil ?
La Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée en 1989 par l’assemblée générale des Nations unies, stipule que « l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance ». Ayant signé ce traité, le Japon a le devoir d’instaurer un système qui rende dans les faits impossible qu’un enfant n’ait pas de registre familial.
Il faut réformer les articles du Code civil qui établissent la filiation, pour que les mères puissent déclarer la naissance des enfants avec comme père légal, le père biologique.
Si par exemple, le paragraphe 1 de l’article 772 stipulait : « L’enfant né d’une femme mariée pendant son mariage est présumé être celui de l’époux », le problème serait en partie résolu. En effet, un enfant né après le remariage d’une femme divorcée serait ainsi celui de l’époux actuel. De plus, la législation ne reconnaît qu’à l’époux le droit d’annuler une présomption de paternité, alors qu’il faut aussi la reconnaître à la mère et à l’enfant. L’épouse pourrait alors attester l’inexistence de liens du sang entre son enfant et son époux, nier juridiquement la filiation, et par là permettre au père biologique de reconnaître cet enfant. Il est irrationnel de laisser en vigueur un tel système où l’épouse n’a aucun droit de se prononcer sur le véritable père de l’enfant.
La Corée du Sud a reconnu aux épouses en mars 2005 le droit de nier la filiation. En mai 2007, ce pays a aboli le système de koseki, pour le remplacer par un système d’état civil établissant les relations familiales sur la base des individus. Du point de vue de la dignité individuelle et de l’égalité fondamentale des sexes stipulées par l’article 24 de la Constitution, réviser le Code civil est le seul moyen pour résoudre en profondeur la question des personnes sans registre familial.
(Photo de titre : cette jeune femme (de dos au centre du premier rang) sans registre familial donne une conférence de presse en juin 2008 à Osaka. Sa mère n’a pas déclaré sa naissance en raison des violences conjugales dont elle était victime. Les deux enfants qu’elle a eus ensuite de son concubin n’ont pas de registre familial. Elle a demandé lors de cette conférence de presse une mesure d’aide de la part de l’État. © Jiji)