Les quatre grandes maladies liées à la pollution : le profit passe avant l’humain

Société

Il fut un temps où le gouvernement japonais et les collectivités locales ne prenaient aucune mesure pour lutter contre la pollution de l’environnement liée à l’activité économique, même lorsqu’elle engendrait des problèmes de santé publique. Les entreprises aggravaient le problème en dissimulant la vérité alors qu’elles avaient pris conscience du lien de causalité entre leurs déchets et les dommages provoqués. Un demi-siècle après la première reconnaissance officielle d’une « maladie de la pollution », quelles leçons en a tirées le Japon ?

Des groupes de soutien en lutte contre les grandes sociétés

Troisième leçon : écoutons les parties impliquées dans l’élaboration du système de dédommagement, en accordant un rôle important à la justice ainsi qu’aux tierces parties qui soutiennent les victimes.

Dans leur confrontation avec les grandes entreprises, les victimes ont été accompagnées non pas par le gouvernement, mais par des médecins, des scientifiques et des avocats, tous mobilisés pour aider les malades en souffrance. Ils ont lutté à leurs côtés dans leurs actions en justice pour établir la responsabilité et les actions illégales des grandes sociétés, et obtenir réparation. La première victoire judiciaire a été obtenue en septembre 1971 par des patients de la seconde maladie de Minamata. Les malades de l’asthme de Yokkaichi ont gagné en justice en juillet 1972, ceux de la maladie Itai-itai en août de la même année, et ceux de Minamata en mars 1973. Dans tous les cas, seule une partie des victimes s’était lancée dans des poursuites pénales, mais elles ont ensuite négocié avec les entreprises au nom de toutes les victimes afin que chacune d’entre elles soient dédommagées.

Ces actions ont conduit à la loi de septembre 1973 sur la compensation des dommages sanitaires liés à la pollution. Elle a ouvert la voie à un dédommagement rapide même sans passer par le tribunal. Mais le gouvernement a défini des critères très stricts pour le diagnostic de ces problèmes et imposé des restrictions sur les zones dans lesquelles la loi peut s’appliquer. Par conséquent, de nombreux patients ne sont pas encore considérés comme souffrant de pathologies liées à la pollution.

Ainsi, si plus de 2 000 personnes ont été reconnues comme ayant contracté la maladie de Minamata, il y en aurait plus de 20 000 en incluant les victimes non officielles. Par ailleurs, aujourd’hui encore, il existe des patients qui n’ont fait aucune demande d’investigation par crainte de souffrir de discrimination si leur maladie était mise à jour. Concernant la seconde maladie de Minamata, il y a actuellement plus de 700 personnes officiellement reconnues comme souffrant de la pathologie, mais leur nombre réel serait trois fois supérieur. Quant à la maladie Itai-itai, moins de 200 personnes sont atteintes, mais environ le double nécessite un suivi médical pour des problèmes liés au cadmium, y compris des dysfonctionnements rénaux, même s’ils ne souffrent pas de fragilité osseuse. Voilà pourquoi les actions en justice liées à ces maux sont nombreuses et la révision des critères de reconnaissance des maladies est autant demandée.

Concernant l’asthme de Yokkaichi, 2 219 personnes ont été reconnues atteintes de la maladie. Ce sont 41 zones géographiques, situées dans les préfectures de Tokyo, Osaka, Kanagawa, Chiba, Aichi, Hyôgo, Shizuoka, Fukuoka, et Okayama, qui ont ensuite été officiellement identifiées comme étant touchées par cette pollution atmosphérique. Mais elles ont cessé de l’être en 1988, après avoir constaté une amélioration de la qualité de l’air dans ces lieux. Les villes de Chiba, Kawasaki, Kurashiki ainsi que l’arrondissement de Nishi-Yodogawa à Osaka ont alors lancé des actions en justice afin d’obtenir des dédommagements pour la pollution atmosphérique causée par de grandes sociétés.

En 1992, la Conférence des Nations unies sur l’environnement a adopté la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, qui cristallise les leçons tirées de la pollution environnementale dans le monde entier. Les enseignements des quatre grandes maladies liées à la pollution reflètent le principe 15 de cette déclaration : « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. » Il s’agit en d’autres termes du principe de précaution.

Le 11 mars 2011, le Japon a été frappé par le Grand tremblement de terre de l’est du Japon, et l’accident de Fukushima Daiichi s’est produit. Les problèmes s’accumulent par la suite, à commencer par des polémiques sur les cancers de la thyroïde chez les enfants. Peut-on alors vraiment affirmer que la société japonaise a tiré les leçons des quatre grandes maladies liées à la pollution ?

(Photo de titre : des personnes atteintes de la maladie Itai-itai, juste après avoir gagné le procès en justice contre la société incriminée, le 9 août 1972 dans la ville de Kanazawa. Jiji Press)

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