Les quatre grandes maladies liées à la pollution : le profit passe avant l’humain

Société

Il fut un temps où le gouvernement japonais et les collectivités locales ne prenaient aucune mesure pour lutter contre la pollution de l’environnement liée à l’activité économique, même lorsqu’elle engendrait des problèmes de santé publique. Les entreprises aggravaient le problème en dissimulant la vérité alors qu’elles avaient pris conscience du lien de causalité entre leurs déchets et les dommages provoqués. Un demi-siècle après la première reconnaissance officielle d’une « maladie de la pollution », quelles leçons en a tirées le Japon ?

La priorité aux profits des entreprises avant l’humain

Le miracle économique japonais a eu pour corollaire la pollution de l’environnement liée à l’expansion de la chimie lourde, et cette pollution a fait souffrir un grand nombre de personnes. Ces quatre grandes maladies liées à la pollution nous ont appris trois leçons qu’il ne faut pas oublier.

La première leçon : soyons très attentif aux avertissements lancés par le vivant.

Les quatre grandes maladies ont en effet d’abord infligé des dommages à la faune et la flore. Pour la maladie de Minamata, il s’agissait du poisson. Dans le cas de la maladie Itai-itai, le poisson, le riz cultivé dans le bassin en aval de la rivière concernée, ainsi que les arbres autour de la mine, ont d’abord été touchés. Enfin à Yokkaichi, c’est aussi le poisson qui a d’abord souffert de la pollution.

La deuxième leçon : ne laissons plus la situation empirer en tardant à identifier la cause du problème et les moyens d’y remédier.

À Minamata par exemple, lorsque des poissons se sont mis à mourir en grand nombre en 1952, aucune analyse des eaux rejetées par l’usine n’a été réalisée. Quatre ans plus tard, les premiers malades ont été diagnostiqués. L’année suivante, en 1957, la préfecture de Kumamoto a voulu interdire la pêche, conformément à la législation sur l’alimentation, mais le ministère de la Santé (aujourd’hui, ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales), n’a pas autorisé cette application de la loi au prétexte qu’il n’y avait pas de preuve que tous les poissons étaient empoisonnés.

Lorsque le ministère a attribué en 1958 l’origine de la pollution à Chisso, cette société l’a niée. Puis elle a cessé de rejeter ses eaux usées dans la baie de Minamata pour le faire à l’extérieur de celle-ci, dans la mer de Shiranui, ce qui a étendu la pollution.

Le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (autrefois ministère de l’Économie et du Commerce international) s’est rendu compte de ce changement, sans pour autant intimer à Chisso de cesser. Il s’est contenté de lui ordonner en 1959 de déverser à nouveau ses eaux usées dans la baie de Minamata… Cette année-là, un médecin de l’hôpital attaché à l’usine de Chisso a établi par des expériences sur des chats que l’origine de la maladie était le mercure contenu dans les effluents. Mais les résultats de ses expériences n’ont pas été publiés.

Un groupe de chercheurs de l’Université de Kumamoto a défini la substance à l’origine du problème, et une section du comité d’enquête sur l’hygiène alimentaire du ministère de la Santé a apporté son soutien à ce groupe. Mais le ministère a rejeté le rapport de cette section tout en dissolvant le groupe, au prétexte que la conclusion était trop rapide. L’Association des industries chimiques du Japon, le groupement professionnel de ce secteur, a d’ailleurs affaibli l’hypothèse du mercure en évoquant une autre piste, pourtant autrefois écartée : celle des substances explosives contenues dans les projectiles de guerre abandonnés dans la rivière.

En novembre 1959, un groupe de parlementaires s’est rendu pour la première fois sur les lieux. Les manifestations de pêcheurs et de familles de malades qui l’ont accueilli ont attiré l’attention de l’opinion publique. Mais le mois suivant, Chisso a complété l’installation d’un dispositif de purification et a mis en scène la captation de la pollution. Ce procédé ne comportait cependant pas de fonction d’élimination du mercure, et la pollution a continué jusqu’à ce que Chisso cesse d’en utiliser, un fait qui n’a été rendu public que lors du procès de 1985.

En 1962, trois ans après la mise en scène du dispositif, l’existence de la maladie de Minamata in utero, en raison de la présence de mercure dans le placenta, a été officiellement reconnue. L’autopsie d’un enfant de cinq ans supposément mort de paralysie cérébrale l’a révélé. Cela a ainsi fourni la preuve que la maladie de Minamata pouvait aussi se produire in utero, comme on le soupçonnait.

En 1968, une fois qu’une méthode de fabrication d’acétaldéhyde sans mercure avait été mise au point, le gouvernement a finalement reconnu la pollution comme unique coupable de la maladie de Minamata. Cependant, en voulant accorder la priorité aux intérêts des entreprises, il a retardé au maximum sa conclusion et a ainsi laissé la situation empirer.

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