Le jeu d’argent, drogue dure du Japon

Société

Tanaka Noriko [Profil]

Au Japon, pour pratiquer un jeu d’argent, c’est tout simple : il suffit de passer la porte des salles de pachinko, omniprésentes à travers le pays. Sans compter que le monde des jeux d'argent va s’agrandir davantage, car le gouvernement a fait passer une loi légalisant les grands complexes de loisirs abritant les casinos. Cependant, cela pose le problème majeur d’un plus grand risque de dépendance au jeu. Dans cet article, l’auteure, qui était elle-même tombée par le passé dans une addiction sévère, dénonce l’indifférence et le retard des efforts consentis de la nation quant à cette pathologie.

Trois facteurs qui encouragent la dépendance

On peut énumérer trois facteurs clefs qui contribuent à l’ampleur excessive que l’addiction au jeu a prise au Japon.

En premier lieu viennent la popularité et la facilité d’accès du pachinko et du pachi-slot. L’omniprésence des salles dédiées à ces jeux d’argent – on en dénombre environ 10 000 sur le territoire japonais – en font une activité de loisir très commode. Ce chiffre suffit à faire du Japon un champion de l’addiction au jeu parmi les pays avancés, et il explique pourquoi les adeptes des pachinko constituent 80 % de l’effectif des victimes de ce fléau. Et pourtant, cette profusion des salles de jeux ne suscite pratiquement aucune indignation dans notre nation.

Le second facteur, plus subtil, réside dans la conception que les Japonais se font de la responsabilité et dans l’emprise, souvent constatée, que la « culture de la honte » exerce sur eux. Dès leur plus jeune âge, la plupart d’entre eux apprennent à s’occuper de leurs propres affaires et, par-dessus tout, à ne jamais poser de problème à autrui. Les difficultés personnelles et familiales ne doivent pas être exposées en public, et la perte du contrôle de soi est mal vue. Tout ce qui pourrait être perçu comme honteux doit impérativement rester caché.

Ces facteurs sociaux font que, lorsque des joueurs compulsifs ou des membres de leurs familles font appel aux autorités, à un ami ou à une connaissance, leur chance de se voir accorder l’aide qu’ils demandent est minime. La probabilité est plus forte qu’ils se fassent réprimander pour les carences qu’on leur attribue. Il peut aussi arriver que leurs relations parentales ou familiales soient passées au crible, ou qu’on leur conseille de s’asseoir autour d’une table et d’avoir une discussion franche et sans détours. À moins que les membres de la famille d’un joueur se voient encouragés à sommer celui-ci de s’expliquer sur sa conduite égoïste. Mais loin d’apporter la moindre aide concrète aux malades et à leurs familles, toutes ces platitudes ne font que les acculer et les isoler encore plus.

Quant au troisième facteur – derrière lequel se tapit aussi la conception japonaise de la responsabilité personnelle –, il n’est autre que la défaillance des pouvoirs publics dans la mise en place de mesures de lutte contre l’addiction au jeu. En dépit de son statut de superpuissance du jeu, le Japon ne s’est toujours pas doté d’une politique visant à mettre un frein aux débordements des joueurs. Pas plus qu’il n’a fait sien le principe, communément admis dans bien des pays, qui veut que l’industrie du jeu soit responsable des méfaits de son activité.

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Tanaka NorikoArticles de l'auteur

Présidente de la Société de réflexion sur l’addiction au jeu. Née à Tokyo en 1964. Elle fut elle-même atteinte de dépendance au jeu, tout comme son mari, son père et son grand-père. Depuis 2014, elle s’efforce d’alerter le public sur ce problème et de proposer des solutions pour y remédier. Elle est l’auteur de Sandaime gyan-tsuma no monogatari (Histoire d’une épouse de joueur à la troisième génération).

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