Gagner de l’argent au Japon, un mirage pour beaucoup d’étudiants étrangers

Société

Le nombre d’écoles de l’Archipel spécialisées dans l’enseignement de la langue japonaise aux étrangers ne cesse d’augmenter, année après année. On en compte à l’heure actuelle plus de 600. Toutefois, beaucoup des élèves inscrits dans ces établissements se rendent au Japon non pas pour étudier mais pour gagner de l’argent, attirés par les promesses alléchantes d’intermédiaires peu scrupuleux. Pour ce faire, ils s’endettent lourdement et, une fois sur place, ils ont bien du mal à rembourser leurs emprunts avec les emplois mal payés qu’on leur réserve. Dans l’article qui suit, l’auteur dénonce les méthodes perverses de ce véritable « business de l’éducation ».

Emprunter puis s’inscrire dans une école par l’entremise d’une agence

Au bout de quatre ans de recherches sur ce problème, j’ai l’impression que la majorité des ressortissants du Vietnam et du Népal inscrits dans les écoles de langue de l’Archipel sont de « faux étudiants » venus uniquement pour se remplir les poches. C’est l’un des quelque 600 établissements où l’on enseigne le japonais, dont plus de 200 ont moins de 10 ans d’existence, qui leur sert de porte d’entrée. Au Vietnam et dans d’autres pays en voie de développement, le « boom des études au Japon » a engendré une véritable « bulle des écoles de japonais ».

Pour s’inscrire dans une école de langue japonaise, il faut débourser quelque 1,5 million de yens (environ 11 485 euros) afin de couvrir les frais de scolarité de la première année, la commission de l’agence et diverses autres dépenses. Une somme inconcevable pour des Vietnamiens ordinaires. Pourtant certains d’entre eux se débrouillent pour trouver les fonds nécessaires en hypothéquant leur maison ou leurs terres. En dépit de la croissance économique régulière de l’économie des pays en développement comme le Vietnam, les conditions de vie y sont encore très dures. C’est la raison pour laquelle les familles envoient leurs enfants étudier au Japon en s’imaginant qu’ils vont s’y enrichir.

Le gouvernement japonais exige par ailleurs que les étudiants étrangers soient en mesure de subvenir à leurs propres besoins. Il n’est censé accorder de visa qu’à ceux qui apportent la preuve qu’ils ont les moyens de payer leurs frais de scolarité et de vivre sans travailler. Dans les pays émergents comme le Vietnam, seuls les membres des classes les plus privilégiées peuvent se permettre de telles dépenses. Certains finissent donc par soudoyer les banques ou les organes de l’administration pour se procurer des documents falsifiés prouvant que leurs comptes bancaires sont bien remplis et les revenus de leurs parents, suffisants. Et ce sont bien entendu les agences qui se chargent de ces tractations frauduleuses.

Le recours à de telles pratiques n’est un secret pour personne, pas plus les établissements qui enseignent le japonais que les bureaux du département de l’immigration où l’on délivre les visas pour le Japon. Mais ils font tous comme si de rien n’était, les premiers parce qu’ils veulent améliorer leur chiffre d’affaires et les seconds pour atteindre l’objectif de 300 000 étudiants internationaux en 2020 fixé par le gouvernement.

Des emplois obscurs et non qualifiés

Une fois dans l’Archipel, les « faux étudiants » deviennent une main-d’œuvre précieuse. Le Japon souffre en effet d’une grave pénurie de travailleurs manuels. Le gouvernement n’autorise pas les étrangers à venir au Japon au titre d’un « travail non qualifié ». Il a organisé un système de « formation technique interne » qui permet à environ 210 000 étrangers d’entrer au Japon et d’y effectuer des tâches non qualifiées dans 74 secteurs bien définis. Il s’agit de travaux pour des PME dans le textile, la confection, les machines et la transformation des métaux ainsi que d’emplois sur des chantiers de construction et dans des usines de transformation des produits de l’agriculture ou de la pêche. Le Japon manque donc de main-d’œuvre dans bien des domaines où les étudiants internationaux sont considérés comme une véritable aubaine.

Les gens s’imaginent souvent que les étudiants étrangers employés à temps partiel au Japon travaillent dans des superettes ou des chaines de restaurants. Mais les lieux où ceux-ci jouent un rôle vraiment important sont en général situés à l’abri des regards. Les « faux étudiants » sont chargés, entre autres, de préparer les ingrédients des boîtes-repas (bentô) vendues dans les supermarchés et les superettes, de trier les paquets livrés à domicile par les services de messagerie, de nettoyer les chambres d’hôtels et de distribuer les journaux.

Il s’agit toujours de travaux physiques effectués pendant la nuit, travaux que les Japonais n’ont pas envie de faire et qui par-dessus le marché sont les plus mal payés. Dans ces conditions, les étudiants étrangers ont bien du mal à gagner les 200 000 à 300 000 yens par mois escomptés, même en multipliant les emplois et en travaillant plus que les 28 heures hebdomadaires autorisées par la loi. Quand ils réalisent qu’ils se sont faits berner par les agences, il est déjà trop tard. Rentrer dans leur pays sans avoir remboursé leur emprunt signifierait la ruine pour leur famille. Les « faux étudiants » n’ont donc pas d’autre recours que de rester au Japon et de travailler jusqu’à ce qu’ils aient fini de payer leurs dettes.

Un étudiant étranger peut être inscrit dans une école de japonais pour une période maximale de deux ans. Après quoi, il a le choix entre suivre des cours dans une université ou intégrer un établissement d’enseignement professionnel. Or ces deux types d’institutions comptent sur les étudiants internationaux pour assurer leur survie. En raison du déclin de la natalité dans l’Archipel, près de la moitié des universités privées japonaises n’arrivent pas à trouver le nombre d’étudiants dont elles ont besoin pour s’en sortir. La situation est encore pire en ce qui concerne les écoles professionnelles. Beaucoup d’entre elles acceptent donc des étudiants venus de l’étranger sans tenir compte de leur niveau en japonais. Tout ce qu’elles demandent, c’est qu’ils paient leurs frais d’inscription et de scolarité. Les « faux étudiants » peuvent ainsi renouveler tranquillement leur visa en continuant à travailler au Japon.

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