L’animation japonaise : derrière le succès, des jeunes aux conditions de travail déplorables

Culture

L’industrie du cinéma d’animation japonais est en pleine forme à en juger par le succès impressionnant de films comme Your name de Shinkai Makoto ou tout récemment Demon Slayer : le train de l’infini. Mais dans les studios de production, les conditions de travail se sont tellement dégradées que l’avenir de l’animation japonaise s’en retrouvera menacé si les choses ne s’améliorent pas.

Intervalliste, le premier pas vers le métier d’animateur

La JAniCA a été fondée en 2007 avec pour principal objectif l’amélioration du statut et des conditions de travail des animateurs de l’Archipel. D’après les enquêtes les plus récentes effectuées par la JAniCA, le salaire annuel moyen des nouvelles recrues – dôgaman en japonais, « inbetweener » en anglais et « intervalliste » en français –, est de l’ordre de 1,11 million de yens (environ 8 538 euros), soit moins de 100 000 yens (environ 769 euros) par mois. Dans le monde de l’animation, les journées de travail durent de dix à onze heures et les jours de repos en moyenne se limitent à 4,6 par mois. En 2013, le revenu annuel moyen des animateurs japonais s’est élevé à 3 330 000 yens (environ 25 615 euros), c’est-à-dire nettement moins que ce que touchent les salariés dans l’ensemble de l’industrie japonaise, à savoir 4 140 000 yens (environ 31 846 euros).

« Ce sont des salaires indéniablement très bas », affirme Irie Yasuhiro. Les intervallistes – bien souvent des jeunes – perçoivent à peine 200 yens (environ 1,54 euro) par image. Pour avoir un salaire horaire de 1 000 yens (environ 7,69 euros), il faudrait qu’ils dessinent au moins cinq images par heure. Or la production moyenne se limite à deux images. C’est pourtant sur cette base que la plupart des studios d’animation japonais rémunèrent les intervallistes. Quelques-uns leur assurent un salaire mensuel minimum de 50 000 yens (environ 385 euros)… Dans le même temps, il y a le problème des journées interminables de travail qui durent de 12 à 18 heures. »

Un « intervalliste » est un assistant animateur chargé de dessiner les images intermédiaires qui viennent s’intercaler entre les images-clés des dessins animés traditionnels. Sur le mode du folioscope (flip book), l’animateur-clé (gengaman) dessine la première et la dernière image ainsi que tous les plans-clés intermédiaires du dessin animé. Le rôle de l’intervalliste consiste à placer des images entre deux images-clés afin d’assurer la continuité et la fluidité de l’ensemble. Dans l’industrie du cinéma d’animation, les jeunes animateurs débutent en général leur carrière en tant qu’intervalliste, où que ce soit dans le monde.

Irie Yasuhiro est à présent un réalisateur de films d’animation très connu. On lui doit notamment la série télévisée Hagane no renkinjutsushi furu metaru arukemisuto (Full Metal Alchimist, 2009-2010), l’histoire de deux frères qui parcourent le monde à la recherche de la pierre philosophale. Mais il n’en a pas moins débuté comme intervalliste.

« J’ai moi-même travaillé en tant qu’intervalliste à partir de l’âge de 18 ans. Au bout de deux ans, on m’a affecté au cadrage (layout), un travail de composition graphique méticuleux ayant pour objet de résoudre les derniers problèmes avant l’animation proprement dite », raconte Irie Yasuhiro. « Après avoir appris les bases de l’animation en exerçant le métier d’intervalliste pendant quelques années, j’ai fini par être prêt pour passer à celui d’animateur-clé. Mais aujourd’hui, on oriente souvent d’emblée les nouvelles recrues vers le cadrage afin de préparer de façon très précise le travail des animateurs et des opérateurs à partir du scénarimage (story board), c’est-à-dire le film en bande dessinée, plan par plan. Et ce, tout simplement parce qu’ils ont un bon coup de crayon. Or ils n’ont pas assimilé les notions essentielles du cinéma d’animation que l’on apprend en tant qu’intervalliste. Si bien que le jour où on leur demande de jouer le rôle d’animateur-clé, ils sont complètement désemparés. »

La délocalisation, un cercle vicieux

Si les jeunes animateurs n’ont pas une expérience suffisante, c’est surtout parce que l’industrie japonaise de l’animation a délocalisé une grande partie de ses activités, souligne Irie Yasuhiro. D’après lui, 80 à 90 % des tâches confiées aux intervallistes sont effectuées en dehors du Japon, notamment en Chine et en Corée du Sud.

« Une des raisons de ce phénomène, c’est que le nombre des films d’animation pour la télévision a augmenté et que beaucoup d’entre eux sont des productions trimestrielles. Auparavant, la production de la plupart des séries télévisées durait une année, mais à présent pratiquement tout se fait en cycles de trois mois. Repartir de zéro tous les trois mois est quelque chose de néfaste pour la productivité. C’est une source de dispersion pour la main-d’œuvre et c’est pourquoi les producteurs finissent par se tourner vers l’étranger pour compenser le manque de personnel », précise Irie Yasuhiro.

« Quantité de jeunes renoncent à travailler comme intervalliste parce que les salaires sont trop bas pour pouvoir en vivre. Ceux qui restent ont des parents en mesure de leur apporter leur soutien. Les autres sont souvent contraints d’abandonner, quel que soit leur talent, faute de pouvoir compter sur cette aide. Les Japonais étant de moins en moins enclins à persévérer dans un métier où ils ne peuvent pas s’en sortir, ce type de travail a été délocalisé en raison d’un prétendu “manque de main-d’œuvre”. C’est un cercle vicieux qui empêche l’industrie du cinéma d’animation de l’Archipel de former de jeunes japonais.

« Il y a pourtant encore des gens qui ont envie de s’engager dans le secteur de l’animation au sortir du lycée, d’une formation professionnelle, de l’université ou parfois même d’une première expérience dans le monde du travail. Les deux premières années sont très importantes. Si le métier d’intervalliste permettait de vivre décemment, l’industrie du cinéma d’animation japonais serait en mesure d’assurer la formation de nouvelles recrues en plus grand nombre. »

Suite > Former des jeunes animateurs au niveau national

Tags

anime travail jeune

Autres articles de ce dossier