L’implosion attendue de la population du Japon

Société

Le Japon va faire son entrée en terrain inconnu, à mesure que s’instaure la phase de croissance démographique négative générée par le vieillissement rapide de la société japonaise. Cette tendance est-elle susceptible de s’inverser ? Comment le pays peut-il maintenir le cap de la croissance économique alors que sa population active diminue et que les coûts de sécurité sociale s’envolent ? Le journaliste Tani Sadafumi se penche ici sur ce dilemme démographique.

Une situation périlleuse sur le plan politique

Le vieillissement de la population japonaise a également des répercussions importantes sur le plan politique. Le pourcentage des électeurs âgés enregistre une hausse spectaculaire depuis 1960, celui des moins de 35 ans une chute brutale, et cette tendance est vouée à se prolonger (voir le tableau).

1960 2016 2030 (projection) 2060 (projection)
Moins de 35 ans 42,9 % 20,3 % 18,5 % 15,7 %
65 ans et plus 9,6 % 32,7 % 36,8 % 45,9 %

En 1960, les jeunes représentaient plus de 40 % de l’électorat, contre moins de 10 % pour les personnes âgées. En 2060, le schéma sera inversé, avec près d’une moitié de l’électorat constituée de personnes âgées. Pour aggraver encore ce déséquilibre croissant, il se trouve que les jeunes sont moins enclins à voter. Une analyse par tranches d’âges montre que c’est chez les électeurs de la tranche des 20-24 ans que la participation a été la plus faible lors des élections générales de 2009, avec un chiffre de 46,7 %, et la plus forte chez les 65-69 ans, à 85 %. Dans ce genre de démocratie « grisonnante », les besoins individuels et familiaux des jeunes dans des domaines comme l’emploi, les soins aux enfants et l’éducation risquent de passer loin derrière les demandes des électeurs âgés, qui pourraient faire payer très cher aux dirigeants politiques la moindre coupe opérée dans leurs avantages.

Les moyens dont nous disposons

Le résumé qui suit, basé sur une conférence donnée en juin par M. Kaneko, dresse un tableau plutôt sombre de l’avenir du Japon. Mais la présentation s’est aussi accompagnée d’un débat sur les stratégies susceptibles de freiner l’implosion démographique et d’atténuer son impact. Dans la suite de ce texte, je propose un résumé de chacune de ces propositions, accompagné de quelques observations de mon cru.

Offrir des majorations de pensions pour augmenter le taux de fécondité

Une option pour inciter les femmes à avoir davantage d’enfants consisterait à leur offrir une majoration de leurs pensions de retraite pour chaque enfant qu’elles mettent au monde. L’augmentation progresserait à chaque nouvel enfant, par exemple 10 000 yens pour un enfant, 30 000 pour deux enfants, 60 000 pour trois enfants et ainsi de suite. Cette mesure ne coûterait rien à l’État jusqu’à ce que les femmes atteignent l’âge requis (65 ans à l’heure actuelle). Outre cela, en atténuant les inquiétudes financières des familles quant à l’avenir, elle devrait contribuer à stimuler la consommation et à relancer l’économie.

Il me semble aussi que ce dispositif devrait inclure un mécanisme destiné à récompenser les pères divorcés qui s’occupent des enfants et participent aux coûts de leur éducation. Cette politique risque toutefois de susciter l’hostilité des personnes qui désapprouvent le recours aux incitations financières pour influencer une décision personnelle d’une telle importance.

Faciliter l’adoption des enfants non désirés

Dans un pays où les contraintes administratives font de l’adoption un processus extrêmement coûteux en termes de temps et d’argent, le gouvernement a fait un pas en avant pour faciliter l’adoption des orphelins et prévenir les avortements inutiles en légalisant les agences d’adoption du secteur privé. Mais beaucoup reste à faire en ce qui concerne aussi bien la création d’une base de données pour mettre en relation les couples sans enfant et les femmes enceintes que la fermeture du marché aux opérateurs dénués de scrupules.

Développer l’immigration

Les lois japonaises sur l’immigration sont très strictes et les propositions visant à les assouplir se heurtent à une résistance massive. Il se trouve pourtant que la dépendance de l’économie à l’égard de la main-d’œuvre étrangère a d’ores et déjà pris une ampleur indéniable, et nos dirigeants politiques devront un jour ou l’autre s’attaquer frontalement à ce problème. Ceci dit, M. Kaneko ne pense pas que l’immigration puisse être la solution au problème des pénuries de main-d’œuvre, d’autant que d’autres pays d’Asie de l’Est sont confrontés à des défis démographiques similaires et que la concurrence risque d’être féroce pour attirer les travailleurs des pays dotés de populations jeunes et en expansion.

Promouvoir l’intégration des femmes et des personnes âgées dans la population active

Quel que soit leur niveau d’éducation et leurs capacités, les Japonaises ont moins de chances que leurs homologues d’autres pays avancés du monde d’accéder à des positions de responsabilité dans le secteur public ou privé. Une solution pour alléger la pénurie de main-d’œuvre qui s’annonce consisterait à encourager l’intégration des femmes dans la population active en leur offrant davantage d’opportunités de carrière et d’options professionnelles. Il faudra, pour ce faire, leur donner accès à des services de garderie de haute qualité et à des conditions de travail plus flexibles, grâce, par exemple, au télétravail.

Pour ce qui est des personnes âgées, Kaneko souligne que les prévisions concernant l’espérance résiduelle de vie à 65 ans sont de 22,3 ans pour les hommes et 27,7 ans pour les femmes en 2060, comparées à 11,6 et 14,1 ans en 1960. Les gens restent plus longtemps actifs et en bonne santé, et tout porte à croire que cette tendance va perdurer. Les jeunes seniors sont en outre de plus en plus à l’aise avec l’informatique. Dans une étude de 2005, sur les sexagénaires interrogés, 68,4 % des hommes et 27,5 % des femmes ont déclaré utiliser les ordinateurs avec assurance, chiffres qui passaient à 48,1 % des hommes et 15,6 % des femmes chez les septuagénaires. Les entreprises devraient être en mesure de trouver des solutions pour mettre ces compétences à contribution.

L’innovation technologique

À mesure que la technologie progresse, il ne fait pas de doute que les ordinateurs et les robots vont apporter au travail humain un renfort dont on aurait du mal à imaginer aujourd’hui l’ampleur et la diversité. Plutôt que de céder à la peur de voir l’intelligence artificielle supplanter les êtres humains, nous devons tirer le meilleur parti des avantages qu’elle peut procurer à la société japonaise à mesure du vieillissement et du déclin de la population.

Il n’existe pas de solution miracle. Toutes les stratégies énumérées ci-dessus ont leurs limites. Et la liste n’est en aucun cas exhaustive. En mobilisant l’ensemble des politiques évoquées ci-dessus, on peut contrer avant qu’il soit trop tard l’impact de la croissance démographique négative et assurer un avenir brillant aux jeunes personnes comme aux plus âgées. Mais c’est tout de suite que nous devons nous mettre à l’ouvrage.

(D’après un original japonais du 4 juillet 2017. Photo : Jiji Press)

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