L’implosion attendue de la population du Japon

Société

Le Japon va faire son entrée en terrain inconnu, à mesure que s’instaure la phase de croissance démographique négative générée par le vieillissement rapide de la société japonaise. Cette tendance est-elle susceptible de s’inverser ? Comment le pays peut-il maintenir le cap de la croissance économique alors que sa population active diminue et que les coûts de sécurité sociale s’envolent ? Le journaliste Tani Sadafumi se penche ici sur ce dilemme démographique.

La fatalité démographique

Si l’on en croit le rapport des Nations unies intitulé Perspectives de la population mondiale : la révision de 2017, l’effectif total de la population mondiale va continuer de croître au cours de ce siècle, passant d’un chiffre estimé à 7,6 milliards aujourd’hui à 9,8 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100. Au sein de cette tendance globale, le Japon, actuellement placé au 11e rang des pays les plus peuplés du monde, va rétrograder au 17e rang en 2050 et au 29e en 2100.

Dans une certaine mesure, la production économique est liée à la démographie. En 2007, les Japonais ont été choqués par la prédiction de Goldman Sachs annonçant que, en termes de produit intérieur brut, leur pays allait tomber du 3e au 8e rang mondial en 2050, derrière des pays comme le Brésil, l’Inde et l’Indonésie. D’autres économistes, qui accordent plus de poids à d’autres facteurs que la démographie, ont une vision un peu plus favorable des perspectives à long terme du Japon. Mais il est indéniable que la diminution et le vieillissement de la population vont peser sur la croissance économique.

Pour parler de la trajectoire démographique du Japon d’un point de vue scientifique, Kaneko Ryûichi, de l’IPSS, emploie l’expression « déraillement ». Qui plus est, il prévoit que la population va continuer de vieillir et de diminuer à un rythme sans précédent tout au long du XXIe siècle. Ce pessimisme se justifie par un phénomène appelé « élan démographique », également connu sous le nom d’« effet de décalage démographique ».

Le taux de fécondité global du Japon – le nombre moyen d’enfants par femme pour la totalité de la population féminine – est actuellement inférieur à 1,5. Ce chiffre est en légère hausse par rapport au plancher historique de 1,26 enregistré en 2005, mais il reste très inférieur au seuil de remplacement de 2,07, au-dessous duquel la population est vouée à décroître. Outre cela, même dans le scénario hypothétique où la fécondité rattraperait le taux de remplacement d’ici 2010 et se maintiendrait à ce niveau, la population continuerait de décroître pendant un certain temps (voir la ligne rouge de la figure 2). Compte tenu de la diminution du nombre des femmes en âge de procréer, celui des naissances continuerait de baisser jusqu’en 2040 ou 2050, même si le taux de natalité augmentait. Qui plus est, la mortalité globale va inévitablement progresser à mesure que le nombre, déjà considérable, des personnes âgées continue de croître. Ce décalage structurel fait que la poursuite du déclin de la population japonaise est pratiquement irréversible pour les 60 ou 70 années à venir.

Ceci dit, un taux de fertilité plus élevé contribuerait indéniablement à freiner le rythme du déclin démographique, ce qui pourrait avoir un impact spectaculaire à long terme, comme le suggère la divergence entre les lignes de tendances représentées en figure 2. L’objectif devrait être dorénavant d’inciter la croissance démographique du Japon à se rapprocher le plus près possible de la ligne rouge.

Le spectre d’une crise des soins

Examinons maintenant d’un peu plus près l’évolution de la structure des âges au Japon et ses répercussions, notamment sur les personnes âgées.

La figure 3 répartit les personnes âgées en trois groupes : la tranche d’âges des 65-74 ans, celle des 75-84 et celle des 85 et plus. On voit qu’en 2060, les gens d’un âge très avancé occuperont une place beaucoup plus importante qu’aujourd’hui au sein de la population âgée.

Bien sûr, il y a des gens qui réussissent à rester en bonne santé et indépendants même une fois centenaires, et il ne fait pas de doute que les vieillards bénéficieront à l’avenir des progrès de la médecine. Il n’en reste pas moins que l’incidence des problèmes de santé et des situations exigeant des soins infirmiers ou une aide ménagère augmente en général avec l’âge.

Le nombre des patients atteints de démence et portés disparus augmente tous les ans au Japon depuis que l’Agence nationale de la police a commencé à établir des statistiques. Il a atteint 15 432 en 2016, ce qui représentait 3 224 cas de plus que l’année précédente. Sachant qu’il y a de plus en plus de personnes âgées qui vivent seules, on peut en outre supposer qu’un nombre conséquent de cas ne sont pas signalés.

Au Japon, où il est coutumier que les jeunes migrent des campagnes vers les grandes villes, on a tendance à associer le vieillissement de la population avec les régions écartées. Pourtant, les projections démographiques par régions placent la métropole tokyoïte et la préfecture de Kanagawa, son voisin hautement urbanisé, au même rang que la préfecture d’Okinawa en tant qu’entités territoriales où il est prévu que la population âgée augmentera de plus de 50 % entre 2010 et 2040. Les préfectures de Saitama et de Chiba (situés eux aussi dans la région densément peuplée des environs de la capitale) doivent quant à eux s’attendre à une augmentation de 40 à 50 %, et le chiffre est de 30 à 40 % pour les préfectures de Kyoto et d’Osaka. Nombre de zones urbaines du Japon souffrent d’ores et déjà d’une sérieuse pénurie de personnel et d’installations de soins infirmiers. Les projections de l’IPSS soulèvent le spectre de la formation de vastes poches urbaines de personnes âgées déplacées et abandonnées, ceux qu’on appelle les kaigo nanmin (réfugiés des établissements de soins).

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