Les escroqueries téléphoniques, une spécificité japonaise ?

Société

Les escroqueries téléphoniques continuent à faire des ravages au Japon. Les escrocs trouvent sans cesse de nouveaux moyens de persuader leurs interlocuteurs de leur remettre de l’argent. Pourquoi ces malversations se multiplient-elles ? Nishida Kimiaki analyse la psychologie des victimes et cherche à comprendre pourquoi ces tromperies sont particulièrement nombreuses au Japon.

Le processus psychologique à l’œuvre derrière l’escroquerie « c’est moi, c’est moi »

Comment les victimes se laissent-elles berner ? Détaillons le processus psychologique à l’œuvre derrière les appels « c’est moi, c’est moi ».

Le premier ressort psychologique est la sous-évaluation du risque d’être la cible d’une arnaque. Cela s’appelle le « biais de normalité ». Ce biais fait que l’on se persuade que même si ce genre d’escroquerie se multiplie, on est capable de s’en protéger, ce qui conduit les individus à se persuader qu'ils sont à l’abri, bien qu’ils n’aient pris aucune mesure préventive.

C’est pour cette raison que quelqu’un qui reçoit l’appel d’un escroc n’envisage pas a priori que son interlocuteur triche. Lorsqu’il entend une voix annoncer : « c’est moi, c’est moi », il imagine que ce doit être son fils, et si l’interlocuteur le confirme, il s’en convainc. Ici, c’est le biais de confirmation qui agit. La victime cherche confirmation dans les paroles de son interlocuteur, et la moindre information crédible évacue ses doutes.

Voilà pourquoi les victimes qui ont été dupées affirment que leur interlocuteur avait la même voix que leur fils, et qu’elles l’ont cru parce que ce qu’il savait de leur contexte correspondait aussi. En réalité, mais on l’ignore en général, les travaux des psychologues montrent qu’il est difficile de déterminer si quelqu’un qui vous parle au téléphone est celui qu’il dit être. Puisqu’on ne doute pas de ses propres perceptions, on ne prend pas la peine de vérifier si la personne est bien qui elle dit être, par exemple en rappelant ce correspondant qui demande une aide d’urgence. Ou bien on n’y pense pas sur le coup.

Pourquoi beaucoup d’escrocs se font passer pour le fils de leurs victimes

Notons aussi que la mémoire auditive n’est pas fiable lorsqu’il s’agit d’une personne à qui on ne parle pas souvent au téléphone. Le rôle que joue la culture japonaise dans ce contexte doit aussi être souligné.

Tout d’abord, les Japonais considèrent qu’avec les proches, la compréhension mutuelle ne passe pas nécessairement par la parole. Les hommes, en particulier, qui ont tendance à voir dans le laconisme une preuve de virilité, n’ont pas l’habitude d’appeler leurs parents sans raison précise. « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles », dit-on, et les parents ne s’offusquent pas de la rareté des appels téléphoniques de leurs enfants.

Dans le Japon d’aujourd’hui, il est courant de vivre en ville loin de sa province natale et rares sont les hommes qui ont l’habitude d’appeler régulièrement leurs parents. D’ailleurs, notons la quasi-absence d’escroqueries dans lesquelles une femme se fait passer pour la fille de la maison. Donc, il suffit que la voix du correspondant ressemble un tant soit peu à celle du fils pour que les parents échouent à détecter la tromperie. De plus, les escrocs ont raffiné leurs approches : ils se renseignent sur le prénom ou le métier du fils, et ne se contentent plus de dire simplement « c’est moi, c’est moi ».

Suite > Un contexte propre à la société et aux familles japonaises

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